Il n’est pas possible de motiver tous ses collaborateurs de la même façon. Le manager doit adapter son approche en tenant compte de différents facteurs, objectifs et subjectifs, qui nécessitent de rester à l’écoute de chacun. Afin de bien choisir entre les primes ou d’autres outils de motivation.
Alors que les entreprises peinent de plus en plus à recruter, et tandis que la crise du Covid-19 a chamboulé les projets professionnels de nombreux salariés, les motiver est un défi de taille. « Mais il ne suffit pas de payer les gens pour qu’ils soient motivés. Il est important de s’adapter à chaque personne, surtout dans le nouveau cadre du travail hybride et à l’ère post-Covid, où chacun souhaite être considéré comme quelqu’un d’unique », assène Gaël Chatelain-Berry, écrivain-conférencier et consultant en management. Le risque est grand de voir débarquer en France le phénomène de la grande démission qui touche actuellement les Etats-Unis.
« Une seule recette ne convient pas à tout le monde et il n’est pas possible de motiver tous ses collaborateurs de la même façon », observe de son côté Thierry Nadisic, professeur de comportement organisationnel à l’emlyon. Ainsi, les RH et les managers doivent-ils adapter leur approche en fonction de chaque salarié et en tenant compte d’une multitude de facteurs. Selon le chercheur, avant d’aller plus loin, il faut déjà connaître comment fonctionne le mécanisme de la motivation : « Il existe deux axes de motivation majeurs : la motivation extérieure, extrinsèque, et la motivation intérieure, intrinsèque. Il s’agit de deux façons de motiver complètement différentes et qui seront adaptées à des situations, des personnes et des jobs différents ».
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La motivation extrinsèque repose sur la récompense : « il s’agit de donner des primes, des bonus ou des incitations de pouvoir. » Cette technique de la carotte (ou du bâton, avec des punitions) fonctionne bien, mais en surface. « Ainsi, c’est un peu comme si vous appuyiez sur un bouton pour avoir un résultat et que celui-ci disparaissait une fois le bouton relâché », explique Thierry Nadisic. Selon les recherches du psychologue Frederick Herzberg, la motivation extérieure a même des effets contre-productifs : « elle fonctionne pour des tâches simples, en donnant seulement envie à la personne d’obtenir le gain promis ou de diminuer la punition. Ainsi, elle va essayer d’arriver très vite au résultat recherché, sans trop de créativité ni de complexité, sans s’intéresser au processus ni à la manière de faire. »
Finalement, des expériences montrent qu’en recourant à la motivation extrinsèque dans le cadre de tâches complexes et créatives, par exemple en promettant des primes, « les gens sont moins bons, car la récompense matérielle promise leur bloque l’esprit. Ils se focalisent dessus, et veulent arriver au plus vite au résultat, réaliser leur mission le plus rapidement possible, quitte à zapper des étapes intermédiaires importantes, à être moins motivés et à rendre un travail de moins bonne qualité ». Selon Thierry Nadisic, avoir recours à la motivation externe ne fonctionne que sur « certains métiers qui ne demandent pas de loyauté et où le résultat prime sur le travail lui-même, comme les jobs de traders. Mais globalement, il ne s’agit que d’une motivation de surface… qui reste hélas la plus couramment utilisée dans les entreprises ».
La motivation « intérieure », avant les primes ?
Pour le chercheur en comportement organisationnel, la motivation intérieure « est la véritable motivation, celle qui fait en sorte qu’un collaborateur perçoit une tâche, une mission ou une action comme une fin en soi, qui peut le faire grandir et lui permettre de s’épanouir. » Cette motivation intrinsèque repose sur trois motivations, partagées par tous les salariés : la compétence (désir de « faire quelque chose dans lequel on est bon, pour le plaisir de la compétence, avant même la rémunération »), le lien social (travailler en équipe) et l’autonomie (pouvoir choisir et décider de la façon avec laquelle on va mener son travail).
« Les salariés mus par cette forme de motivation vont plus au fond des choses pour réaliser leurs tâches et le font avec un plus grand niveau de qualité, car ils tiennent au travail bien fait. Dès qu’on a un peu de complexité, de créativité, dès qu’on a besoin d’engagement personnel, d’un peu d’initiatives ou que les gens travaillent en équipe et en autonomie, il vaut mieux travailler sur cette motivation-là », estime Thierry Nadisic.
