En temps de crise, comment maîtriser sa stratégie et construire l’avenir ? La période actuelle nous invite à reconsidérer nos approches stratégiques. Et à nous interroger sur les grandes tendances qui pourraient bien s’accélérer demain. Par Denis Dauchy, PhD, Professeur de stratégie à l’Edhec Business School.
Dans chaque numéro du magazine print de Courrier Cadres, nous nous associons avec l’EDHEC Executive Education pour vous donner accès au savoir et aux derniers travaux des enseignants-chercheurs de l’école de management. L’occasion de prendre de la hauteur sur vos pratiques et votre carrière ; notamment en cette période post-confinement. Voici l’un des deux articles paru dans le numéro 127 de juin-juillet 2020.
Au cœur de la crise, l’idée même de stratégie nous interroge : à quoi bon faire de la stratégie, puisque tout n’est qu’incertitude et inconnu ? Pourtant, baisser ainsi les bras serait une erreur fatale. Cette période nous appelle au contraire à faire plus de stratégie – mais différemment. Car plus que jamais, les dirigeants sont au défi de poser un cap, d’insuffler une énergie au sein de leur organisation. Pour construire l’avenir, il s’agit d’anticiper dès aujourd’hui les macro-tendances qui risquent de s’accélérer : la logique post-crise est une logique de pro-action.
Repenser ses fondamentaux stratégiques
La première accélération à prévoir est le besoin de définir la finalité de l’entreprise au-delà de la pure création de valeur financière. Cette quête de sens était déjà engagée avant la crise, enracinée dans des évolutions sociétales irréversibles. L’ensemble du narratif doit changer pour intégrer l’ensemble des parties prenantes : quel est l’impact de mon activité sur la santé, le climat, le bien-être sociétal ? Dans les mois qui viennent, l’aspect sanitaire restera crucial, y compris pour des entreprises qui ne s’en étaient jamais préoccupées auparavant. À cet égard, la création de certifications est un outil stratégique intéressant – c’est l’approche choisie par Accor, en créant avec Bureau Veritas un label qui garantit leur sérieux sanitaire dans la reprise de leurs activités.
Pour incarner concrètement ces nouveaux narratifs, les propositions de valeurs – ce qui fait l’utilité de chaque entreprise – vont devoir continuer à évoluer fortement, autour de notions aussi incontournables que le local, la sécurité, la santé, la confiance, l’authenticité, le luxe « silencieux » ou l’usage. La question du sourcing, notamment, est plus que jamais sur le devant de la scène. Sans croire à une « démondialisation », on peut imaginer pour demain le besoin d’un retour aux fondamentaux, vers des boucles plus courtes et la montée en puissance du direct to consumer. La crise invite également à s’interroger sur le réseau de partenaires qui gravitent autour de chaque entreprise : quel est-il aujourd’hui ? Quelles alliances stratégiques tisser pour demain ?
Certains groupes sont d’ores et déjà sur les starting blocks pour acquérir de nouveaux business, s’inscrivant dans une logique d’écosystème en pleine accélération. Même un groupe automobile allemand comme BMW, que l’on pourrait penser plus classique et normé, s’inscrit dans cette logique combinant partenariats, acquisitions et collaboration avec des start-ups innovantes. Écosystémiques par nature, les modèles de plates-formes ou de marketplaces sont également en pleine cohérence avec cette tendance – à l’instar d’entreprises aussi différentes qu’Airbnb ou ManoMano.
Redonner de l’énergie à son entreprise
Cette crise aura enfin un impact organisationnel que la stratégie ne pourra ignorer. Ce contexte nous oblige et nous apprend à expérimenter de nouveaux modes de travail et de collaboration, une nouvelle articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Pour faire face à l’urgence et à l’inconnu, les managers et leaders peuvent être tentés de recourir à une approche plus centralisatrice et verticale. Pourtant, il sera bientôt nécessaire de redonner du souffle et de l’énergie à ses équipes en relâchant la bride.
Et si la déconcentration était la clé du rebond ? À ce titre, l’exemple d’Haïer est devenu un cas d’école, avec une organisation en unités autonomes et connectées, en prise directe avec le marché. « Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes », disait Chateaubriand. Tout est là : cette période difficile nous oblige à faire un pas de côté et à nous dépasser. Une invitation qu’il serait dommage de refuser.
L’auteur
Denis Dauchy, Ph. D., est professeur de stratégie d’entreprise et directeur du Executive MBA à l’Edhec Business School. Il bénéficie d’une expérience professionnelle dans le monde des affaires et du conseil. Il enseigne sur les programmes de MBA et de MSc de l’EDHEC et il gère des projet ou est impliqué dans des programmes de formation continue pour les majors de l’industrie. Il est également consultant et membre d’un conseil de groupe. Dans le cadre de ses activités de formation des cadres et de conseil, il interagit avec les cadres dirigeants et les hauts potentiels sur des sujets tels que la stratégie et la modélisation d’entreprise, la gestion de la complexité et la gouvernance d’entreprise.