Tribune – Par Paul Poupet, entrepreneur (Seed-Up, Hacker-Houses).
Le projet de loi Pacte – plan d’action de croissance et de transformation des entreprises – a été adopté en première lecture ce mardi 9 octobre avec 361 voix pour et 84 contre. L’ambition affichée par le gouvernement Philippe en proposant aux parlementaires le vote de ce Plan est d’améliorer la compétitivité, l’innovation des entreprise françaises et de réduire le taux de chômage.
Une attention particulière est aussi portée à la question du rôle social de l’entreprise, notamment dans le rôle conféré aux salariés. Question particulièrement sensible au regard des nombreuses études montrant le désengagement croissant des salariés vis-à-vis de leur travail :
selon un sondage de l’institut The Gallup organization, seuls 6 % des salariés sondés en février-mars 2018 s’affirmaient engagés au travail, soit trois points que lors de leur précédente étude de 2015.
La volonté de l’exécutif de dynamiser notre économie n’est pas nouvelle. Des réformes successives ont conduit à la libéralisation du marché du travail par l’instauration d’une plus grande flexibilité pour embaucher, mais aussi pour se séparer des ses salariés. Ainsi, en 2008 la Loi de modernisation de l’économie a ouvert la possibilité de rupture conventionnelle d’un CDI et permis un allongement de la période d’essai. Plus récemment, les ordonnances travail de fin 2017 ont créé le CDI de chantier, permettant à un employeur d’embaucher une personne pour une durée indéterminée dans le cadre temporel de la livraison d’un chantier ou d’une mission.
Cette libéralisation a été accompagnée par la multiplication des aides ou encouragements pour créer une entreprise ou devenir indépendant, soit s’auto-employer. La loi Allègre de 1999 sur l’Innovation et la Recherche a – par exemple – créé les premiers incubateurs publics. En parallèle, l’État français a investi massivement – par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts puis de la BPI à partir de 2012 – pour qu’un écosystème privé de start-up puisse exister. Plus encore, le gouvernement a doublé les seuils du chiffre d’affaire autorisé suite à l’adoption massive du statut d’auto-entrepreneur créé en 2008.
La loi Pacte s’inscrit dans cette même dynamique en permettant la création d’entreprise 100 % en ligne, en faisant la promotion de l’entrepreneuriat à l’école primaire et au collège et en facilitant les démarches des chercheurs souhaitant créer leur entreprise par l’abandon de l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique.
Mouvement qui présente pourtant un bilan contrasté
Si le CDI demeure un contrat protecteur et statutaire – clé d’accès et au crédit et au logement -, la multiplication des statuts alternatifs est venue augmenter les inégalités entre les salariés employés en CDI et les autres. Si bien que de plus en plus les indépendants s’organisent et se rassemblent en coopératives d’activités qui leur permettent de devenir salariés de la structure, c’est par exemple le cas de Coopaname à Paris.
Malgré cela le nombre d’indépendants a augmenté de 25 % depuis 2003. La promotion de la figure aspirationnelle de l’entrepreneur du digital – à l’image d’un Mark Zuckerberg – a conduit des milliers d’actifs à se convertir ou à intégrer des incubateurs de start-up. Première cible de ce marketing : les étudiants via le développement de parcours entrepreneuriaux en fin de parcours scolaire (on dénombre un taux 25 % de chômage pour les moins de 25 ans). Mais l’auto-emploi s’est aussi généralisé dans un contexte de chômage de masse à “une population qui ne parvient pas à accéder autrement au marché de l’emploi”, selon la sociologue Sarah Abdelnour dans son livre “ Qui sont les nouveaux prolétaires ?”.
Or – et par voie de conséquence – si les revenus des entrepreneurs ou free-lances sont par définition plus aléatoires, ils sont également en majorité plus faibles. En témoignent les chiffres de dépôt de bilan des start-up (près de 90 % échouent selon une étude INSEE) et du revenu moyen des auto-entrepreneurs (410 euros mensuels pour les non salariés en 2014).
