L’ancien ministre de l’Economie et des Finances, mais aussi du Travail pendant le quinquennat de François Hollande, analyse pour Courrier Cadres le plan de relance préparé par le gouvernement actuel. Il nous décrit aussi l’entreprise post-Covid-19, celle qui survivra à la crise et qui aura de toutes autres priorités.
La crise du coronavirus est-elle vraiment la plus importante que l’on ait vu depuis celle des années 1930 ?
Aucune crise n’est comparable à l’autre, car toutes ont une nature différente. Celle du Covid-19 a une caractéristique assez incroyable : elle est totalement et entièrement provoquée par la seule volonté, politique, de l’homme. On a brutalement, pour des raisons sanitaires compréhensibles, arrêté la machine économique ; de manière durable et générale, sur l’ensemble du globe. Compte tenu de la fluidité des circuits économiques d’aujourd’hui dans l’ensemble du monde, les conséquences sont considérables. Cette crise n’est pas comparable à 1930. Mais elle est évidemment la plus grave depuis la dernière Guerre mondiale.
À quoi pourrait, et devrait, ressembler l’entreprise d’après la crise ?
Il faut d’abord qu’elle survive. Il y a une urgence, qui est prise en compte par les pouvoirs publics, qui est d’éviter la mort, la disparition d’un certain nombre d’entreprises. Celles qui étaient déjà fragiles avant la crise sont considérablement menacées. Des secteurs qui étaient en expansion peuvent être désormais très durement frappés ; par exemple les transports aériens, ou le tourisme. L’entreprise doit être aujourd’hui en capacité de faire face à une urgence.
Une fois qu’elle aura survécu, elle pourra aborder l’avenir. D’abord en faisant en sorte d’éviter qu’une crise de même nature puisse avoir, de nouveau, les mêmes conséquences. Qu’il s’agisse d’une crise immédiate, due à une seconde ou troisième vague, ou arrivant plus tard, due à un autre type de virus. L’entreprise de demain doit donc intégrer cette contrainte, ce risque de caractère sanitaire, dans ses processus de travail et de fabrication. On avait intégré un grand nombre de risques, mais pas celui-ci. Toute organisation devra être en mesure de réagir rapidement pour éviter l’arrêt, grâce à un processus de production capable de s’adapter.
Enfin, l’entreprise résiliente devra tenir compte d’un certain nombre d’impératifs, que l’on a parfois tendance à couvrir par le terme “d’écologique”. Ce sont des enjeux qui ne sont pas nés avec la crise, mais qui sont apparus avec d’autant plus de force qu’elle nous frappait. Il est nécessaire d’avoir une croissance. Les tenants de la décroissance ne prennent pas en compte ses conséquences sociales. Mais la croissance de demain devra être, progressivement, et radicalement, différente. Elle devra tenir compte des enjeux écologiques, au sens général du terme, qu’il s’agisse du réchauffement de la planète, de la finitude des matières premières, ou des dérèglements environnementaux (dont de nombreuses crises sanitaires sont la conséquence).
Ce n’est pas cette crise qui provoque cette nécessité. Elle existait auparavant : elle a révélé, de manière extrêmement visible, que nous passions d’une nécessité à une exigence. Il y a aujourd’hui une exigence nécessaire de tenir compte des facteurs sociaux et environnementaux, dans tout fonctionnement d’entreprise, qu’il soit interne ou qu’il concerne l’impact externe du produit fabriqué ou du service rendu.
Que pensez-vous du plan de relance du gouvernement ? Va-t-il dans le bon sens ?
Mon avis est nuancé. Je pense que le gouvernement a pris les bonnes décisions, à peu près au bon moment, s’agissant de l’urgence ; qu’il s’agisse du chômage partiel ou des aides accordées aux entreprises. Mais le plan de relance est aussi une urgence : nous en avons besoin dès maintenant. L’on ne peut pas attendre l’automne prochain, ou que l’Europe, qui doit prendre des mesures, ait adopté, suivant des processus politiques complexes, un plan économique européen. Lorsque j’entends dire que le gouvernement prépare un plan de relance pour la rentrée ou la fin de l’année, j’ai tendance à penser que cela risque d’être trop tard pour un certain nombre d’entreprises. Il faut donc être plus rapides. Certaines décisions ont été prises, pour l’automobile, l’aérien, le tourisme. Mais globalement, ce plan, qui doit être équilibré entre la question de la demande (il faut que les gens consomment) et celle de la production (les entreprises doivent pouvoir produire dans de bonnes conditions), devrait être mis en œuvre le plus rapidement possible.
