9,3 millions de personnes sont des aidants en France, selon les derniers chiffres de la Drees. C’est-à-dire qu’elles apportent une aide régulière à un proche en situation de handicap ou en perte d’autonomie. Ces personnes ne vivent pas systématiquement dans le même logement. Cette aide prend différentes formes : services dans la vie quotidienne, soutien moral et / ou aide financier. Deux tiers des aidants – dont près de 33 % ont entre 50 et 64 ans, autrement dit en fin de carrière professionnelle – consacrent 5 heures en moyenne par semaine à cette activité. Cette durée peut grimper jusqu’à 20 heures. Cette situation d’aidance dure 6 ans en moyenne, mais peut aller bien au-delà lorsque les aidés sont des enfants.
Un tabou persistant
Si plus de la moitié (58 %) des aidants ont du mal à concilier cette situation avec leur vie personnelle et leur vie professionnelle, très peu en parlent : « Soit parce qu’ils ne se considèrent pas comme tel, un aidant sur deux dans le déni s’ignore. Soit parce que les aidants, souvent salariés, redoutent de voir leur carrière pénalisée par leur employeur », explique Gauthier Caron-Thibault, responsable du pôle prévention à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Pourtant, le risque majeur « est d’inverser la situation de fragilité. L’aidant s’épuise au point de parfois tomber plus gravement malade que la personne aidée. »
Ce phénomène devrait s’accroître dans les prochaines années, notamment au regard du vieillissement de la population française. C’est pourquoi, la CNSA – en collaboration avec le ministère des Solidarités, la Sécurité sociale, l’ANDRH et de nombreuses associations, telles que l’APF, l’UNAF, l’UNAFAM – a lancé récemment une vaste campagne de sensibilisation. Le premier défi est de donner de la visibilité à cet enjeu de société. L’aidant a tout intérêt à « sortir de l’isolement », poursuit le responsable de la CNSA. Une fois identifié, il peut en effet être orienté vers des « plateformes de répit et autres aides auxquelles il peut prétendre », détaille-t-il. Plusieurs associations locales assurent un maillage complet du territoire français en proposant un accompagnement psychologique, des actions médico-sociales, des formations pour adopter les bons gestes, un accueil de quelques jours pour les soulager, des aides financières, etc.
Éviter absentéisme et démissions
À l’échelle des entreprises, le manque de visibilité autour de l’aidance est tout aussi important : six salariés sur dix ne savent pas que leur organisation met en place des dispositifs, tandis que moins d’un salarié aidant sur deux a informé son supérieur hiérarchique de sa situation. Christine Gaillard-Lamidel, directrice générale de Tilia, filiale de BNP Paribas, y a été confrontée pendant une dizaine d’années, avant que le Covid-19 ne permette une meilleure conciliation des temps de vie : « J’étais double aidante pour ma grand-mère malade et pour mon fils dyslexique. C’est un rôle chronophage et complexe. Les démarches administratives ne sont pas simples, trouver des prestataires qualifiés est également difficile. J’ai trouvé des solutions, car c’étaient mes proches et que je les aimais, comme beaucoup d’aidants, mais si c’était à refaire, je le ferais différemment. Je me suis épuisée. »
Les organisations doivent « mieux accompagner leurs salariés aidants pour éviter l’absentéisme et les fidéliser », abonde Gauthier Caron-Thibault. Aujourd’hui encore, près d’un tiers ont dû quitter leur travail. Pour éviter cela, elles peuvent, par l’intermédiaire des managers, « rassurer les salariés afin de libérer la parole. » Et pour ce faire, elle n’a pas « besoin d’être intrusive en connaissant tous les détails de la situation personnelle de l’aidant », précise la dirigeante de Tilia. Mais, anticiper les besoins de « conciliation des temps de vie de ces salariés permettra aux entreprises d’éviter une grande désorganisation. » Elles doivent davantage miser sur « les compétences des salariés aidants, comme la résilience et la persévérance, plutôt que sur leur disponibilité à temps complet, affirme le responsable de la CNSA. Elles sont désormais capables de le faire, en s’adaptant à chaque situation, notamment grâce au télétravail depuis le Covid-19. »
Temps de travail aménagé
Un tabou que des acteurs privés – comme Casino, la Macif ou encore Schneider Electric – tentent de lever depuis une dizaine d’années. Le géant énergétique français propose, par exemple, à ses salariés aidants des horaires aménagés, des jours de télétravail dérogatoires jusqu’à 100 % pendant une durée déterminée de 3 mois maximum, des jours de congés rémunérés supplémentaires, dont deux demi-journées annuelles octroyées sans qu’aucune justification ne soit demandée. Cela peut passer également par des dons de jours de congés de la part de collègues, des ressources financières additionnelles, ou encore une mobilité géographique, complète la DG de la plateforme dédiée aux salariés aidants.
Et Gauthier Caron-Thibault de conclure : « Cette mobilisation doit être portée à tous les niveaux de la société : des associations aux entreprises. Un maximum de personnes doivent être sensibilisées. C’est un défi de société que nous devons relever ensemble. Car tout le monde peut être concerné un jour ou l’autre. »