Carrière

MBA : “J’ai mis un an pour trouver du travail”

Tendance ou pas, un MBA reste un produit marketing. C’est assumé par les écoles. Mariana Zanetti, chef de produit qui a effectué un MBA et écrit un livre* sur le sujet, doute de son utilité pour faire bouger une carrière. Son argument : le parcours et la personnalité du candidat sont ce qui le font avancer professionnellement. Le MBA sélectionnant les meilleurs profils, il est normal que les diplômés fassent une belle carrière. Néanmoins, elle ne rejette pas ces formations, mais invite à réfléchir à l’investissement qu’elles représentent.

Que reprochez-vous aux MBA ?
Je pense que c’est un produit démodé, trop cher, et qui n’a que peu de valeurs, sauf dans certains cas. C’est ce qui ressort de la recherche que j’ai menée pour écrire mon livre. Ce type de programme est né à Harvard il y a 100 ans. Or, depuis, le monde a changé. On entend dire que les programmes eux-mêmes ont évolué, mais les étudiants y travaillent toujours selon les modèles industriels du passé. Je ne dis pas qu’on n’y apprend rien, mais la méthode la plus répandue reste celle de l’étude de cas, de l’analyse réelle en entreprise. À partir de ce qui est observé, les étudiants tirent des conclusions sur ce qu’il aurait fallu faire. Il faut étudier le passé pour prédire l’avenir. Or, le monde du business ne marche plus ainsi. Les situations ne se reproduisent plus à l’identique.
Ce que je reproche surtout aux MBA, c’est la hausse extraordinaire des prix d’entrée. Selon une enquête du Financial Times, les étudiants qui se sont inscrits en 2012 ont payé 62 % de plus que ceux de 2005. Les écoles ont donc des tarifs exorbitants alors qu’il n’est pas garanti de trouver un boulot à la sortie. Je ne dis pas que personne ne trouve ! Mais certains étudiants mettent du temps avant de trouver, cela a été mon cas.

Le MBA ne serait donc pas, selon vous, un accélérateur de carrière ?
Ce n’est pas le MBA qui permet de trouver un travail. C’est pour eux-mêmes que les étudiants sortis de ce type de programmes sont embauchés à des postes à responsabilités par la suite, pour leur expérience et leurs qualités personnelles. Car ils ont été admis pour ces raisons-là ! Peut-être qu’ils n’auraient pas eu besoin de suivre un MBA pour atteindre ces fonctions. En tout cas, peut-être que l’investissement financier et personnel a été démesuré par rapport à l’objectif obtenu ou au temps pour l’atteindre.

 

“Les étudiants qui se sont inscrits en 2012 ont payé 62 % de plus que ceux de 2005.”

 

Estimez-vous qu’il n’y a rien à tirer d’un MBA ?
En partant de mon expérience personnelle, sans tirer de conclusions générales, je dirais que j’en tire du négatif comme du positif. À la suite de ma formation, j’ai mis un an pour trouver du travail, et c’était en 2003, alors que la croissance économique était bonne ! Quand j’ai trouvé un poste, j’ai obtenu à peu de choses près le salaire que je gagnais dans mon précédent poste. Cela dit, trois ans après, j’ai doublé ma rémunération en étant chassée par un cabinet.

N’expliquez-vous pas cette promotion par le MBA ?
J’ai été embauchée en même temps que trois autres personnes qui avaient la même expérience que moi, mais sans le MBA. Elles ont touché le même salaire, voire plus ! Nous avons l’habitude de penser que ce sont les diplômes qui sont à l’origine d’un salaire élevé, donc on en conclut que le MBA représente un bon investissement, or il n’y a aucune incidence. J’utilise souvent cette métaphore : les statistiques portant sur des gens qui achètent une maison montrent qu’ils ont plus d’argent que ceux qui achètent un appartement. Mais ce n’est pas le fait d’acheter une maison qui fait de vous une personne riche ! Pour les MBA, c’est la même chose. Jeffrey Pfeffer, un professeur de Stanford, a fait une étude sur le sujet**. Il montre qu’il n’y a pas de corrélation entre le salaire et le fait d’avoir participé à un programme, notamment pour ceux qui suivent un MBA juste à la sortie d’une école de commerce.
Si les gens qui ont suivi un MBA gagnent plus, je l’explique par le fait qu’à la base, ils ont été choisis pour leur potentiel. Dans mon livre, je fais une analyse de la rentabilité du MBA. D’un point de vue statistique, par rapport à l’argent dépensé et au temps passé, la rentabilité est négative !

