En quoi l’humilité est-elle une qualité essentielle pour un manager ?
L’humilité est une notion primordiale pour un manager car elle permet de contrer l’image du « manager super-héros ». Ces dernières années, on a eu tendance à glorifier les personnes en position de pouvoir, les décrivant comme des capitaines d’industrie extraordinaires ou des surhommes ne dormant que peu d’heures. Cette mythologie autour des figures d’autorité est néfaste car elle les prive de leurs qualités humaines. Les surhommes, comme Superman, ne possèdent pas les mêmes qualités que nous. Réhumaniser ces individus et sortir de cette mystification est crucial. En effet, l’humilité consiste à reconnaître sa propre vulnérabilité, ce qui permet de créer des normes saines et un climat de sécurité psychologique favorable.
Le manager, en tant que porteur de normes, a une influence importante sur son équipe. Prenons un exemple concret : si vous quittez le bureau tous les soirs à 20h en disant à vos équipes « partez quand vous voulez, ça ne me dérange pas », et que vous envoyez des e-mails le samedi en précisant « je ne vous demande pas de faire la même chose », votre comportement devient toxique. Puisqu’en réalité, les gens ne font pas ce que l’on dit, mais ce que l’on fait.
Le devoir d’exemplarité du manager implique donc de prendre conscience que son comportement influence directement celui de ses collaborateurs. En effet, les gens ont tendance à reproduire les actions et les attitudes de leur supérieur, même si ce n’est pas explicitement demandé.
C’est là que l’humilité entre en jeu. Un manager humble reconnaît qu’il est un être humain comme les autres, avec ses propres faiblesses et émotions. Il éprouve parfois de la fatigue, du stress, de l’agacement, voire de la colère. Reconnaître sa vulnérabilité permet aux membres de l’équipe de faire de même. En effet, si un manager se montre toujours parfait et inaccessible, ses collaborateurs risquent de se sentir intimidés et de ne pas se sentir à l’aise pour exprimer leurs propres difficultés. Une phrase dit que « retenir nos larmes, ça ne nous rend pas moins malheureux », au contraire. Le devoir d’exemplarité du manager implique donc la prise de conscience que ses actions influencent directement le comportement de ses collaborateurs.
En quoi l’humilité est-elle reliée à ce devoir d’exemplarité ?
Si un manager manque d’humilité et refuse de reconnaître sa propre humanité, il lui sera difficile de créer un environnement de travail sain et bienveillant. En effet, un manager est, comme tout être humain, sujet à des émotions diverses : fatigue, stress, colère, etc. Reconnaître sa vulnérabilité et ses émotions permet au manager de les gérer de manière saine et d’éviter qu’elles n’impactent négativement ses équipes. En assumant sa part d’humanité, le manager en reconnaissant sa vulnérabilité, il permet à ses collaborateurs de faire de même.
Retenir nos larmes, ça ne nous rend pas moins malheureux, bien au contraire. Créer un climat de sécurité psychologique est un facteur clé de performance. Des études ont démontré que les équipes évoluant dans un environnement psychologiquement sécurisant présentent moins de conflit, de meilleures performances business, un turnover réduit, et une diminution des problèmes de santé et de l’absentéisme.
L’objectif premier d’un manager est de stimuler la productivité de son équipe. Reconnaître sa vulnérabilité, faire preuve d’humilité face à ses propres émotions, y compris les négatives, favorise un climat propice à la performance. Cette transparence permet d’établir une norme saine et un climat de sécurité psychologique favorables à l’épanouissement, à la réussite des collaborateurs, et donc à la performance.
Est-ce aussi un enjeu d’engagement et de QVT ?
L’humilité et la modestie permettent aussi de mettre en avant les réussites de son équipe et de la développer. Qui n’a pas connu le manager un peu le looser, qui dès que tu réussis quelque chose, en fait te prends ta réussite, tire la couverture sur lui, éclipsant la lumière qu’il y avait sur vous ? Au moment où quelqu’un fait ça, tout de suite tu vas le mésestimer et c’est fini derrière. Tu pourras plus le ré-estimer ; parce que quelqu’un qui vient spolier la reconnaissance qui t’était légitimement dûe va perdre toute crédibilité. Cela va désagréger l’alliance manager-collaborateur.
