Les femmes, plus « frileuses » face aux prises de risques professionnels : cliché ou réalité ?
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Les femmes, plus « frileuses » face aux prises de risques professionnels : cliché ou réalité ?

Le Baromètre de l'économie d'Odoxa, publié en mars 2024, démontre que les femmes prennent moins de risques professionnels que les hommes. Or, ces données seraient "réductrices", selon Marie Donzel, dirigeante d'AlterNego, qui nous apporte son éclairage.

L' »empowerment » des femmes est sur toutes les lèvres depuis quelques années. Si aucun équivalent français n’existe, il s’agit de favoriser l »autonomisation » et le « pouvoir d’action » des femmes. Objectif ? Réduire les inégalités entre les hommes et les femmes dans la sphère professionnelle. D’après le *Baromètre de l’économie, publié par Odoxa en mars 2024, une majorité de Français interrogés les incitent ainsi à « avoir confiance en elles » (88 %) et à « valoriser les prises de risques » (86 %). La majorité des femmes (89 %) en sont d’ailleurs convaincues : la prise de risques est indispensable à la réussite.

Dans les faits toutefois, ces dernières seraient plus « frileuses » que les hommes face aux prises de risques professionnels. Nombreuses sont celles à déclarer avoir manqué des opportunités professionnelles par manque de confiance en elles (62 %). Près de la moitié (49 %) ne se lance pas si elles ne sont pas sûres à 100 % de maîtriser quelque chose, contrairement aux hommes (38 %). Elles se sont déjà également tiré une balle dans le pied en étant trop honnêtes en reconnaissant ne pas être capables de faire certaines choses (53 %), ou encore en n’osant pas imposer leur point de vue sur un dossier professionnel (42 %).

Une responsabilité culpabilisante

Marie Donzel, directrice associée chez AlterNego, nuance ces données. Selon la spécialiste des questions d’égalité entre les hommes et les femmes, « affirmer que les femmes manquent de confiance en elles, c’est leur faire porter l’entière responsabilité de ce supposé manque d’audace. L’entreprise soulage sa conscience en avançant que ce sont elles qui ont un plafond de verre dans la tête. Non seulement c’est culpabilisant, mais souvent c’est cette même entreprise qui les limite dans leur évolution professionnelle. »

L’étude met, par ailleurs, en avant le fait que les femmes (46 %) seraient « moins demandeuses » de promotions ou de nouvelles responsabilités dans leur travail que les hommes (35 %). Là encore, la dirigeante invite à prendre du recul : « Lorsque, les femmes demandent des augmentations de salaires ou des promotions, on leur refuse souvent. La trentaine est un cap crucial dans le parcours professionnel d’une femme. C’est le moment où leur carrière patine. Il ne faut pas s’étonner qu’elles s’auto-censurent. » Un climat sexiste pointé du doigt par l’experte et qui engendre une « ambiance insupportable pour les femmes qui finissent par partir dans l’espoir de trouver leur place ailleurs ». Or, l’entreprise devrait plutôt enclencher une « inversion des valeurs » : « Si un nouveau modèle économique émergeait, de nouvelles méthodes managériales et compétences d’avenir seraient valorisées. »

Un rapport à l’argent différent

Cette réticence à prendre des risques chez les femmes serait particulièrement marquée, souligne l’étude, lorsqu’il s’agit de prendre des risques financiers. Si elles avaient de l’argent à investir, les femmes (72 %) opteraient davantage que les hommes (62 %) pour « un placement sûr avec un rendement assez faible », plutôt que pour « un placement plus risqué avec un meilleur rendement ». Car ces dernières (63 %) perçoivent ce placement comme un « risque de perdre leurs économies », contre 54 % des hommes, plutôt que comme une « opportunité de gagner plus » (44 % pour les femmes, contre 34 % pour les hommes).

Marie Donzel, de son côté, alerte sur le contexte professionnel dans lequel les femmes sont supposées prendre ces risques : « Elles ont des salaires moins élevés que les hommes, ont 25 % de chance en moins d’obtenir des hausses de salaires, et accèdent moins aux postes à responsabilités. C’est logique qu’elles soient plus inquiètes concernant leur avenir économique et donc qu’elles soient plus prudentes. »

Dans la sphère sociétale, « les femmes prennent des risques, mais différents, insiste Marie Donzel. Elles vont, par exemple, faire une pause dans leur carrière au profit de leur vie de famille, ou bien déménager dans une ville ou un pays étranger pour suivre leur mari lors d’une mutation professionnelle. Elles prennent le risque d’avoir un trou dans leur CV, d’avoir une faible retraite ou encore de se retrouver dans une précarité économique en cas de divorce. Aujourd’hui, les femmes sont à la tête de 80 % des familles monoparentales. Il est évident qu’elles fassent attention à leurs dépenses, dont beaucoup sont invisibles. »

Une vision réductrice

Marie Donzel s’interroge, enfin, sur la notion même de « prise de risques ». « C’est viriliste. Face aux crises que nous traversons, notamment écologique, devons nous encore valoriser les prises de risques ? Elles peuvent nous conduire à notre perte. La prise de risque n’est pas toujours positive. »

Pour résumer, « accompagner les femmes pour qu’elles développent davantage de confiance en elles et prennent plus de risques dans leur vie professionnelle et dans leur vie personnelle, pourquoi pas, mais ce n’est pas suffisant, termine l’experte. Dire que les femmes prennent moins de risques est non seulement réducteur et entraîne une prophétie auto-réalisatrice, mais c’est aussi une manière de psychologiser le sujet. Autrement dit, de rester dans un statut quo où rien ne change. »

*L’enquête réalisée par Odoxa – pour Agipi, Challenges et BFM Business – a été menée sur Internet du 21 février au 29 février 2024, auprès d’un échantillon de 2 008 Français, dont 956 hommes et 1 052 femmes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

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