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Même s’il existe des besoins fondamentaux, en particulier ceux reliés à l’affiliation sociale, au sentiment de compétence et à l’autonomie, il est nécessaire de moduler son approche en fonction des individus et de leurs profils. « Il faut tenir compte des caractéristiques individuelles de chacun. La reconnaissance peut fonctionner avec certaines personnes et moins avec d’autres qui préfèrent que celle-ci soit plus discrète. Certains salariés très qualifiés ont aussi besoin d’autonomie, quand d’autres, notamment les plus jeunes, ont besoin d’être accompagnés par un manager au style directif. C’est pourquoi il faut faire en sorte de bien connaître chacun de ses collaborateurs, afin de tenir compte de ce qui motive chacun », explique Gaël Chatelain-Berry.
En outre, des collaborateurs peuvent aussi être, à titre personnel, davantage attirés par la motivation extrinsèque basée sur des éléments extérieurs : « certains préfèrent le pouvoir ou l’argent, ont des désirs matériels très forts ou ont, tout simplement, des besoins financiers importants. Quand d’autres ont dépassé ces besoins et sont plus intéressés par la réalisation personnelle que peut leur apporter leur travail », note Thierry Nadisic.
Rester à l’écoute
Pour savoir comment motiver tous ses salariés d’une façon adaptée et bien ciblée, un seul mot d’ordre : rester à l’écoute. « Tout manager possède en lui ce superpouvoir : demander. La libération de la parole, c’est la clé. Prendre le temps de s’intéresser aux gens, de leur demander ce qu’ils souhaitent ou ne souhaitent pas. Dans l’entreprise d’avant pandémie, beaucoup trop de managers ne prenaient pas ce temps », observe Gaël Chatelain-Berry. Selon le consultant, le chef d’équipe doit donc moduler son approche. Pour cela, il doit faire en sorte de connaître chaque membre de son équipe et de rester attentif aux attentes spécifiques. « Il n’y a pas de secret : il faut organiser des discussions individuelles, sur une base continue, afin de cerner les attentes et les besoins de chacun. Parler, faire preuve d’empathie, de patience, s’intéresser aux gens. Écouter les émotions des collaborateurs, sans jugement, d’une façon attentive », ajoute le consultant.
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« Le manager devra d’abord repérer le type de job de chaque collaborateur et observer si les missions sont routinières et nécessitent des résultats répétitifs, ou si elles demandent de la créativité et du travail d’équipe. De là, il saura déjà s’il doit distribuer des primes, ou plutôt jouer sur l’autonomie et payer au résultat », insiste Thierry Nadisic. Ensuite, il est aussi conseillé d’essayer de déceler chez chacun un profil-type, en fonction de son niveau d’expériences, de son degré d’ancienneté, mais aussi de son âge : « les plus jeunes sont, selon les études, davantage intéressés par les motivateurs internes que sont l’autonomie, la politique RSE de l’organisation ou encore le type de management pratiqué. Les millenials préfèrent aussi la reconnaissance horizontale, celles des pairs, quand les seniors valorisent plus la reconnaissance hiérarchique, celle qui vient des supérieurs », constate le chercheur.
Finalement, la motivation intrinsèque d’un salarié reposant beaucoup sur l’action de son manager, « ce dernier doit apprendre à adapter son style en fonction de chacun, mais faire preuve globalement, quel que soit le collaborateur à qui il s’adresse, de bienveillance et d’humilité », indique Gaël Chatelain-Berry. Ainsi, un leadership « plus horizontal, empathique, concerné, positif et au service des autres » permet davantage de « nourrir la motivation » au travail.
« C’est le rôle du manager de développer la motivation intrinsèque : plus il va donner de l’autonomie de décision sur les tâches, sur la manière d’organiser son job et de prendre des initiatives, plus il va faire de l’empowerment, plus la personne aura une motivation de niveau élevé et durable, profonde, pour ses projets. Plutôt qu’un leadership transactionnel, classique, qui joue sur l’autorité, les punitions et les récompenses, l’idée est de tendre vers un leadership transformationnel, qui va jouer sur la bienveillance, la vision, les compétences, le lien social, l’autonomie. Afin de développer un motivateur interne beaucoup plus fort et puissant, qui va entraîner un attachement pour tout ce qu’on fait, ainsi qu’à l’entreprise », conclut Thierry Nadisic.