Imaginons un manager qui, à chaque succès de son équipe, s’empresse de s’attribuer le mérite, minimisant la contribution de ses collaborateurs. Cette attitude, loin de les inspirer, les décourage et les conduit à le mésestimer. La confiance et le respect, piliers d’une collaboration fructueuse, s’érodent irrémédiablement. Un manager qui spolie la reconnaissance légitimement due à son équipe perd toute crédibilité et sape les fondements de l’alliance entre le manager et ses collaborateurs.
L’humilité d’un manager se manifeste par sa capacité à mettre en avant les réussites de ses collaborateurs, plutôt que de chercher constamment à se mettre en lumière. La modestie managériale implique de ne pas s’accaparer systématiquement le centre de l’attention. En effet, en se retirant de la lumière, le manager permet à son équipe de la prendre et de s’affirmer. Comme le souligne le philosophe Charles Pépin, le véritable pouvoir réside dans la capacité à en déléguer une partie aux autres. Le manager humble, bien qu’occupant une position d’autorité (la relation managériale étant par nature une relation de subordination), sait se décentrer pour laisser ses collaborateurs briller. Cela leur permet de valoriser leur travail et de s’épanouir professionnellement.
De même qu’une plante privée de lumière dépérit et ne peut se développer, un collaborateur non reconnu ne peut s’épanouir. La reconnaissance du manager est donc essentielle à la fois pour l’engagement et le développement de ses équipes.
Comment se manifeste concrètement l’humilité managériale ?
L’humilité managériale se traduit par la capacité à privilégier la relation humaine au détriment du besoin d’avoir raison. Cela se traduit par « l’empathie cognitive », qui consiste à comprendre et à partager les émotions des autres. Un manager humble privilégiera la relation avec ses collaborateurs plutôt que de chercher à avoir raison à tout prix (combien même cela viendrait impacter la performance de l’équipe, le bien-être des collaborateurs ou la qualité des relations).
Un manager doté d’empathie cognitive et d’humilité favorise un climat de travail serein et des relations saines avec ses collaborateurs. L’humilité implique ainsi de savoir accepter de ne pas toujours avoir raison et de taire parfois son désir de le faire savoir, afin de préserver la relation avec ses collaborateurs.
La capacité à se remettre en question est un autre aspect fondamental de l’humilité managériale. Il s’agit de la « métacognition », qui consiste à réfléchir à ses propres pensées et processus mentaux. Naturellement, nous ne sommes pas toujours très doués pour cela, et il existe de nombreux sujets sur lesquels nous n’avons pas une conscience claire de nos pensées, car notre connaissance de notre propre savoir est limitée. Un manager humble reconnaît qu’il y a probablement des choses qu’il fait encore mal, des aspects de son métier qu’il doit améliorer et des méthodes de travail qu’il doit faire évoluer, même après de nombreuses années à faire son métier.
Un manager qui manque d’humilité ne montre pas l’exemple et ne se remet jamais en question. Il s’aveugle sur ses connaissances et ses méthodes, refusant de les remettre en question, se retranchant derrière son statut. L’humilité, en tant que capacité de remise en question, consiste à considérer que notre rôle, quel qu’il soit, n’est qu’une construction sociale qui ne reflète pas nécessairement notre intelligence. Il s’agit de partir du principe que même avec une grande expérience, nous n’avons pas toujours raison. Cette remise en question permet à l’équipe de progresser et de se développer, ce qui contribue en retour à améliorer nos propres compétences managériales. En effet, c’est notre équipe qui nous fait avancer, et non l’inverse.
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En pratique, quelles sont les principales difficultés rencontrées par les managers qui cherchent à développer leur humilité ?
Cultiver l’humilité en tant que manager peut s’avérer ardu en raison de plusieurs obstacles. Premièrement, il existe une confusion fréquente entre humilité et autoflagellation. Être humble ne signifie pas se dévaloriser publiquement ou adopter une fausse modestie servant à masquer son égoïsme.
