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Management 2025 : 6 anti-tendances pour en finir avec les injonctions

Chaque année, un flot de tendances managériales déferle sur les réseaux sociaux, ajoutant une pression supplémentaire sur les épaules des managers. Et si, au lieu de céder à cette course effrénée aux tocades managériales, nous revenions aux fondamentaux ? Voici six anti-tendances pour aborder 2025 avec sérénité.

Jamais le rôle de manager n’a été aussi ambivalent. À la fois stratège et exécutant, il doit conjuguer leadership et respect des processus normatifs, tout en individualisant les parcours sans briser la dynamique collective. Un jeu d’équilibriste qui, selon une récente étude, pousse 52 % des jeunes actifs (Gen Z) à pratiquer le « conscious unbossing », c’est-à-dire le refus de devenir manager. Les raisons ? Trop de pression, trop de conflits, et un quotidien souvent épuisant. 

Face à ce constat, deux experts du management, Isabelle Barth, professeure de management et autrice de La Kakistocratie ou le pouvoir des pires (Éditions Management & Société, 2024), et Cyril de Sousa Cardoso, auteur de Manager Sapiens – Le manager magnifique du XXIe siècle (Éditions De Boeck Supérieur, 2021), ont identifié six tendances à contre-courant. Leur objectif ? Revenir à l’essentiel en plaçant la simplicité et le bon sens au cœur de l’action managériale. 

Anti-tendance n°1 – Opter pour la simplicité comme nouvelle boussole 

« Nous sommes arrivés au bout d’un cycle de complexité pesante pour tout le monde », observe Isabelle Barth. Depuis les années 2000, la montée en puissance de l’individualisation, des modèles sophistiqués et des approches sur mesure a profondément transformé les pratiques managériales. Cette quête de complexité, visant à intégrer toutes les nuances et attentes individuelles, a atteint son paroxysme. « Les salariés expriment aujourd’hui un besoin fondamental de simplicité », ajoute-t-elle, en précisant que cette tendance résonne avec les évolutions sociétales, notamment certains récents choix politiques internationaux.

Ce retour à un cadre clair, sans tomber dans le piège du réductionnisme, constitue une réponse au chaos ambiant, selon la professeure, où une sophistication excessive finit par paralyser les décisions et l’action. Mais simplifier ne signifie pas appauvrir : « Faire simple, contrairement aux idées reçues, demande du temps et de la réflexion », affirme Isabelle Barth. Cette démarche implique d’élaguer l’inutile et de recentrer les priorités, permettant aux managers de guider leurs équipes avec davantage d’efficacité.

Anti-tendance n°2 – Composer avec l’incompétence 

En pleine mutation technologique et sociétale, l’incompétence devient un sujet incontournable pour les entreprises. « Cette incompétence existe, et il faut apprendre à s’y confronter pour mieux la gérer », confie Isabelle Barth. Avec la crise démographique et l’évolution des flux migratoires, notamment, les entreprises intègrent des profils aux parcours variés, parfois éloignés des standards traditionnels : absence de diplômes, différences éducatives ou expériences atypiques. « Il faut cesser de recruter des copies conformes en termes de CV et apprendre à valoriser des parcours moins conventionnels », poursuit-elle.

À cela s’ajoute une autre forme d’incompétence, plus insidieuse : celle liée à l’obsolescence rapide des compétences dans un monde dominé par l’intelligence artificielle. « Le management doit dépasser l’idéal d’hyper-compétence des ressources », résume Isabelle Barth. L’enjeu pour les managers sera d’apprendre à composer avec un mélange de compétences et d’incompétences, en mettant en place un cadre où l’apprentissage continu prime sur l’excellence immédiate. Cette approche permettra de transformer la diversité des savoir-faire en une force perenne et d’obtenir des résultats concrets tout en favorisant l’évolution collective.

Anti-tendance n° 3 – Assumer une part de « dédigitalisation » professionnelle 

« Nous devons assumer une part de “dédigitalisation” pour redonner de la place à l’interaction humaine », affirme Cyril de Sousa Cardoso. Ce constat repose sur le paradoxe de Moravec (issu des travaux de Hans Moravec, chercheur à l’Université Carnegie Mellon) : bien que les machines excellent dans les tâches complexes et analytiques, elles échouent face à des activités simples et intuitives qui mobilisent des compétences humaines fondamentales, comme l’empathie, la créativité ou la capacité à interpréter des émotions. « C’est précisément dans ces actions que réside le rôle du manager, qui doit accorder une primauté aux interactions et aux dynamiques de groupe », explique-t-il. 