Mais du point de vue de l’enseignement, un MBA ne vaut-il pas le coup ?
Les professeurs sont brillants, les étudiants y apprennent des choses très intéressantes. Le problème, c’est que les participants ne savent pas s’ils vont pouvoir appliquer tout de suite ce qu’ils ont appris. Comme les programmes restent très généralistes, il est difficile de savoir si cela pourra correspondre à l’industrie dans laquelle ils travaillent. Or, ce dont ils ont besoin, c’est de bien connaître leur propre secteur.

 

“Il ne faut pas suivre un MBA parce qu’on se sent perdu et qu’on pense que cela va booster sa carrière.”

 

Le MBA permet aussi d’apporter du réseau, c’est indéniable…
L’important est de développer un réseau spécifique, dans le domaine précis où l’on veut évoluer. Mais il est vrai que le réseau qu’on développe dans un MBA est parfois plus important que le programme lui-même ! Ce type de cursus permet de rencontrer des gens extraordinaires qui vont partir dans différents pays. Mais c’était vrai à une époque ou nous vivions dans des cercles fermés. Aujourd’hui, le réseau se construit différemment. Et dans un MBA, même si on lie des amitiés qui nous enrichissent toujours, ce ne sont peut-être pas les plus efficaces pour évoluer dans un contexte précis. Comme l’explique Hervé Bommelaer***, ce sont les contacts faibles qui ouvrent les portes les plus intéressantes. En revanche, choisir un MBA dans une spécialité très précise qui correspond à vos objectifs a vraiment du sens. Les écoles de commerce en ont de plus en plus conscience et commencent à proposer des offres de masters en rapport avec de nouveaux marchés, comme le MBA gastronomie à Lyon. Les professeurs sont en train de travailler à ce type de demande, mais il faut que le prix soit raisonnable. À mon sens, un MBA généraliste hyper cher sur un ou deux ans n’a pas beaucoup de sens. Il y a bien sûr des exceptions : si vous travaillez dans le management, dans la finance ou dans la banque d’investissement, ça fait faire un saut, parce que les entreprises cherchent ce type de profils, la formation est importante. Pour travailler dans un cabinet de conseil, cela a du sens de faire l’Insead, 40 % de vos collègues en sortiront. Si le cursus est très cher, la paie sera aussi très élevée, mais à raison de semaines de 85 heures… Tout dépend des choix de vie et des priorités. Il faut aussi avoir conscience du fait que l’augmentation de salaire vient compenser l’argent investi dans la formation. Et si c’est l’entreprise qui paye, il peut arriver que le salarié sortant du MBA n’ait pas d’augmentation parce que sa société aura déjà mis de l’argent sur la table pour la formation. Au final, il ne faut pas suivre un MBA parce qu’on se sent perdu et qu’on pense que cela va booster sa carrière ou nous aider à changer de secteur. C’est le pire des mensonges !

 

Mariana Zanetti

 

Mariana Zanetti

*Auteur de l’ouvrage Le MBA est-il un investissement rentable ?, éditions Maxima, 2014.

** “Il y a peu de preuves que la maîtrise des connaissances acquises dans les business schools améliore la carrière des gens ou même que le fait d’obtenir la qualification du MBA elle-même ait beaucoup d’effet sur le salaire des diplômés ou sur la carrière”, explique-t-il en introduction de son étude (disponible en ligne à l’adresse suivante : www.aomonline.org/Publications/Articles/BSchools.asp).

*** Consultant en transition de carrière (Enjeux &Dirigeants associés) et chroniqueur pour Courrier Cadres.

 

Interview publiée dans le numéro d’octobre 2015 de Courrier Cadres.

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