L’Autorité de la concurrence a reproché à Orange d’avoir abusé de sa position dominante et l’a condamné à une amende d’un montant de 350 millions d’euros. Frédéric Puel et Nicolas Gransard, avocats associés au sein du cabinet d’avocats Fidal et responsables du pôle concurrence, reviennent sur le sujet.
Le 17 décembre dernier, l’Autorité de la concurrence a condamné l’entreprise Orange à une amende d’un montant de 350 millions d’euros. À l’occasion de cette décision, l’Autorité a défini le marché spécifique de la téléphonie mobile pour la clientèle non résidentielle sur lequel elle constate qu’Orange dispose d’une position dominante. Si un opérateur dominant n’est jamais condamné pour la position qu’il occupe sur un marché, ses pratiques peuvent en revanche être constitutives d’abus commis du fait de cette position. C’est en réponse à quatre pratiques, jugées abusives car portant atteinte aux dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, qu’Orange a été condamné par l’Autorité.
En synthèse, l’Autorité reproche à Orange d’avoir abusé de sa position dominante en mettant en œuvre des pratiques fidélisantes visant à rendre plus difficile pour les clients du segment non résidentiel le passage vers d’autres opérateurs. Il est par ailleurs reproché à Orange d’avoir discriminé les opérateurs tiers concurrents en accédant de façon privilégiée, grâce à ses filiales, à des informations relatives au réseau (informations sur la gestion de la boucle locale).
Dans ce cadre, Orange a demandé à pouvoir bénéficier de la procédure de non-contestation des griefs qui permet à une entreprise, à réception d’une notification de griefs, de tenter de faire diminuer le montant de la sanction en ne remettant pas en cause les griefs avancés par les services d’instruction de l’Autorité et en proposant des engagements visant à restaurer la concurrence sur le marché affecté par les pratiques.
Dommages et intérêts
L’Autorité a décidé, à l’occasion de cette affaire, d’appliquer ladite procédure, tout en s’inspirant de la lettre de la nouvelle procédure de transaction mise en place par la Loi Macron du 6 août 2015. Rappelons que cette dernière ne sera en principe pleinement applicable que dans les affaires pour lesquelles les griefs auront été notifiés après la publication de la loi. Selon cette nouvelle transaction, les services d’instruction de l’Autorité proposent des montants plancher et plafond qui permettront au Collège de l’Autorité de déterminer la sanction. Il apparaît au cas d’espèce que les services d’instruction n’ont proposé qu’un seul montant cible, 350 millions d’euros, négocié avec Orange et suivi par le Collège. Il ressort de la décision elle-même qu’outre les engagements de restauration de la concurrence (abandon des pratiques fidélisantes et accès non discriminatoire à l’information sur la boucle locale), Orange s’est engagé à ne pas faire appel de la décision de l’Autorité.
Au-delà de la sanction prononcée, il y a lieu également d’indiquer que la transaction ne met pas à l’abri Orange de possibles dommages et intérêts que concurrents ou clients pourraient lui réclamer. En effet, la procédure actuelle de non-contestation des griefs comme la nouvelle transaction de la loi Macron, si elles permettent aux entreprises sanctionnées de pratiques anticoncurrentielles de ne pas reconnaître la matérialité des griefs reprochés, ne les mettent pourtant pas à l’abri de demandes de compensation des dommages qu’elles auraient créés.
Au stade de la procédure devant l’Autorité, les entreprises ainsi poursuivies se contentent dans ce cadre de ne se défendre que sur les paramètres de la sanction, à la différence de la procédure européenne de transaction dans lesquelles les entreprises incriminées doivent reconnaître devant la Commission la matérialité des faits qui leur sont reprochés.
Droit de la concurrence
Cette absence de reconnaissance en droit français doit donc conduire les entreprises victimes à prouver l’existence des pratiques interdites, d’un lien de causalité et d’un préjudice pour faire compenser le dommage qu’elles ont subi. Il faut noter toutefois deux mouvements à cet égard. Le premier conduit l’Autorité française à faire d’une pratique habituelle l’incitation1 adressée aux entreprises victimes de faire compenser leurs dommages, ce qui est le cas dans la présente décision. Le second résulte de la directive sur la réparation du préjudice causé à des entreprises victimes de pratiques anticoncurrentielles et qui doit être transposée au plus tard le 27 décembre 2016 dans le droit des 28 États membres de l’UE.
Cette nouvelle directive vient compléter l’arsenal sur lequel joue l’Autorité pour dissuader les acteurs économiques de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles. Avec cette sanction record l’Autorité de la concurrence illustre une nouvelle fois sa volonté de faire usage avec force de cet arsenal. La récurrence de ce type de décision, et le risque de voir les victimes des pratiques anticoncurrentielles en cause poursuivre les auteurs de ces pratiques devant les juridictions judiciaires, doit plus que jamais inciter les acteurs économiques à prendre en compte les spécificités du droit de la concurrence dans leur stratégie commerciale, mais aussi en amont de leurs décisions de restructuration ou de partenariat avec des tiers.
1 Dans ses décisions ou dans les communiqués de presse qui les accompagnent.