Cela passe par des pratiques concrètes : « Identifier les talents, nourrir la confiance et recréer des rituels d’équipe sont des missions que seuls les humains peuvent accomplir. Ces activités sont essentielles pour maintenir la cohésion et donner du sens au collectif », ajoute-t-il. Pour Cyril de Sousa Cardoso, cette démarche n’est pas antinomique avec l’usage de la technologie, « à condition que l’intelligence artificielle libère du temps pour des activités qualitatives. » 

Anti-tendance n°4 – Raviver le collectif pour apaiser les esprits et préserver la santé mentale

La détérioration de la santé mentale – 42 % des travailleurs étaient en état de détresse psychologique en juin 2024 – s’impose comme un enjeu central dans les organisations. Isabelle Barth la considère comme le corollaire de deux grands phénomènes : l’individualisation excessive et la montée en complexité. Combinée à une incertitude croissante, cette conjoncture alimente une fatigue généralisée chez les managers et leurs équipes, provoquant stress, usure mentale et, parfois, radicalisation des postures.

Cette fatigue n’est pas uniquement individuelle : elle découle également d’une surcharge structurelle, selon la professeure. « La responsabilisation croissante de chacun et les injonctions à l’autonomie ajoutent une pression supplémentaire. » Comment y remédier ? « Il faut recréer un collectif spontané et écrire un récit commun qui rassemble », affirme-t-elle.

L’enjeu pour les managers est de dépasser les attentes individuelles, souvent sources d’isolement et de fragmentation, pour bâtir un socle partagé, porteur de sens. « Cet exercice est exigeant et demande de l’énergie, mais il est indispensable pour raviver le collectif, apaiser les tensions et redonner du plaisir au travail », conclut-elle.

Anti-tendance n°5 – Parier sur la contre-performance… pour produire de la valeur

« Chaque fois qu’une technologie arrive, on pense qu’elle va nous libérer du temps, mais en réalité, nous continuons à accélérer. C’est une fuite en avant », explique Cyril de Sousa Cardoso. Cette dynamique, où chaque espace libéré est immédiatement occupé par de nouvelles tâches, illustre l’un des grands paradoxes de notre époque. Faut-il en faire plus ou utiliser ce temps disponible pour d’autres activités, plus qualitatives ?

Selon Cyril de Sousa Cardoso, le véritable enjeu managérial réside dans la capacité à résister à l’injonction permanente à la performance. « Il est essentiel de recentrer le travail sur nos limites énergétiques et cognitives. Cela nécessite un acte fort de management : protéger son propre temps et celui de ses collaborateurs, tout en redonnant du sens au temps gagné. »

Cette résistance à l’accélération, en référence au philosophe allemand d’Hartmut Rosa, implique d’embrasser la contre-performance : ralentir volontairement, valoriser les pauses et même les tâches qui, en apparence, ne servent à rien mais permettent au cerveau de se reposer. « La performance doit être pensée à l’intérieur des limites humaines, et non en cherchant à les repousser constamment. C’est ainsi que nous pourrons retrouver une vision du travail plus durable et respectueuse des individus », conclut Cyril de Sousa Cardoso.

Anti-tendance n° 6 – Dépasser le carcan des statuts pour fédérer le collectif 

« Le format 100 % salarial est à bout de souffle », observe Cyril de Sousa Cardoso. À l’ère des équipes plurielles composées de freelances, intérimaires, partenaires et salariés, il est temps de dépasser la relation contractuelle classique pour piloter un collectif hybride. L’affectio societatis, cet esprit commun qui unit les membres d’une organisation, doit transcender les contrats, qu’ils soient CDI, CDD ou autres. « On croit de moins en moins à l’emploi à vie, alors créons un projet commun temporaire où chacun trouve sa place, quel que soit son statut », explique-t-il.

Le manager joue ici un rôle central. « Il doit abandonner la logique de territorialisation managériale, où chaque contrat détermine les relations de pouvoir », poursuit-il. Se faisant, cette mosaïque de statuts n’est plus une contrainte, mais devient une opportunité : elle incite le manager à revenir à l’essence même de son rôle, à savoir « fédérer, inspirer et orienter un collectif vers un objectif commun. »

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