Article du 18 décembre 2019, mis à jour le 16 mars 2020, face à l’épidémie de coronavirus, qui pousse à un télétravail “forcé”
Le télétravail se développe dans les entreprises, et concerne déjà un salarié français sur trois. Une nouvelle organisation du travail qui n’est pas sans conséquences pour les managers.
Actuellement, 30 % des salariés du secteur privé pratiquent le télétravail, selon une étude récente de Malakoff Médéric Humanis (MMH). La frilosité des entreprises françaises vis-à-vis du travail à distance semble sur le point de s’estomper, et l’épidémie de coronavirus qui confine nombre de salariés chez eux devrait contribuer à démocratiser cette façon encore nouvelle de travailler. Dans cette optique, le management doit-il évoluer ?
Pour 81 % des cadres interrogés par MMH, le télétravail pousse à passer un nouveau “contrat de confiance » avec les équipes. “En France, tout est basé sur le présentéisme, avec des collaborateurs que l’on peut surveiller… Or, le travail à distance remet en question ce contrôle sur place”, analyse Caroline Diard, enseignante-chercheuse à l’EM Normandie.
Autonomie contre culture du présentéisme
Avec le télétravail, l’heure est à l’autonomie. “Des entreprises ont essayé d’installer des ‘trackers’ dans les logiciels fournis, pour savoir si le matériel est utilisé ou non… mais peu le font, car c’est perçu comme du flicage, et cela ne garantit pas qu’une production de qualité sera réalisée” , note Hortense Penhirin, consultante chez LBMG Worklabs. Selon elle, le travail à distance amène les cadres à pratiquer un management par objectifs, basé sur “la confiance et le contrôle a posteriori”.
Autrement dit, ce nouveau mode de travail serait l’opportunité de passer d’une culture du “présentéisme” à une “culture du résultat.”
“Les managers doivent repenser leur positionnement. Plutôt que d’être dans la gestion de la production, charge à eux de piloter et d’animer. En amont, ils mettent en place des process clairs pour structurer la production. En aval, tels des coachs, leur mission est de faire grandir les collaborateurs”, explique Daniel Ollivier, sociologue des organisations.
Pour Caroline Diard, les managers doivent “apprendre à lâcher prise, et accepter le fait de ne pas savoir ce que fait le collaborateur, du moment que le travail est fait”, indique-t-elle. Mais parmi ceux que la chercheuse a rencontrés, “il y en avait une majorité qui faisaient confiance à leurs salariés, mais aussi d’autres qui restaient dans le contrôle… jusqu’à installer, en douce, des systèmes pour surveiller leurs collaborateurs.”
Cohésion d’équipe et management bienveillant
Le télétravail pose un autre défi : maintenir la cohésion d’une équipe dispersée. “On vient aussi au bureau pour les interactions. Et le travail à distance dissout un peu ce lien” , constate Hortense Penhirin. Au manager de mettre en place des outils permettant d’échanger à distance, mais aussi en présentiel.
“Pour permettre aux salariés de garder le contact et de travailler ensemble de façon asynchrone, il existe de bons logiciels de visioconférences et de networking, comme Skype et Slack… Mais rien ne remplace le fait de se voir physiquement, lors de temps collectifs durant lesquels tout le monde est présent, afin que les collaborateurs restent motivés et soudés”, ajoute la consultante de LBMG Worklabs.
Vaincre les réticences
Car travailler à distance n’est pas toujours sans effets négatifs. “Les sentiments que les collaborateurs expriment le plus souvent sont la solitude et le stress. Certains, parce qu’ils ne voient pas le langage corporel de leur manager, vont jusqu’à développer des formes de paranoïa… Cela oblige à faire preuve de davantage de bienveillance pour les télétravailleurs”, constate Laetitia Vitaud, spécialiste du futur du travail.
“Cette empathie s’exprime par de petits moments échangés, en virtuel ou en présentiel, mais aussi à travers la poursuite d’un feedback positif. On a souvent tendance à dire ce qui ne va pas… or, le fait de parler de ce qui va bien est primordial”, note Laetitia Vitaud. La QVT sauce télétravail passe aussi par l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle. “Les salariés ont tendance à travailler plus longtemps quand ils sont chez eux. Le manager doit les préserver, en dosant leur charge de travail, et même en essayant de les freiner”, indique Hortense Penhirin.
Les managers suivent-ils tous ces préceptes ? D’après l’étude de Malakoff Médéric Humanis, seuls 55 % d’entre eux y sont favorables. Et les dirigeants qui ne proposent pas de travail à distance dans leur organisation sont 31 % à indiquer que cela est avant tout dû à la “résistance” des cadres.
“En général, quand des managers testent le télétravail, ils sont vite conquis. Certains auront toujours du mal à s’y faire, mais ils sont minoritaires. Car dans les entreprises, une transformation profonde des modes de management est déjà à l’œuvre : il s’agit juste d’un catalyseur pour faire évoluer les pratiques”, relativise Hortense Penhirin.
Selon Caroline Diard, on peut trouver, au sein d’une même entreprise, un grand nombre de managers qui ont accepté de lâcher un peu de contrôle, et quelques uns qui s’y agrippent. “Mais même ces derniers ont compris que la productivité est meilleure les jours où les collaborateurs travaillent chez eux”. Pour la chercheuse, tout est une question de temps : “une nouvelle génération de managers débarque déjà dans les entreprises pour changer les choses” .
3 conseils pour manager le télétravail
1 / Lâchez prise et faites confiance à votre collaborateur en lui fixant juste des objectifs précis.
2 / Organisez des temps collectifs (repas, réunions, afterworks…) durant lesquels tout le monde est présent, pour renforcer la cohésion des équipes.
3 / Prenez soin de vos télétravailleurs : faites-leur un “feedback” positif, répondez à leurs interrogations et incitez-les à ne pas faire trop de zèle.