Intuition vient de la langue latine « intuitio » qui signifie « vue, regard ». Ce mot est lui-même dérivé de « intueri » signifiant regarder attentivement en soi. Dans le contexte philosophique, le terme a été utilisé pour décrire la perception directe ou la connaissance immédiate sans recourir au raisonnement ou à l’analyse intellectuelle. Certains auteurs (Khatri & Alving, 2000) expriment que « l’intuition est un phénomène complexe qui puise dans le réservoir de connaissances subconscientes et ancrées dans les expériences antérieures ».
Dans un milieu professionnel ayant une forte aversion au risque et préférant s’appuyer sur des données tangibles et prédictibles, on comprend mieux la méfiance qui persiste à son égard. « Comme il s’agit d’informations qui remontent de l’inconscient, l’intuition reste difficile à appréhender. Résultat : dans les organisations, elle a souvent mauvaise réputation », insiste Christian Le Gousse. Pourtant, une étude menée par la revue Harvard Business Review en 2011, révèle que 85 % des PDG interrogés considèrent l’intuition comme le facteur déterminant dans leur prise de décision. Mais seulement 50% d’entre eux sont prêts à l’admettre ouvertement. Face à un monde de plus en plus complexe et incertain, l’intuition serait-elle l’arme secrète (et inavouable) des managers ?
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Quatre nuances d’intuition à connaître
Dans un article reprenant ses travaux de recherche, Christian Le Gousse met en évidence quatre typologies d’intuition :
- L’intuition heuristique se caractérise par des indications plutôt approximatives. Son rôle principal est de simplifier les sujets complexes en utilisant des raccourcis mentaux. « Cette forme d’intuition est souvent utilisée pour aller vite et prendre des décisions. Cependant, il est crucial de la gérer en questionnant les biais qui peuvent influencer nos jugements. »
- L’intuition associative est instantanée et accompagnée de sensations ou de ressentis. « Il s’agit de toutes les idées qui vont nous venir, ce qui nous permet d’être créatifs, mais aussi plus rapides dans les décisions en milieu contraint. »
- L’intuition d’expertise équivaut à 10 000 heures d’entraînement dans un domaine ou à 10 ans d’expérience. « C’est la plus acceptée ou crédible dans le milieu professionnel : l’inconscient va chercher les modèles de référence pour apporter des réponses immédiates. Attention, elle ne fonctionne que dans le domaine donné, sinon on encourt un risque d’erreur », avertit Christian Le Gousse.
- L’intuition introspective qui apporte une solution de manière différée. « Elle se manifeste comme un effet Eurêka : l’inconscient fonctionnant comme une toupie, il continue à tourner pendant que nous sommes occupés à tout autre chose que le sujet donné (sport, marche, repos…) : c’est là que les idées se manifestent. »
Selon Christian Le Gousse, on peut donc supposer qu’un manager expérimenté serait doté de quatre types d’intuition alors qu’un débutant trois. Mais quelle est leur utilité ? Un être humain prend en moyenne 35 000 décisions par jour. Or, pour la plupart d’entre elles, une analyse uniquement rationnelle est souvent insuffisante. L’intuition permet alors d’accélérer les facultés cognitives par une forme de simplification et d’automatisation. L’enjeu pour tous les individus, les managers en particulier, est d’apprendre à les exploiter en minimisant les risques d’erreur.
Trois conseils pour devenir un manager intuitif « raisonné »
Christian Le Gousse souligne un point fondamental : « L’intuition est souvent confondue avec l’émotion : « Je ne le sens pas » signifie souvent « J’ai peur ». Attention, ce n’est pas de l’intuition ! C’est ce que l’on appelle un « bruit » (en référence à l’ouvrage référence d’Olivier Sibony) qui nous empêche d’y accéder. » Pour apprendre à faire le tri, voici trois recommandations :
- Prendre le temps : « Un manager se réfère à l’intuition pour nourrir sa réflexion et, pourquoi pas, faire émerger d’autres intuitions. Mais il doit la questionner avec des chiffres, des faits, des études ou encore des enquêtes », explique Christian Le Gousse. Certains auteurs (Shapiro & Spence, 1997) recommandent de combiner des jugements intuitifs et analytiques avec une séquence temporelle qui consiste à fournir, d’abord, une réponse intuitive suivie d’une évaluation analytique plus approfondie.
- Se cantonner à son domaine d’expertise : Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978, avait défendu l’idée de « l’intuition de l’expert » afin d’expliquer ce phénomène par lequel l’humain évalue des hypothèses et prend des décisions rapides en s’appuyant sur ses expériences et l’apprentissage. Cette intuition « raisonnée » implique une utilisation circonscrite à son domaine d’expertise.
- Faire participer son équipe : il est essentiel de s’appuyer sur les collaborateurs pour remettre en question son intuition managériale, la confronter à d’autres idées afin d’enrichir la réflexion collective. « Ceci implique une culture d’entreprise avec un climat de confiance qui doit être incarné, entre autres, par le dirigeant. Sinon les salariés se brident et il y a peu de retour intuitif », souligne Christian Le Gousse
Intuition versus logique : le manager doit-il forcément choisir ?
« Opposer l’intuition à la pensée rationnelle s’avère être un contresens puisque cette première est une banque de données qui a vocation à nourrir notre raisonnement », défend Christian Le Gousse. Une vision quelque peu en résonance avec ce qu’écrivait Emmanuel Kant (Critique de la raison pure) : « Des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts, aveugles ». Jean-Étienne Joullié, professeur en management, leadership et relations au travail à l’école de management Léonard de Vinci, préfère une séparation des approches. Selon lui, si l’intuition revêt une importance capitale dans le processus de prise de décision, offrant la possibilité de transcender les connaissances établies, elle s’oppose par essence à la pensée rationnelle. « La logique scientifique repose sur la collecte de données et l’application de principes de raisonnement tels que l’induction et la déduction pour parvenir à des conclusions solides. C’est là précisément là où l’intuition et la pensée rationnelle divergent : l’une se fonde sur des conclusions avérées, l’autre prend le risque d’être influencée par des biais cognitifs. »
Sa recommandation ? Rester dans le cadre de l’expérience autant que possible… mais se montrer ouvert à l’exploration lorsque les méthodes traditionnelles atteignent leurs limites.
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