Management

Procès France Télécom : un jugement qui remet en cause les pratiques managériales ?

Après la condamnation de trois anciens dirigeants de France Télécom pour “harcèlement moral institutionnel”, l’Ugict-CGT voit dans ce jugement l’occasion de remettre en cause ce qu’il surnomme le “Wall Street Management”. Et de proposer la mise en place de méthodes managériales “alternatives”.

 

France Télécom et trois de ses anciens dirigeants ont été déclarés coupables, vendredi 20 décembre, de “harcèlement moral institutionnel”, pour la période 2007-2008 marquée par plusieurs suicides de salariés.

Ce jugement pourrait bien faire boule de neige. En effet, aucun groupe du CAC 40 n’avait jusqu’ici été jugé pour “harcèlement moral” – cas limité au lien direct entre l’auteur présumé et sa “victime”.

Cette condamnation acte ainsi l’existence d’un harcèlement moral à l’échelle de l’entreprise entière, touchant un bien plus grand nombre de salariés. Elle devrait ouvrir de nouvelles marges de manœuvre pour des actions en justice dans d’autres entreprises, comme Renault, où les syndicats du groupe ont recensé 10 suicides et 6 tentatives entre 2013 et 2017, ou encore la SNCF, où près de 50 suicides ont été rapportés en 2017 par les partenaires sociaux.

 

La faillite du management ?

Le procès France Télécom signe-t-il plus globalement la faillite du management dans les grandes entreprises ? “Ce procès fera jurisprudence sur les méthodes managériales. Il questionne les limites juridiques qui s’appliquent aux pratiques managériales qui sont devenues la norme dans de nombreuses entreprises”, note l’Union générale des ingénieurs cadres et techniciens CGT (Ugict-CGT) sur son site.

Selon le syndicat des cadres, “France Télécom, devenue Orange, n’a pas le monopole de la maltraitance managériale organisée qui rend le travail invivable”. Ainsi, explique-t-il, “de nombreuses autres entreprises connaissent encore aujourd’hui des transformations profondes, des réorganisations en cascades dans le cadre de plan ou réformes visant à accroître la valeur pour l’actionnaire ou la productivité des services publics au détriment de l’intérêt général et des missions de service public”.

Pour l’Ugict-CGT, le procès France Télécom est l’occasion de dénoncer ce qu’il surnomme le “Wall Street Management”, un mélange de “Lean management, d’agilité, de new management public, qui utilise l’évaluation individualisée des résultats, l’injonction à la mobilité, la nécessité de l’excellence, la gestion des talents ; et qui exige des salariés, par l’incitation ou la force, à faire des contorsions professionnelles, sociales, éthiques et morales extrêmes”.

Selon son dernier baromètre, publié en octobre 2019, la moitié (53 %) des cadres considèrent que les choix ou pratiques de leur entreprise entrent souvent en contradiction avec leur éthique professionnelle, et 63 % souhaitent pouvoir disposer d’un droit d’alerte dans leur activité professionnelle pour refuser de mettre en œuvre une directive contraire à leur éthique.

“Le système d’évaluation, du reste, est largement rejeté pour manque de transparence (58 %) et parce qu’il n’est pas fondé sur les bons critères (62 %). Il y a urgence à mettre à l’ordre du jour le bien travailler dans les choix de gestion. Donner du sens aux transformations des organisations du travail et au contenu de l’activité professionnelle passe par l’amélioration des conditions de vie et de travail et le respect de l’éthique”, estime l’Ugict-CGT.

Dans une tribune au Monde, les chercheurs Gaëlle Deharo (l’ESCE International Business School) et Sébastien Point (EM Strasbourg) vont dans le même sens. Selon eux, le procès France Télécom a “mis en lumière les dérives d’un management déshumanisé”. Selon eux, “ce jugement marque un tournant dans les relations du droit et de la gestion, et questionne les méthodes de management acceptables”.

 

Un “management alternatif”

Dans son communiqué, l’Union générale des ingénieurs cadres et techniciens propose de mettre en place un “management alternatif”. Il se composerait d’abord d’un “droit d’alerte, de refus et d’alternative, pour permettre à l’encadrement de faire primer son éthique professionnelle” et d’une évaluation du travail “qui redonnerait du sens à l’activité et valoriserait le collectif de travail”.

Ce nouveau type de management consisterait aussi à mettre en place une “meilleure autonomie” et reconnaissance des équipes, de “nouveaux droits” pour les représentants du personnel (notamment des “droits suspensifs” sur les réorganisations menaçant la santé au travail), une “réhabilitation des outils” de la santé au travail (“en particulier des CHSCT et de la médecine du travail”). Enfin, l’Ugict-CGT prône une réduction du temps de travail, et un “droit à la déconnexion effectif” pour l’ensemble des travailleurs.

 

 

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