À l’origine de ce néologisme se trouvent deux salariées de Danone passionnées par les transformations sociétales : Anne Thevenet-Abitbol, directrice prospective et nouveaux concepts, et Charlotte Darsy, Healthy aging director. Selon elles, être nold, c’est se sentir pris en étau entre deux générations, sans vraiment trouver sa place. « La tranche d’âge 45 et 65 ans est souvent ignorée ou sous-représentée. On leur renvoie l’image d’un senior, alors que cela ne correspond pas à leur réalité : ces personnes sont pleines d’énergie et d’enthousiasme. Le sociologue Ronan Chastellier, auteur du livre « Tendançologie », parle d’un “tonus existentiel” pour les décrire », explique Anne Thevenet-Abitbol. Les deux créatrices ont décidé de lutter contre les représentations négatives qui conduisent à l’âgisme ordinaire en créant le mouvement nold en 2021.
« Comme le disait Albert Camus, “Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde”. Il était fondamental de commencer par désigner cette génération », poursuit Anne Thevenet-Abitbol. Rapidement, cette initiative devient un véritable phénomène suivi par une large communauté. Plus de 80 000 personnes suivent les posts humoristiques des comptes Instagram et Facebook et lisent la newsletter hebdomadaire mêlant dérision, inspiration et conseils. Alors que la France compte 17 millions de 45-65 ans, la reconnaissance de cette cohorte hybride semble essentielle pour adresser les enjeux professionnels autour de l’inclusion et de la gestion des carrières récemment allongées.
Âgisme : une discrimination (encore) banalisée
« L’âge est la dernière discrimination assumée », selon Anne Thevenet-Abitbol. Dans une enquête menée par le cabinet Alternego, près d’un tiers des seniors estime avoir déjà été victime de discrimination. Elle s’exprime de différentes manières détournées : « Dans de nombreuses entreprises, dès 45 ans, les salariés sont perçus comme des personnes sur qui on peut moins compter. Ou alors ils ne seront plus identifiés pour pourvoir certains postes à responsabilités », poursuit-elle. Des chiffres corroborés par l’enquête mentionnée ci-dessus : 60% des salariés expérimentés affirment que leurs contributions professionnelles ne sont pas reconnues à leur juste valeur et 52% (des plus de 60 ans) considèrent que certains postes ne leur sont plus accessibles. Autre observation : les personnes peuvent être subtilement encouragées à transmettre leurs compétences, « alors que beaucoup veulent d’abord continuer à produire ». En effet, d’après l’enquête Projections professionnelles des cadres séniors de l’Apec, 69% des plus de 55 ans expriment une forte passion pour leur travail et une volonté de contribuer à l’innovation. Pour finir, Anne Thevenet-Abitbol confie qu’il n’est pas rare d’entendre des discussions feutrées autour du ratio salaire/compétences : « Comme la personne expérimentée est souvent bien payée, pourquoi ne pas recruter une personne plus junior – donc moins chère – à compétences égales ? »
Parier sur les nolds : une stratégie gagnante pour les entreprises
« Il faut cesser de considérer les salariés de plus de 45 ans comme un problème », affirme Anne Thevenet-Abitbol. Et pour cause, l’enquête de l’Apec met en évidence que plus de 9 cadres seniors sur 10 se déclarent engagés ! Leur désir de développement personnel et professionnel ressort largement : 6 cadres seniors sur 10 expriment leur intérêt pour le pilotage de nouveaux projets ou le développement de compétences supplémentaires. C’est un véritable gisement d’énergie dont les entreprises doivent se saisir. Comment ? Les deux créatrices du mouvement proposent quelques pistes :
- Développer les mobilités horizontales : « Chez Danone, j’ai changé plusieurs fois de postes ce qui m’a permis d’acquérir des compétences sur la data, le marketing et le digital alors que je n’y étais pas prédestinée », raconte Charlotte Darsy. D’un point de vue RH, il s’agit de valoriser les profils dits “T-shaped” – experts et polyvalents – grâce à des progressions de carrière transdisciplinaires et moins linéaires.
- Revoir les schémas organisationnels classiques : « Les entreprises hiérarchiques traditionnelles doivent changer, sinon elles courent à leur perte », alerte Anne Thevenet-Abitbol qui revendique des organisations davantage en réseau et beaucoup moins pyramidales. L’intrapreneuriat, en place chez Danone, est une initiative qui permet d’innover au sein même de l’entreprise en s’appuyant sur la diversité des expertises internes.
- Installer une culture de la diversité : « L’entreprise est comme une symphonie – du grec « qui résonne ensemble » – à condition que l’entreprise permette et encourage la diversité. L’intergénérationnel en est l’un des vecteurs », souligne Anne Thevenet-Abitbol. C’est un thème qui lui est cher puisqu’elle a créé Octave en 2012, un programme de leadership intergénérationnel qui fait travailler ensemble jeunes, seniors et quadras, révélant les besoins et modes de fonctionnement de chacune des générations.
L’état d’esprit, le meilleur allié pour prendre son destin pro en main
Si la responsabilité de l’entreprise est essentielle pour faire bouger les lignes sociétales, celle de l’individu l’est tout autant selon les deux créatrices. Le mouvement nold agit à deux niveaux : « Le regard que la société porte sur nous et celui que nous portons sur nous-mêmes. Notre démarche vise à aider les personnes à ne pas intérioriser ce que la société leur renvoie. Sinon elles deviennent coresponsables de la situation. », explique Anne Thevenet-Abitbol. L’un des adages fétiches des nolds en atteste : « L’âge n’est pas un état civil mais un état d’esprit ». « Tant que l’on est passionné, on est passionnant. Tant que l’on s’intéresse, on est intéressant. Il faut s’inscrire dans cette dynamique pour rester connecté au monde qui nous entoure et oser entreprendre de nouvelles choses », conclut Charlotte Darsy.