Que proposeriez-vous pour aller plus loin que ce qui est prévu ?
Il ne faut pas opposer la demande et l’offre. Aujourd’hui, les bonnes mesures sont celles qui ont un effet sur la demande (la consommation des ménages) et sur l’offre (la production par les entreprises). Par exemple, les mesures en faveur de la reconversion des automobiles sont bonnes, car elles soutiennent la demande et obligent aussi à une évolution de l’offre de la part des organisations concernées pour s’adapter. En revanche, la baisse annoncée des impôts de production, revendication ancienne des entreprises, va coûter très cher, et aura des effets indifférenciés ; sur toutes les sociétés, y compris celles qui n’en ont pas besoin. Mieux vaut des mesures de soutien à la consommation et à l’activité, dans des secteurs bien ciblés. Je serais par exemple favorable à une sorte de “chèque vacances”, qui serait utilisable uniquement sur le territoire français, et qui permettrait de soutenir la consommation, en soutenant des entreprises touristiques qui vont être extrêmement bouleversées par les conséquences de la pandémie et de ses suites.
Que pensez-vous des accords de performance collective, qui permettent aux entreprises de baisser les salaires temporairement, contre la promesse de préserver les emplois ?
En soi, dans son principe, l’APC est une bonne chose : c’est d’abord et avant tout un accord, négocié dans l’entreprise, avec la signature nécessaire des syndicats. L’idée est de faire confiance aux partenaires sociaux en interne pour trouver les solutions les mieux adaptées à la situation immédiate ; pour sauver l’organisation et les emplois. Mais il y a deux conditions à cela : si cet accord de performance comprend des diminutions temporaires de salaires, il doit y avoir une prime au moment du retour à une meilleure fortune ; pas seulement sous la forme aléatoire d’une participation, mais sous la forme de primes exceptionnelle. Il devrait aussi y avoir une modération partagée par tous, et en particulier par les actionnaires, sans quoi rien ne peut être accepté par les salariés, car l’effort est fait uniquement par un seul côté.
Pourrait-on imaginer une refonte de la gouvernance des entreprises ?
De nombreuses mesures ont déjà été prises, soit par les gouvernements auxquels j’ai participé, soit par les suivants ; que ce soit en terme de refonte des organismes représentatifs du personnel, ou de participation des salariés aux décisions. Aujourd’hui, il faut faire en sorte que ces dispositifs fonctionnent bien, dans la durée. Et il ne serait pas utile de mettre en œuvre une énième réforme qui risquerait d’occuper les partenaires sociaux dans une période où la priorité est l’emploi. Il faut veiller à ce que les organismes représentatifs puissent agir dans de bonnes fonctions pour essayer de sauvegarder l’emploi, avec une confiance réciproque. Car le sujet majeur demeure l’explosion du chômage ; en particulier celui des jeunes.
Que pensez-vous justement du plan de soutien à l’emploi des jeunes ?
Sans vouloir être trop ironique, je constate simplement que ceux qui nous disaient hier que les emplois aidés sont coûteux et inutiles, viennent nous dire aujourd’hui qu’ils sont très utiles et pas si coûteux que cela. Je ne vais pas aujourd’hui critiquer un gouvernement qui revient sur les décisions trop brutales qu’il avait prises au cours des premières années du quinquennat. Des emplois aidés qui puissent être mis en œuvre le plus vite possible, c’est indispensable. Je retrouve, très simplement, les mécanismes que j’avais mis en œuvre dans les années 2012-2014, et qui avaient permis de faire diminuer très fortement le chômage des moins de 25 ans…
Quel regard portez vous finalement sur l’avenir de l’économie française ?
Objectivement, nous avons des entreprises françaises qui ont beaucoup de qualités et de forces, beaucoup plus solides que pendant la crise de 2009. Et j’ai la faiblesse de penser que les mesures que nous avions prises pendant le quinquennat Hollande, en particulier le CICE, y sont pour quelque chose. Il n’empêche : ce choc est d’une rudesse jamais vue, et certains secteurs en particulier, comme les transports et le tourisme, seront durablement affectés. Or, ils sont très porteurs en emploi. Il faut regarder la réalité en face, et prendre le plus rapidement possible des décisions nécessaires pour éviter que la situation économique ne devienne socialement insupportable.