Marie Vaillant et Quentin Audrain ont fait le pari de l’entreprise libérée il y a maintenant 8 ans. Leur modèle d’organisation repose sur deux piliers que la dirigeante qualifie de « philosophiques » : « Les humains sont bons par nature, il n’est donc pas nécessaire de les surveiller. Et, chacun est doté d’un talent, il faut donc lui laisser la possibilité de l’exprimer ». Pour ce faire, à l’image des entreprises nordiques, les strates hiérarchiques sont peu visibles, et les relations professionnelles d’égal à égal. « Notre modèle est très exigeant en fin de compte, car il fait appel à des modes de pensées différents et de nouveaux réflexes. Il faut être à la fois transparent, pédagogue et rechercher l’excellence. Ce n’est pas naturel en France ! »
Aussi, afin d’expérimenter ce modèle d’entreprise libérée « jusqu’au bout », ainsi que « d’incarner l’épanouissement professionnel » qu’ils prônent à longueur de journée, les fondateurs de Yemanja ont décidé de laisser les salariés aux commandes de leur entreprise du 1er août au 31 octobre 2024. L’objectif de cet éloignement volontaire était double : renouveler leur énergie pour faire émerger de nouvelles idées, et permettre aux équipes d’explorer davantage leur liberté pour laisser s’exprimer leurs besoins et envies. « Nous devons être exemplaires, y compris en matière de lâcher-prise », ajoute Marie Vaillant.
Préparation minutieuse
Mais, un tel départ se prépare ! Parmi les tâches à anticiper : annoncer la nouvelle aux équipes relativement tôt pour répondre aux questions et éventuelles inquiétudes. Ensuite, lister les tâches urgentes à déléguer (sans que cela n’alourdisse la charge de travail des équipes), ainsi que les tâches non- prioritaires à mettre entre parenthèses. Enfin, contacter tout l’écosystème (clients, partenaires, etc), parfois de manière personnalisée, dans le but de les informer que certaines demandes ne pourront pas être traitées dans l’immédiat. Pour le reste, se souvient-elle, « nos équipes étaient complètement autonomes sur leurs tâches opérationnelles. Elles n’avaient pas besoin de nous ! »
Bilan de cette expérience inédite ? « Très positif, lance Marie Vaillant. Il n’y a eu aucun problème en interne. Les équipes ont bien travaillé et respecté leurs échéances. De nombreux moments en équipe ont été partagés ». Le risque principal, selon elle, c’était qu’« elles se retrouvent face à des difficultés et que nous ne soyons pas là pour les aider. Elles auraient pu nous le reprocher par la suite. Rien de tout cela n’est arrivé ! Nos salariés ont mesuré la confiance et les responsabilités que nous leur octroyons », se réjouit la dirigeante.
Un leader visionnaire
Si les équipes de Yemanja n’ont pas eu besoin de leurs dirigeants pendant de longs mois, ils ont toutefois réalisé le rôle primordial d’un leader, confie Marie Vaillant. Le principal enseignement tiré collectivement, « c’est que les équipes se rendent compte de l’importance d’un dirigeant quand il s’absente. Car, si notre ingérence opérationnelle est inutile, rien dans l’entreprise n’a bougé : ni dans un sens, ni dans l’autre ! Nos salariés ont parfaitement suivi le chemin que nous leur avions tracé. Ces derniers se sont concentrés sur leur travail opérationnel, mais n’ont ni eu le temps, ni l’énergie pour innover. Si nous étions partis plus longtemps, notre absence aurait probablement finit par peser, car les salariés ont besoin d’un cadre, d’une personne fédératrice, d’une énergie, et surtout d’une vision. Seul un bon leader peut apporter tout cela ! »
À titre plus personnel, Marie Vaillant dresse également un constat constructif : « Cette déconnexion totale, à la fois professionnelle et digitale, a été un grand privilège. Pour la première fois, depuis une éternité, je n’avais aucune charge mentale. J’ai essayé de mettre ce temps à profit pour ne rien faire (ou presque) : me reposer, lire, voir des amis que je n’avais pas vu depuis longtemps ». Cette pause aura eu les effets escomptés : « Recharger les batteries, faire émerger de nouvelles idées, retrouver la fraîcheur des débuts. »