Tribune – Les entreprises se livrent chaque année au rite de l’établissement des budgets. Dans le même temps, les dirigeants veulent préparer leurs organisations aux transformations digitales. Il y a là un paradoxe étonnant, à cultiver le rite des chiffres budgétés qui se figent dans l’Excel et dans le même temps prôner l’agilité. Par Jean-Louis Raynaud, directeur de programmes pour dirigeants à l’EDHEC.
Depuis des décennies, les entreprises moyennes ou grandes se livrent chaque année au rite de l’établissement des budgets ; chaque manager se remet à l’ouvrage pour faire entrer ses objectifs chiffrés dans les tableaux Excel pré-remplis par la Direction Générale ou la Direction Administrative et Financière. Puis, se déroule les traditionnelles revues budgétaires où chacun vient défendre ses chiffres, dans l’espoir qu’ils soient validés par les plus hautes instances de l’entreprise ; Ces dernières espérant tenir ainsi les engagements de croissance pris devant les actionnaires et la presse. Enfin, en cours d’année, se tient la non moins traditionnelle revue d’actualisation des budgets, au cours de laquelle, chaque manager doit apporter les meilleures explications sur ses résultats plus ou moins éloignés du fameux budget initial.
Dans le même temps, les dirigeants expliquent à longueur de réunions et d’interviews que les transformations digitales sont inéluctables et qu’il faut préparer l’organisation à ces changements. Il y a là un paradoxe étonnant, à cultiver le rite des chiffres budgétés qui se figent dans l’Excel et dans le même temps prôner la flexibilité ou l’agilité de l’organisation. Il est temps de passer à un autre exercice : prévoir les chiffres mais aussi savoir les moduler selon des hypothèses de changement. En d’autres termes, faire ce que les militaires font depuis bien longtemps : de la planification et de la conduite.
Une planification qui n’est pas faite que de chiffres
Cette planification étudie, le contexte et les enjeux et imagine les modes d’actions. Ensuite, elle les classent en fonction des actions prévisibles de l’adversaire. L’objectif est de chercher les « centres de gravité », c’est à dire les points forts et cruciaux de l’autre, afin de savoir comment trouver ses vulnérabilités critiques. Ceci afin de les atteindre pour le toucher durement avec des scénarii d’actions et d’affectation de ressources. En un mot cette planification n’est pas faite que de chiffres ; elle construit un système d’actions modulaire en fonction des événements possibles futurs.
Par exemple, prévoir le plan B si la concurrence est moins chère, ou planifier une campagne médias au cas où le produit fait face à une action promotionnelle de la concurrence….objectif : raccourcir les délais de réactions. Autre exemple : le concurrent règne en leader sur un segment, dans la distribution traditionnelle, c’est là qu’il fait la majorité de sa profitabilité. C’est sa force mais aussi son point de vulnérabilité… Planifier l’hypothèse d’une action promotionnelle par le digital, peut être une attaque non frontale mais qui touche une vulnérabilité critique.
N’est-ce pas ce que toute entreprise doit faire face à sa concurrence ? N’est-ce pas là qu’est la vraie flexibilité, agilité, que d’avoir anticipé les actions de l’autre dans sa propre planification ? Les explications plus ou moins justificatives des réalisations budgétaires, se transformeront en présentation d’actions planifiées, affectées de ressources anticipées. Tout ceci est plus factuel, plus crédible et plus rassurant pour les dirigeants.
La vraie performance des hommes en charge, se mesurera non plus à l’habileté à faire un budget ou à justifier les écarts, mais à réagir très vite à une situation qu’ils auront su anticiper dans la planification. Voilà ce qui sera la vraie agilité.
Qui est l’auteur ?
Jean-Louis Raynaud est directeur des programmes de formation pour dirigeants à l’EDHEC Executive Education. Suivez-le sur LinkedIn