L’humilité se situe sur une ligne de crête entre deux extrêmes : l’excès et la carence. D’un côté, on retrouve la fausse modestie, où le manager se met au centre de tout, évitant que les autres brillent, ne donnant aucune reconnaissance, accaparant tout et contrôlant excessivement. De l’autre côté, un excès d’humilité se traduit par un manager incapable de prendre des décisions ou de faire des choix, persuadé que les autres sont meilleurs que lui, s’excusant constamment et manquant de courage.
En tant que collaborateur, on a besoin d’un leader qui inspire confiance et définit un cadre clair. Comme le dit l’adage, « ceux qui ont de l’autorité n’ont pas besoin d’être autoritaires ». Fixer un cadre et indiquer la direction à suivre ne relève pas de l’autoritarisme, mais permet aux collaborateurs de progresser dans un environnement structuré. Le principal défi pour un manager consiste donc à trouver le juste équilibre dans l’exercice de l’humilité, en évitant de basculer dans l’autoflagellation ou la fausse modestie, qui n’est qu’une autre forme d’égoïsme.
Comment développer concrètement son humilité ? Faut-il se former ?
Le management n’est pas incompatible avec le développement personnel et la remise en question de ses pratiques. Cependant, pour être humble, il est d’abord important d’avoir une bonne estime de soi. En effet, les personnes qui manquent de confiance en elles ont tendance à vouloir se mettre en avant pour la compenser.
Lorsque l’on a une juste appréciation de ses propres valeurs, ni Superman ni sac de farine, mais plutôt quelque part entre les deux, on n’a plus besoin de chercher à briller constamment. Que ce soit par la formation ou par un travail personnel de développement, il est possible de travailler sa confiance en soi et de se concentrer sur ses succès. Cela permet de développer une estime de soi saine et d’éviter de chercher à se valoriser aux dépens des autres.
L’estime de soi peut être comparée au tonneau des Danaïdes : si elle est percée de toutes parts, il faut la remplir sans cesse, sans quoi elle se vide irrémédiablement. Il est donc important de « combler le tonneau » pour ne pas demander sans cesse à son équipe de la remplir pour soi-même, ce qui peut être épuisant pour soi et pour son équipe.
Pour cultiver l’amour de soi inconditionnel et l’humilité, il faut s’ouvrir à la nouveauté et à l’apprentissage. Rester dans sa zone de confort et refuser toute nouveauté ne peut qu’engendrer une peur du monde extérieur. Pour l’appréhender dans toute sa diversité, il faut sortir de sa routine et se confronter à l’inconnu. Toutefois, mieux vaut progresser de manière graduelle. Si vous n’avez pas fait de sport depuis des années, il ne faut pas commencer par un marathon. Commencez par marcher, puis augmentez progressivement la distance et la durée de vos efforts. C’est ce que la psychologie appelle le modèle « Broaden and build » : élargir et construire. Ce modèle nous enseigne que plus on se confronte à la nouveauté, plus on développe nos capacités d’adaptation et notre « répertoire de réponses comportementales ».
Un manager qui souhaite développer son humilité, ses compétences et sa sérénité pour mieux diriger son équipe, devrait régulièrement tester de nouvelles pratiques, se confronter à l’inconnu et s’adapter. En acquérant ainsi une « sécurité narcissique » et une confiance en ses capacités de management, il n’aura plus besoin de chercher constamment l’approbation de son équipe en s’appropriant les réussites de ses collaborateurs. Il évitera ainsi de devenir un manager toxique.
Comment l’entourage du manager, y compris les RH et les salariés, peut-il l’aider à prendre conscience de son manque d’humilité ?
Aborder le manque d’humilité d’un manager peut être délicat, car cela touche à des aspects personnels, intimes. Le feedback 360 degrés, souvent utilisé dans le cadre du développement managérial, peut ici s’avérer utile. Cette méthode permet par exemple à une trentaine de personnes d’évaluer le manager sur différentes composantes de son comportement. Elle offre au chef d’équipe une vision objective de son mode de fonctionnement et peut l’aider à prendre conscience de son manque d’humilité.
Souvent, les managers qui manquent d’humilité ont des comportements désagréables pour se rassurer et prouver leur valeur, par insécurité. Le feedback 360 degrés peut leur faire prendre conscience de l’impact négatif de leur comportement sur leur entourage ; parce qu’il ne peut pas y avoir de progrès sans lucidité.