Le terme « neurodiversité », introduit par la sociologue Judy Singer et popularisé en 1998 par le journaliste Harvey Blume, désigne la diversité naturelle des fonctionnements neurologiques. Il inclut l’autisme, le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), la dyslexie, la dyspraxie, et bien d’autres. Plutôt que de considérer ces particularités comme des troubles ou des déficiences, le concept de neuroatypie met en lumière la richesse de ces différences cognitives, tant pour la société que pour l’entreprise.
Avec 15 à 20 % de la population mondiale concernée, les entreprises ont tout intérêt à repenser l’expérience collaborateur. Les environnements professionnels standards ne sont pas ou peu adaptés aux besoins spécifiques des personnes neuroatypiques. Comment créer un environnement de travail inclusif sans tomber dans l’essentialisation ? « C’est là tout l’enjeu », selon Yenny Gorce, entrepreneure sociale engagée pour l’inclusion et auteure de Facile ! Petit guide pratique pour réussir l’inclusion en entreprise (Éditions Télémaque). Des initiatives, comme le programme Neuroteam au sein du groupe Orange, prouvent que c’est possible.
Neurodiversité en entreprise : où en est-on ?
« La neurodiversité gagne progressivement en visibilité, notamment au sein des grandes entreprises, mais cette évolution s’accompagne de défis importants », explique Yenny Gorce. Si les entreprises prennent de plus en plus en compte la neuroatypie, un risque demeure : celui de la « sur-exposition ». L’accroissement de la communication autour de la neurodiversité peut mener à une banalisation de ces spécificités, voire à une perception erronée. « Sur les réseaux sociaux, le discours devient parfois confus, au point d’en faire une mode », alerte l’experte en inclusion.
Malgré ces obstacles, les entreprises s’y intéressent de plus en plus. Pourquoi ? Les personnes neurodivergentes apportent des compétences uniques : « une créativité renforcée, une résilience inédite et une grande sensibilité émotionnelle. » Ces qualités amènent une manière différente de travailler et d’interagir, notamment dans des instances décisionnelles comme les conseils d’administration, selon Yenny Gorce.
Repenser l’expérience collaborateur globale
« Le premier réflexe est souvent d’aménager le poste de travail d’une personne atypique, mais c’est trop restrictif ! », souligne Yenny Gorce. Selon elle, l’accompagnement d’un collaborateur doit commencer dès son arrivée dans l’entreprise. Pour cela, il est essentiel de favoriser l’autonomie et l’inclusion en tenant compte de la vie quotidienne de la personne sur son lieu de travail : comment elle se déplace, où elle mange ou encore comment elle accède aux toilettes. « Il faut réfléchir à ce qui permet de sécuriser l’ensemble de son parcours. » Yenny Gorce prend l’exemple d’un site industriel : « Le livret d’accueil doit être mis à jour, et le site aménagé pour éviter les obstacles, afin que chacun et chacune puisse se déplacer en autonomie. Il est également nécessaire de repenser la signalétique et de fournir des informations très concrètes. »
Ainsi, le travail va bien au-delà de simples aménagements physiques et requiert une réflexion globale sur la vie de l’entreprise et l’accessibilité de toutes ses informations. Quant à la formation et à la communication, Yenny Gorce insiste sur l’importance de la transparence : « Les managers veulent généralement bien faire, mais ils ne savent pas toujours comment s’y prendre. Il est nécessaire de créer un espace de dialogue pour poser des questions et partager ses craintes. » Elle encourage les entreprises à adopter une approche collaborative : « Un manager qui exprime ses doutes, c’est valorisant, car cela incite les autres à être honnêtes. »
Neuroteam : lumière sur le dispositif neuroinclusif d’Orange
Neuroteam, lancé en avril 2021, a pour ambition de créer un environnement de travail plus inclusif en intégrant les talents neurodivergents. « Avec le soutien d’Elisabeth Tchoungui, directrice exécutive de la RSE et Gervais Pellissier, ex-Directeur Général Délégué et Directeur des Ressources Humaines et de la Transformation du Groupe, nous avons rassemblé les représentants de différentes entités métiers sensibles à la question, des membres de la communauté interne « Les Z’Atypiques », ainsi que des experts issus de divers domaines du groupe », explique Valérie Tiacoh, directrice stratégie et innovation sociétale du groupe Orange. Les grandes actions du programme ?
- Un manifesto a été rédigé pour formaliser l’approche d’Orange en matière de neuroatypie. « Ce document fixe des objectifs concrets pour sensibiliser les équipes, recruter sans biais et former les managers. Il s’accompagne de conférences régulières pour partager les bonnes pratiques. »
- Une mise en avant d’ambassadeurs du programme Neuroteam. « Des role models ont été formés à prendre la parole en public pour sensibiliser leurs collègues à la neurodiversité, en partageant leurs expériences et en encourageant une culture de l’inclusion », souligne Valérie Tiacoh.
- Les managers ont été accompagnés par un panel d’actions :
- L’auto-diagnostic du management inclusif a été enrichi avec des questions spécifiques sur la neurodiversité. « Cet outil permet aussi d’évaluer la compréhension des besoins des personnes neuroatypiques et de recevoir des recommandations personnalisées. »
- Des formations ont été mises en place afin d’aider les managers à détecter les singularités sans stigmatiser.
- Des « Vis ma vie » permettent de se mettre à la place de personnes neurodivergentes pour mieux comprendre leurs expériences.
Décupler l’impact : vers une approche inter-entreprises ?
« Aujourd’hui, nous voulons aller plus loin en nous appuyant sur une dynamique inter-entreprises », explique Valérie Tiacoh. En 2024, dans le cadre du Manifeste Inclusion – une mobilisation des dirigeants d’entreprises pour engager leurs organisations en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap – Orange a co-créé avec neuf autres entreprises le collectif Objectif Neuroinclusion. « Il s’agit du premier collectif inter-entreprises francophone dédié à la neurodiversité dans la vie économique. Réunissant dix grands groupes tels qu’Orange, LVMH, Capgemini, EY, L’Oréal, Engie, Thalès, Siemens, Schneider Electric et la Française des Jeux, notre objectif est de promouvoir une culture et des pratiques neuroinclusives dans la gestion des ressources humaines, mais aussi dans des domaines variés comme le marketing, l’innovation ou les relations commerciales. »
L’ambition est de sensibiliser les entreprises et la société à la richesse de la neurodiversité. Côté livrables, d’ici la fin de l’année, le collectif prévoit de publier son propre manifeste ainsi qu’un référentiel spécifique pour guider les entreprises dans l’adoption de ces pratiques inclusives.