L’écrivain et homme politique François René de Chateaubriand avait la dent dure contre les opportunistes de l’ère napoléonienne au sujet desquels il écrivait « Il faut être économe de son mépris, vu le grand nombre de nécessiteux ». Ces thuriféraires d’un jour ayant tourné casaque le lendemain de la chute de Napoléon sont décriés dans les Mémoires d’Outre-Tombe.
Dans un registre voisin, Albert Einstein affirmait “Stay away from negative people. They have a problem for every solution”. En clair, tenez-vous à l’écart des personnes négatives, car elles ont un problème pour chaque solution.
Le monde de l’entreprise regorge de personnes capables de transformer l’or de votre motivation en plomb. Parmi ces piètres managers, la veulerie peut se doubler d’un management toxique. Leur pouvoir de nuisance est alors considérable.
Les vertus paradoxales d’un piètre management
Et pourtant, tâchons de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Par-delà leurs piètres qualités humaines, ces « managers-repoussoirs » ont des vertus paradoxales en matière d’entrepreneuriat et d’innovation. En effet, sans de tels individus, beaucoup de personnes n’auraient jamais sauté le pas.
Je ne tente pas de justifier l’injustifiable mais juste de positiver si vous deviez évoluer dans un environnement singulièrement plombé par de telles personnes.
Le premier bénéfice collatéral est la cohésion de groupe. Lorsqu’ils brillent par leur incompétence et leur méchanceté, les piètres managers permettent de resserrer les rangs au sein de leurs équipes. Ce sera certes contre eux mais quelle économie en matière de « team building » !
De Sir Thomas Gresham à Joseph Schumpeter
A court terme, en créant de problèmes là où il n’y en avait pas, ils démontreront à leur manière la loi de Gresham selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne. Les équipes vont en effet « thésauriser leurs talents respectifs », leur implication ne sera qu’apparente et leurs comportements deviendront purement transactionnels, ce qui fera prospérer la médiocrité au sein de leur organisation.
Quand la confiance fait défaut, les relations professionnelles se réduisent à des mécanismes de rémunération et de pouvoir.
A moyen terme, nos génies de la démotivation illustreront la métaphore schumpetérienne de la destruction créatrice. En effet, des activités nouvelles renaîtront des limbes des business qu’ils auront plantés. Leurs concurrents se délecteront de voir se désagréger une pépite. Si les civilisations sont mortelles, il en est de même des entreprises.
En démotivant jusqu’aux meilleurs, nos contre-modèles stimuleront la fuite des cerveaux et la création d’entreprise. C’est toute la thèse de cet article qui analyse les motivations principales des entrepreneurs. De nombreuses enquêtes soulignent en effet que l’argent est rarement la principale motivation des entrepreneurs. L’entrepreneuriat est principalement lié à :
- L’indépendance et l’autonomie : beaucoup d’entrepreneurs souhaitent « être leur propre patron » et prendre des décisions par eux-mêmes sans obéir à des injonctions parfois absurdes.
- La réalisation personnelle et le souhait de donner un sens à son travail en concrétisant ses propres projets.
En écho à ces enquêtes, je pourrais citer quantité d’échanges avec des entrepreneurs confiant que leur décision de quitter leur ancienne entreprise pour créer la leur était liée à une quantité excessive de couleuvres à avaler.
La proximité de la crise de la quarantaine est souvent un puissant vecteur de passage à l’acte : l’âge moyen des créateurs d’entreprises innovantes est en effet de 38 ans.
La valeur et le prix de la liberté
Le luxe ultime serait-il de « faire ce que l’on aime avec les gens que l’on aime » pour reprendre une réplique du second épisode de « La Nuit au Musée » ? L’entrepreneuriat est un moyen d’y parvenir, à condition de s’être suffisamment préparé.
Cet article ambitionne simplement de vous faire réfléchir à vos talents et à la manière de les exprimer via le développement d’une activité innovante au sein d’une entreprise existante… voire de la vôtre si ce n’est pas déjà le cas !
Afin de vous permettre « d’inventer l’activité qui vous ressemble » en compagnie de personnes qui partagent vos valeurs, vous gagnerez à échanger avec des entrepreneurs qui s’épanouissent dans leurs jobs respectifs. Ils partageront à la fois leurs rêves et leur réalité quotidienne, en écho à l’aphorisme de Henry de Montherlant selon qui « La liberté existe toujours. Il suffit d’en payer le prix ».
- Étienne Krieger, diplômé d’HEC et docteur ès sciences de gestion à l’Université Paris-Dauphine, est Professeur Affilié à HEC Paris et expert en matière de finance entrepreneuriale. Il est directeur académique du programme HEC Challenge + (France & Afrique) et du certificat exécutif « Dirigeant PME : Innovation, Impact & Croissance ». Il est également Directeur Scientifique du Certificat Entrepreneuriat et Conseiller Scientifique du MSc in Innovation and Entrepreneurship (MSIE) d’HEC Paris. Enseignant à HEC Paris, il a accompagné plus de 1000 créateurs et dirigeants d’entreprises innovantes. Il est président du Club Challenge +, association regroupant une centaine de dirigeants d’entreprises innovantes. Il est membre du comité d’investissement du fonds d’investissement Paris Saclay Seed Fund.