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Les jeux vidéo, reflets des stéréotypes de genre de notre société et du monde du travail ?

Les jeux vidéo sont-ils sexistes ? Nous avons souhaité nous pencher sur cette question au regard de leur influence croissante sur la société et les mentalités. Les jeux vidéo dépassent en effet désormais toutes les autres productions culturelles - cinéma, télévision ou encore musique – en termes d’audience et de chiffres d’affaires...

Aujourd’hui plus de 3,75 milliards de personnes jouent aux jeux vidéo – soit 47 % de la population mondiale (Statista 2023) – et les chiffres montrent que les femmes jouent autant que les hommes, toutes générations confondues. Pourtant les personnages féminins sont bien souvent minoritaires, fortement sexualisés et cantonnés à des rôles subalternes reflétant des stéréotypes de genre également présents dans notre société et nos entreprises.

Game over pour les 51 jeux analysés

Notre équipe de recherche a mis au point un outil inspiré du test de Bechdel [1] permettant pour la première fois de mesurer le degré de parité dans les jeux vidéo. Nous avons passé au crible 51 scripts de jeux dits « à scénario » parmi les best-sellers mondiaux. Pour qu’un jeu soit jugé paritaire, il doit répondre positivement à cinq questions portant sur la part de personnages masculins et féminins qui parlent et sont nommés, l’équilibre des temps de parole, le type de personnages qu’il est possible d’incarner, les métiers et les statuts des personnages.

Les résultats sont sans appel. Aucun des jeux ne passe le test. Même s’il existe des disparités, en moyenne, 80% des personnages des jeux vidéo étudiés sont masculins. Un taux qui peut atteindre 96% dans certains scripts. Quant aux personnages jouables (ceux que l’on peut incarner), ils sont, dans 70% des cas, de sexe masculin. De plus, les rôles attribués aux personnages masculins et féminins se révèlent très stéréotypés. Plus de 55% des personnages masculins sont des figures de guerrier – combattants, pirates, ninjas, assassins, policiers, aventuriers – autrement dit des acteurs de première ligne, quand seuls 25% des personnages féminins occupent ce type de rôles. C’est dans la catégorie « surnaturel » que l’on retrouve un grand nombre de personnages féminins sous les traits de magiciennes, sorcières et déesses. La catégorie « subalterne » ressort également en haut du classement pour les femmes : elles sont reléguées aux rôles de courtisanes, prostituées, épouses, ou « mères de », autrement dit ce sont des personnages qui n’existent pas pour eux-mêmes et n’ont pas de voix.

Et si l’on transposait le test au monde de l’entreprise ?

À travers leurs scénarios, les jeux vidéo tendent à exacerber et à perpétuer le sexisme et les inégalités femmes-hommes, mais les rôles stéréotypés des personnages sont aussi des miroirs de notre société… Et si l’on faisait passer le test aux entreprises ? Il y a fort à parier que le monde du travail échouerait de la même manière, à quelques exceptions près. Vous pouvez essayer de vous prêter à l’exercice. Imaginez-vous dans votre environnement professionnel… Y a-t-il autant de femmes et d’hommes qui s’expriment et ont de l’influence en entreprise ? Les femmes et les hommes ont-ils un temps de parole équivalent durant les réunions ?  Peut-on incarner tous les rôles, occuper tous les postes, que l’on soit femme ou homme, à tous les niveaux hiérarchiques ?

À l’ensemble de ces questions, les études existantes fournissent des éléments de réponse tangibles. La dernière édition du baromètre publié par le collectif #StOpE [2] révèle, par exemple, que, pour 8 femmes sur 10, les attitudes et décisions sexistes sont régulières au travail. Le sexisme se manifeste dans leur quotidien professionnel, dans la remise en cause de leurs capacités managériales ou vis-à-vis de la maternité. Les inégalités professionnelles persistent puisque 50 % des femmes interrogées estiment avoir déjà été confrontées à certains obstacles au cours de leur carrière en raison de leur sexe, qu’il s’agisse d’augmentations ou primes non reçues ou de promotions non accordées. Le plafond de verre auquel se heurtent les femmes dans l’avancée de leur carrière demeure une réalité. Selon l’Apec [3], l’accès des femmes cadres aux responsabilités de management et de direction reste difficile. Si 35 % des femmes cadres sont managers, contre 43% des hommes, « leur poste s’apparente bien souvent à du management de proximité » avec des équipes plus restreintes et un moindre budget à gérer. Au sein des entreprises du CAC 40 ou du SBF 120, les chiffres sont éloquents : leurs CEO ne sont des femmes que pour respectivement 3% et 7% d’entre elles (ecoDa [4]).

Les inégalités en entreprise : une pâle copie des stéréotypes visibles dans les jeux vidéo ?

Les métiers et les statuts sont-ils attribués de manière équivalente entre les femmes et les hommes ? Encore une fois, la réponse est non. Dès leur arrivée sur le marché du travail, les jeunes femmes diplômées des Grandes écoles signent moins aisément un CDI que leurs homologues masculins et souffrent d’un différentiel de salaire (CGE [5]). Un écart de rémunération qui se creuse au fil du temps en raison bien sûr des différences de postes occupés mais « à profil et poste comparables, les rémunérations des hommes cadres sont 7 % supérieures à celles des femmes cadres » (APEC). Les femmes n’ont statistiquement pas les mêmes chances de réussite ni les mêmes rôles que les hommes, ou si c’est le cas, leurs conditions financières sont moins avantageuses. La même étude montre aussi que les femmes sont inégalement réparties en entreprise : elles sont par exemple surreprésentées dans les fonctions en lien avec la santé, le social et la culture (67 % de femmes), dans les ressources humaines et la formation (62 %) ou encore la communication et la création (60 %).

Les aspirations professionnelles et les métiers demeurent donc très genrés. C’est particulièrement frappant dans les métiers du care – du soin et de l’accompagnement – historiquement dévolus aux femmes quand le monde de la finance a longtemps été dominé par les hommes. On voit que l’imaginaire collectif oriente indéniablement les choix de carrière tout comme les processus de recrutement. Mais l’entreprise ne doit pas être la caricature des stéréotypes de notre société, comme c’est le cas dans les jeux vidéo. Elle ne peut être le réceptacle passif de toutes ces formes de ségrégation professionnelle mais doit lutter activement contre ces biais, contre ces inégalités. C’est là que se joue sa responsabilité sociétale.


[1] Test en trois questions utilisé pour déterminer si un film est sexiste ou non.

[2] Baromètre sur le sexisme ordinaire au travail – Edition 2023

[3] Apec, Inégalités femmes-hommes chez les cadres

[4] ecoDa – Barometer of Gender Diversity in Governing Bodies in Europe

[5] Baromètre égalité femmes-hommes 2022 publié par la Conférence des Grandes Ecoles

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