Management

Micro-scheduling : pourquoi vouloir tout chronométrer peut être risqué

Pour mieux s’organiser, le micro-scheduling propose de tout planifier à la minute près. Une technique séduisante, mais trop rigide, voire dangereuse, pour Diane Ballonad Rolland et Laurence Einfalt, spécialistes de la gestion du temps.

Vous vous sentez débordé, vous avez du mal à jongler entre vos tâches quotidiennes ? Pourquoi ne pas tout chronométrer ? Dans les pays anglo-saxons, une technique pour être plus productif et efficace consiste à planifier sa journée à la minute près, des projets à terminer aux pauses café. Cette méthode de travail, baptisée le “micro-scheduling”, peut s’avérer bénéfique dans le cadre d’un poste où toutes les tâches sont routinières. “Cela peut être une façon de conserver un focus, et de se sentir productif. Le micro-scheduling pourrait avoir des vertus si elle créait des routines, et qu’elle vous amenait à commencer ou à terminer vos journées toujours de la même façon. Afin de gagner du temps et économiser de la charge mentale”, observe Laurence Einfalt, psychologue et autrice d’ouvrages sur les techniques d’organisation.

De son côté, Diane Ballonad Rolland, fondatrice du cabinet Temps & Equilibre, note que “les adeptes de cette méthode donnent à leur cerveau une feuille de route intentionnelle  afin de poser un cadre à leurs journées et de se rassurer. Tout millimétrer ainsi à l’avance atténue le stress potentiel, notamment celui du multitasking, car vous avez la sensation d’avoir davantage de contrôle et de maîtrise sur votre temps”.

 

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“Il est impossible de tout maîtriser”

Mais le micro-scheduling est-il vraiment possible quand chaque journée est irrémédiablement confrontée aux imprévus ? “Nous avons tous essayé de nous fixer des plages horaires pour travailler sur des projets ou pour nous occuper de nos e-mails. Nous avons tous essayé d’estimer le temps qu’une tâche nous prendrait. Résultat des courses, nous nous sommes toujours fait avoir. Soit parce que des imprévus nous tombaient dessus, soit parce que nous nous trompions dans nos estimations, et quelque chose censé nous prendre 10 minutes s’avère souvent nous prendre 1h30, et inversement”, explique Laurence Einfalt.

À vouloir trop anticiper ses journées, le risque est ainsi de ne laisser aucune place aux aléas, inhérents au monde du travail.

“Ce concept est trop extrême, trop militaire. Car il est impossible de tout maîtriser. Nous dépendons aussi du travail de nos collègues, de nos clients, des autres personnes avec qui nous sommes en interaction, y compris en télétravail. Ainsi que de notre environnement, de notre famille à notre connexion internet”, indique Diane Ballonad Rolland.

En fait, aucune des deux spécialistes de la gestion du temps ne recommandent de recourir au micro-scheduling. “C’est une technique très ancrée dans la culture anglo-saxonne du travail intensif. Elle est centrée sur le productivisme, le dépassement de soi, et oublie la notion de plaisir au travail. Le risque est pour certains salariés, de finir par être anéanties par un emploi du temps aussi rigide”, explique Laurence Einfalt.

 

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“Si le micro-scheduling peut rassurer quand il est utilisé très ponctuellement, il ne doit pas l’être sur des journées entières, car il risque de devenir anxiogène. Les pauses impromptues, nous en avons tous besoin. Et le risque, à vouloir optimiser son temps à tout prix, est d’intensifier dangereusement son travail”, ajoute Diane Ballonad Rolland.

En outre, le micro-scheduling risque de confronter ceux qui le pratiquent à une frustration importante. “Que faire si j’avais prévu de travailler pendant 14 minutes sur un dossier précis, et qu’en fait, cela me prend 22 minutes ? Je me flagelle ? Il y a déjà bien assez de contraintes dans le monde professionnel pour que l’on ne s’en rajoute pas en plus. Vous vous mettriez ainsi une pression complètement inutile, qui vous rendrait constamment insatisfait et frustré”, prévient encore Laurence Einfalt. Et tandis que le télétravail tend à se généraliser, une telle pratique basée sur le temps passé se révèle inadaptée à la tendance du management par objectif. “Ce n’est pas en planifiant tout à la minute près que vous réussirez à cadrer davantage vos journées de travail à distance. Les télétravailleurs doivent au contraire essayer de mettre en place un système flexible, avec des temps où ils caleront des rendez-vous et répondront à des e-mails, et d’autres où ils prendront en compte des aléas potentiels”, indique Diane Ballonad Rolland. Une façon de pouvoir sortir du cadre et de prendre parfois de petites libertés.

 

“Il faudrait faire complètement l’inverse”

Plutôt que le micro-scheduling, que Laurence Einfalt qualifie “d’épiphénomène qui ne devrait pas perdurer”, la psychologue conseille d’adopter une méthode “moins mécanique”, et plus personnalisée. “Il faudrait faire complètement l’inverse, et utiliser une méthode qui nous permette d’être très fluide dans notre emploi du temps”, estime-t-elle. Mais pas question de multiplier les “to do list” non plus. “L’idée est de classer vos tâches par leur priorité : celles que l’on doit réaliser au plus vite, et celles qui peuvent être étalées dans le temps. Celles qui ont une date limite sont prioritaires et doivent être notée sur votre agenda. Les autres, à faire dès que possible mais plus tard, peuvent être entrée dans un gestionnaire de tâches. Mais là encore, il faudra faire un tri, en fonction du contexte”, explique la psychologue.

Pour Diane Ballonad Rolland, il est finalement possible d’être plus efficace sans pour autant travailler plus. Elle prône plutôt ce qu’elle appelle le “slow working” et les stratégies de “temps limité”. Pour mieux s’organiser, la méthode Pomodoro propose notamment de séquencer son temps en se focalisant sur des tâches pendant 25 minutes, entrecoupées de pauses. “Mais la différence, c’est qu’on va mobiliser cette technique uniquement quand il s’agit de tâches qui nous rebutent, ou qui nécessiteront notre attention pleine et entière. L’idée n’est pas de planifier chaque minute, avec une rigidité contre-productive, mais d’essayer de maintenir son attention sur des temps courts pour sortir de l’inaction”, conclut Diane Ballonad Rolland.

 

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