Loin de l’image d’Épinal de la Silicon Valley, la prolifération des plates-formes de free-lances ou de mécanismes législatifs tels que le CDD de missions conduisent surtout au développement d’une logique de travail à la tâche qui était celle des tâcherons du 19e siècle.
Les rédacteurs de la Loi Pacte semblent avoir pris la mesure de ces difficultés en favorisant la démarche entrepreneuriale de personnes mieux formées comme les chercheurs, mais aussi en apportant un cadre plus protecteur aux entrepreneurs : obligation de déclaration du travail du conjoint, conservation de la rémunération du dirigeant en cas de redressement judiciaire, création prochaine d’une sécurité sociale pour les indépendants…
L’aune d’un nouveau capitalisme fondé sur la redistribution directe de la valeur ajoutée en entreprise
D’un point de vue sociétal, cette libéralisation a aussi un coût, surtout si l’on souhaite l’accompagner de protection. Ainsi, un salarié d’une entreprise cotise à hauteur de 47 % de son salaire alors qu’un indépendant ne cotise qu’à 22 %. Les créateurs de start-up bénéficient quant à eux de crédits d’impôts et de subventions publiques massives. Ce qui ne va pas sans poser une question en terme de viabilité d’un retour sur investissement, mais aussi de maintien de notre modèle social basé sur le principe de solidarité.
Mais en matière d’incitation à l’engagement, la situation n’est pas forcément plus favorable dans les grands groupes en quête d’innovation. Si la loi prévoit une obligation de rémunération supplémentaire depuis 1990 pour les inventions de salariés, la propriété intellectuelle appartient exclusivement à l’entreprise et la prime versée est forfaitaire et non pas proportionnelle à la valeur créée. Comment dans ces conditions conserver l’engagement de ses collaborateurs et recruter de jeunes talents alors qu’on leur demande de porter le risque de l’innovation sans leur assurer de rémunération à la hauteur de leur engagement, ni reconnaissance du travail fourni ?
Certains chefs d’entreprise du secteur privé se sont saisis de cette interrogation et réfléchissent à un approfondissement de cette logique de coopération entre les salariés et leur employeur. Ils proposent notamment que la protection des salariés puisse être portée par l’entreprise – et non plus exclusivement par la collectivité – dans une logique gagnant-gagnant.
Dans ce sens, la loi Pacte met en place des mécanismes pour permettre aux salariés d’avoir un rôle plus actif dans l’entreprise. Il sera ainsi permis aux salariés d’être plus présents dans les CA et pour ceux travaillant dans des entreprises de moins de 250 Salariés d’être plus facilement intéressés au chiffre d’affaire de leur entreprise.
Seed-Up, une résidence d’invention technologique, qui propose des missions d’inventions technologiques à des grands comptes met ce principe au cœur de son offre RH. Son modèle de travail repose sur un statut ad hoc de salariés-entrepreneur permettant à ses salariés – experts techniques et scientifiques- de consacrer 50 % de leur temps de travail à des projets collectifs incubés en interne dont ils deviennent associés une fois une spin-off créée. Ce modèle de travail permet d’instaurer un rapport de coopération entre les salariés et leur entreprise puisque leurs différents intérêts sont alignés. Le statut s’avère aussi être un bon outil de recrutement pour des profils ne se reconnaissant pas dans les modèles traditionnels de l’entreprise.
La loi Pacte semble donc une nouvelle occasion de repenser la relation du salarié à son entreprise et l’objet social de l’entreprise. Il est urgent de réfléchir à l’adaptation du monde du travail à un monde qui change. L’avocate en droit social Me Emmanuelle Barbara suggère notamment de remettre en cause le lien de subordination entre l’entreprise et son salarié vers davantage un lien de coopération, d’autres évoquent les avantages d’un revenu universel d’autonomie, d’autres le statut de salarié-entrepreneur… Quelles que soient les pistes choisies, nous devons prendre en compte le désir d’initiative des travailleurs et minorer les conséquences néfastes que ce choix peut entraîner à une échelle individuelle comme sociétale. Sinon nous allons continuer à voir nos talents partir à l’étranger, nos salariés se désengager de leur travail et les services RH nous infantiliser avec une culture de la Happy therapy.