Du 6 au 8 février, se tiennent les journées mondiales sans téléphone mobile, pour sensibiliser à l’addiction aux portables : la nomophobie, ou « no mobile » phobie. Explications et conseils de Salomé Benhaim-Cohen, psychologue clinicienne chez Stimulus, cabinet spécialisé en santé psychologique au travail, qui travaille sur l’accompagnement des salariés grâce à un service d’écoute.
Est-ce que vous recevez beaucoup d’appels au sujet de la nomophobie ?
Ce n’est pas un sujet qui est directement abordé car il est rare que les personnes qui en souffrent s’en plaignent. Pour elles, ce n’est pas grave, le portable fait partie du quotidien. Elles nous contactent plutôt parce qu’elles ont des troubles du sommeil ou des problèmes relationnels. Et quand on discute avec elles, on se rend compte que cela vient d’une addiction au téléphone portable. On demande par exemple « comment faites-vous pour vous endormir ? » et l’on découvre que le téléphone est utilisé pour surfer sur les réseaux sociaux ou pour regarder des séries. Ou alors la personne qui nous sollicite reconnaît que son entourage lui reproche d’être dans sa bulle, rivée à son téléphone, pour tout et rien, ce qui nuit à la relation.
Autres signes : ceux qui nous disent être anxieux ou déprimés et qui, avec leur mobile, comblent un vide, font passer le temps, se changent les idées, s’occupent l’esprit. Ils s’en servent comme un doudou, un anxiolytique pour être apaisé car c’est un objet qui est toujours présent et semble ne jamais décevoir, contrairement à l’entourage. D’eux-mêmes, ils ne font pas le lien avec le développement d’une addiction à cet usage et ne se rendent pas compte que c’est l’effet inverse qui se produit : cela crée un impact négatif, une surcharge mentale et une dépendance.
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Comment arriver à prendre conscience que l’on a développé un addiction, alors que les smartphones sont de vrais couteaux suisses numériques dont on peut se servir pour presque tout, quasiment tout le temps ?
Les nouveaux modèles ont des compteurs qui permettent d’alerter quand on passe trop de temps sur certaines applications. Il est même possible de mettre en place un système de blocage quand la durée de consommation souhaitée est dépassée. Ou alors, pour apprendre à gérer son usage du téléphone, on peut se lancer des défis, comme ne pas l’allumer pendant une journée ou deux durant le week-end… Autre challenge : effectuer des activités du quotidien sans son portable, comme être à table, faire du sport, écouter de la musique ou encore passer en mode avion la nuit pour mieux dormir. Si l’on ressent une vraie panique, des angoisses voire son cœur qui bat plus fort en éteignant son mobile, on peut dire a minima que l’on en fait une utilisation excessive. Un questionnaire mis au point par des chercheurs à l’université de l’Iowa permet de savoir si l’on est atteint de nomophobie, qui n’est pas une pathologie reconnue ni un terme médical officiel. Il n’existe pas de thérapie vraiment validée.
Le premier pas est donc de comprendre que l’on souffre de nomophobie…
Oui, parce que ce n’est pas évident, et encore moins depuis la pandémie, avec le développement du télétravail et de la sociabilisation en distanciel. À présent, on peut travailler partout, en permanence, sans limite géographique ni temporelle. Il peut se créer une addiction aux notifications, une surenchère numérique pour être joignable en permanence. C’est à l’entreprise de sensibiliser les salariés et d’instaurer un droit à la déconnexion. Mais attention à ceux qui, s’ils se déconnectent sur le plan professionnel, poursuivent une pratique addictive personnelle. De plus, cette dépendance n’est pas forcément liée à un temps excessif passé devant l’écran. Ce qui compte pour juger si c’est néfaste, c’est le ressenti éprouvé quand le téléphone n’est pas accessible : le fait d’être angoissé, oppressé, perdu, paniqué…
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Comment parvenir à inverser la tendance ?
Prendre conscience de sa nomophobie est une première étape très importante. Cependant, il est difficile de s’en sortir seul, car on est en permanence exposé aux stimuli des portables, dans le quotidien professionnel et personnel : il faut apprendre à vivre avec puisqu’il est impossible de faire sans, à moins de se couper du monde. Un stage de détox digitale peut être bénéfique, ou bien un break pendant les vacances, des exercices de méditation, la rencontre avec les autres dans la vraie vie, une autorégulation grâce au système de blocage quand la durée fixée est atteinte… Mais il peut s’avérer indispensable d’être accompagné par un ou une psychologue car cela permet de mener une véritable réflexion sur les raisons de cette dépendance : qu’est-ce qui a fait que l’on a basculé ? Qu’y a-t-il à régler derrière ce comportement ? D’autant plus que d’autres addictions peuvent parfois s’additionner à celle du portable puisque celui-ci est multifonctionnel : les jeux en ligne, les achats compulsifs, les réseaux sociaux… Des études ont montré que recevoir une mention « J’aime » après un post active les circuits de la récompense, phénomène qui se retrouve, à un autre degré, dans les toxicomanies.
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Le saviez-vous ? L’utilisation excessive du smartphone a également un impact sur votre santé physique. Parmi les troubles musculosquelettiques, le “text neck” se traduit par des douleurs cervicales chroniques qui résultent d’une mauvaise inclinaison de la tête liée à l’utilisation de son smartphone sur une durée prolongée. Sans oublier que les notifications sont également sources d’interruptions dans vos journées de travail. Et cela n’est pas non plus sans conséquences : il vous faudra à chaque fois plusieurs minutes pour retrouver le même niveau de concentration.
Pour protéger votre attention, voici quelques conseils : organiser sa journée de travail par blocs (une tâche après l’autre), tester la méthode Pomodoro (une alternance de sessions de travail intensif et de moments de pause déconnectée pour justement se régénérer et reprendre de l’acuité mentale), dire non au multitasking qui n’est rien d’autre que du zapping attentionnel, mettre les notifications en pause pour vous concentrer sur la tâche en cours et ne pas regarder vos mails ou message en continu tout au long de la journée…