Management

Peut-on encore réussir sans avoir déjà échoué ?

Dans un monde dominé par l’économie de l’innovation, nous applaudissons et admirons les success-stories de brillants entrepreneurs. Leurs réussites ne pourraient pourtant exister sans la multitude d’échecs qui les accompagnent. Faire face aux échecs et rebondir, le fameux « bounce back », est plus que jamais une qualité essentielle dans toute quête de réussite. Innovations, entrepreneuriat, échecs, résilience pavent le chemin de la réussite.

Bien avant que le mot résilience devienne un concept à la mode, la sagesse populaire a toujours associé la réussite et la fortune à la prise de risques et aux échecs qui vont avec. « L’échec est le fondement de la réussite » est un enseignement philosophique de Lao-Tseu qui nous vient de l’antique Chine impériale. « La fortune sourit aux audacieux » une citation latine de Virgile. Plus proche de nous Winston Churchill l’a réactualisé avec son humour caractéristique « Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » paraphrasant quelque peu Georges Clemenceau avec son « Il n’y a qu’une façon d’échouer, c’est d’abandonner avant d’avoir réussi ».

Si la résilience est devenue si populaire, c’est bien que les échecs et les situations périlleuses sont de plus en plus fréquents. Cela s’explique par un environnement géopolitique et économique plus volatil et incertain, mais aussi par la place de plus en plus importante de l’innovation dans la création de valeur de nos entreprises. Si la part du G7 dans le PIB mondial a chuté en trente ans, passant de plus de 65 % à moins de 45 %, on oublie souvent de dire que celle des Etats-Unis est restée stable captant à eux tout seul toujours un quart du PIB mondial. Si les Etats-Unis n’ont pas suivi le déclin relatif du Japon et de l’Europe, c’est factuellement parce qu’ils sont devenus le hub mondial de l’innovation en particulier dans la Tech et le numérique. Or, l’économie de l’innovation se singularise par des taux d’échecs beaucoup plus élevés associés à des espérances de gains bien supérieures.

La prévalence de l’échec

Il est difficile de s’accorder sur un taux de réussite des projets entrepreneuriaux tant ils diffèrent selon les pays, la nature des projets et les types d’entreprises. Pour les start-ups, des statistiques américaines récentes donnent un taux d’échec de 60 % entre la phase d’amorçage et la première levée de fonds de type Série A et de nouveau 35 % d’échec avant une deuxième levée de Série B soit un taux d’échec de 75 %. Plutôt dissuasif a priori, mais seulement si on se met dans la perspective d’une aventure entrepreneuriale unique. Si on envisage deux aventures entrepreneuriales, ce taux d’échec passe à 56 %, à trois on aurait 60 % de taux de succès et à cinq la perspective s’inverse et nous aurions plus de 75 % de probabilité de réussite !

Les fonds de capital risque sont coutumiers de cette prévalence de l’échec. Ils vont diversifier le risque avec l’objectif que la réussite des quelques pépites qu’ils vont dénicher (souvent moins de 10 % des projets financés) puisse compenser les pertes sèches des échecs les plus retentissants comme des résultats décevants d’un grand nombre de projets. Cette logique financière s’est avérée efficace et particulièrement pertinente, comme le montre le dynamisme aujourd’hui de la Tech et de l’innovation. Il s’agit cependant de considérer aussi notre propre résilience et celle de nos collaborateurs face à cette nouvelle donne, qui peu à peu est sortie de la seule nouvelle économie pour gagner des pans entiers de ce que nous appelions autrefois l’économie traditionnelle.

La résilience ne se décrète pas

Se préparer à l’échec, c’est peut-être d’abord se rappeler que nous ne sommes pas réussite ou échec nous-même, mais que nous avons des réussites et des échecs. Cette distinction est importante en particulier quand les systèmes scolaires ou universitaires peuvent parfois créer cette idée pernicieuse qu’un diplôme sanctionne qui nous sommes et non pas ce que nous avons fait. Si nous prolongeons cette idée trompeuse dans l’entreprise en continuant de penser que nos succès définissent notre identité, les échecs seront particulièrement douloureux car ils seront vécus comme des remises en question existentielles, au lieu d’être des pierres naturelles sur le chemin du succès. Affirmer avoir eu de la réussite est à la fois plus humble et réaliste que de dire que telle personne est un nouveau Mozart de la finance ou de l’industrie, surtout si comme c’est probable celui-ci risque de connaître après des échecs.

Cette distinction établie, cela n’empêche nullement l’échec d’être douloureux tant financièrement que psychologiquement. La résilience ne se décrète pas. Elle se construit dans le temps. Ce n’est peut-être pas un hasard que nous ayons emprunté ce terme de résilience à nos amis américains. En 1936, Paul Claudel fut un des premiers à introduire ce concept en France dans son ouvrage L’Elasticité américaine : « Il y a dans le tempérament américain une qualité que l’on traduit là-bas par le mot resiliency, pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact, car il unit les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de la bonne humeur. »

Il ne faut pas sous-estimer les dimensions culturelles de la résilience si nous voulons créer pour nous-même et nos collaborateurs cette atmosphère favorable faite d’exigence et de bonne humeur. Au-delà des conditions de travail et des pratiques managériales, il y a aussi un travail à faire et des stratégies à élaborer et mettre en place pour mieux nous préparer, individuellement et collectivement, à la réussite et donc aux échecs qui vont avec.

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