Les médias et les experts ne cessent de nous le dire, nous sommes rentrés dans un monde imprévisible secoué par des crises de toute nature, sanitaires, climatiques, géopolitique, sociales et même civilisationnelles. Nous subirions dans le même temps un déferlement d’innovations et de ruptures technologiques changeant de fond en comble nos sociétés à coup de transitions énergétiques, de transformations digitales, de réseaux sociaux et d’algorithmes, de la fin supposée du travail avec l’essor de l’intelligence artificielle, de clonages cellulaire ou animal, ou encore du transhumanisme. A les écouter, il est difficile de ne pas être submergé par l’angoisse et le stress. Et pourtant, que nous soyons cadre ou dirigeant, nous n’avons pas le choix que de motiver et de rassembler nos équipes sur des projets collectifs et des visions partagées. Les explications de Christopher Hogg, Professeur Affilié à HEC Paris, Coordinateur Académique du Global Executive Master in Management (GEMM).
Il est loin le temps des organisations hiérarchiques structurées en fonction d’une planification bien établie. Elles sont comparées à des dinosaures amenés à disparaître car plus adaptés à ce nouvel environnement volatil, incertain, complexe et ambigu (le fameux VUCA). Certes quelques bureaucraties, encore protégées dans des îlots régaliens, résistent mais dans tous les pays même les grandes organisations publiques ont été réformées à grands coups de « New Public Management », parfois avec succès et d’autres fois non. Certains ont cru que pour affronter l’incertain, il fallait seulement réduire les coûts et donner le pouvoir à des contrôleurs de gestion dévoyés en seuls « cost killer ». Malheureusement, faire maigrir les dinosaures à coups de réformes ne les a pas rendus plus résistants, plus agiles et adaptés à ce nouvel environnement. Tout au contraire, la bête amaigrie est encore plus fragile qu’avant.
Concilier la double exigence d’agilité et de vision à long terme
D’un autre côté, les apôtres d’un darwinisme d’un autre âge ont laissé croire que face à cet incertain, la seule voie était la recherche de la survie dans l’agilité et l’opportunisme permanent. Désinvestir des secteurs victimes d’aléas contraires pour le plus rapidement possible réinvestir dans de nouveaux marchés prometteurs. Cette mobilité quasi instantanée des marchés financiers, nourrie par des liquidités abondantes, a été secondée par l’agilité des fonds de capital-risque ou de « private equity ». Les talents ont suivi le mouvement en migrant massivement vers les secteurs les plus dynamiques, les régions et les villes-mondes les plus attractives. Face à des actionnaires plus volatils et exigeants et des salariés toujours plus prompts à saisir des opportunités professionnelles en dehors de leurs murs, les entreprises ont été obligées de se réformer au risque de se vider de leur capital humain et financier.
Les dinosaures tournés sur leur structure interne et leur volonté de toute puissance ou d’excellence sans tenir compte de ce nouvel environnement vont disparaître. Les chances de survie des organisations qui ont fait de l’opportunisme et de l’agilité leur mantra sans vision et sans imaginaire d’un futur partagé au sein de leurs équipes ont de fortes chances de se transformer en poulets sans têtes et connaître le même destin funeste. Face à ces deux caricatures, le quotidien des dirigeants et des cadres est bien de concilier en permanence cette double exigence d’agilité et de vision à long terme.
Redonner une vision commune et inspirante
Une première façon de traiter cette dualité a été de structurer l’entreprise en faisceaux de projets. Cela permet de concilier planification au service d’objectifs de moyens et longs termes tout en restant flexible au gré des évolutions des différents projets initiés. Le risque serait de transformer à terme l’entreprise en une sorte d’auberge espagnole, point de rencontres entre projets, ressources humaines et capitaux. Si le futur collectif ne dépasse pas l’horizon du projet, nos collaborateurs risquent de changer aussi souvent d’entreprises que de projets. Surtout, nous risquons de glisser vers un pilotage en fonction des objectifs assignés aux différents projets, en délaissant les finalités individuelles et collectives de nos équipes. Cette évolution est à l’origine d’une recrudescence des besoins de coachings personnalisés de nos collaborateurs, souvent hors du sein de l’entreprise, pour mieux appréhender leur propre finalité individuelle. La promotion aujourd’hui des valeurs de l’entreprise, de ses finalités et de ses missions, ce que les Anglo-saxons appellent le « purpose », cherche aussi à répondre à ce besoin de redonner une vision commune et partagée pour ne pas réduire nos entreprises à des équipes de mercenaires constitués en fonction des différents projets qui sont à mener.
Il faut cependant faire attention à ne pas se gargariser de mots à la mode et à céder aux sirènes de la pensée magique car cela risque d’être insuffisant pour faire face à un monde de plus en plus imprévisible. Quelle que soit la noblesse de nos valeurs, elle sera passée au crible du réel avec ses réussites et ses échecs. Cela exige un vrai travail sur soi et au sein de nos entreprises pour qu’émerge une vraie transversalité des organisations source d’intelligence collective et d’agilité managériale. Cela passe aussi et surtout par l’imagination et le partage d’un futur collectif inspirant.