Entreprise

Quand je serai grande, je serai…

Dès le plus jeune âge les garçons veulent devenir pompiers et jouent avec des camions, tandis que les filles optent pour une carrière de princesse et se voient offrir des baigneurs. Une vision stéréotypée du rôle de chacun dont elles auront bien du mal à se défaire…

Où sont les ingénieures, mathématiciennes, physiciennes ou informaticiennes ?
Seuls 17 % des métiers, représentant 16 % des emplois, sont mixtes*. Non, ces chiffres ne datent pas des années 60 mais ont bien été publiés en janvier 2014 par le gouvernement. Des barrières persistent ainsi des deux côtés. De ce fait, encore peu de femmes sont aujourd’hui ingénieures. Pas parce qu’elles ne sont pas compétentes, ni même parce qu’on refuserait de les recruter. Alors pourquoi ?

 

Tu seras ingénieur mon fils

Si traditionnellement le baccalauréat scientifique comptait plus de garçons, la tendance s’est presque inversée et la mixité est quasiment parfaite dans les terminales S du pays. “On constate que c’est déjà beaucoup moins le cas dans une filière comme STI car il y a la notion d’industrie ou d’ingénieur”, indique Marie-Sophie Pawlak, fondatrice de l’association Elles Bougent. Tout d’abord parce que les filles ont plus tendance à s’auto discriminer, si l’on en croit le rapport du gouvernement :“Malgré leur meilleure réussite scolaire (71 % des filles et 61 % des garçons d’une même génération ont obtenu le baccalauréat en 2010), les filles se retrouvent dans des filières moins sélectives et moins valorisées que les garçons (quand ils se jugent très bons en mathématiques, 8 garçons sur10 vont en S, contre 6 filles sur10)”. Mais pas seulement, selon Marie-Sophie Pawlak. Elle précise en effet que souvent, conseillers d’orientation, parents et professeurs pensent faire ce qu’il y a de mieux pour les jeunes. Quand la plupart du temps leur discours aux garçons va être : “Tu devrais tenter de t’inscrire en classe préparatoire, il faut avoir de l’ambition”, celui tenu aux filles diverge légèrement : “Réfléchis, cherche un secteur dans lequel tu vas t’épanouir, te plaire”. Pour elle, les deux discours se tiennent tout à fait, mais ils ne devraient tout simplement pas être sexués. L’école aussi joue donc un rôle dans l’entretien de ces inégalités. Marie-Sophie Pawlak constate d’ailleurs que les garçons sont souvent les espoirs de leurs parents. Pour étayer son propos elle indique que le budget moyen pour les études des enfants, toutes catégories sociales confondues, est plus élevé pour les garçons que pour les filles. Certes, la société en général ne pousse pas particulièrement les filles à ne serait-ce qu’envisager de s’orienter vers l’informatique, l’industrie, l’ingénierie… Mais sont-elles au moins volontaires ?

 

Pas très glamour…

Qu’est-ce qui fait que la parité est respectée jusqu’en terminale et que ce ne soit plus le cas après le Bac ? “On perd généralement les filles au moment de l’orientation, pointe Marie-Sophie Pawlak. Nous ne sommes pas là pour les forcer, mais pour leur faire connaître ces métiers dont elles ont une vision qui ne colle pas toujours à la réalité. C’est pourquoi il faut casser les stéréotypes. Elles imaginent qu’être ingénieur, c’est se balader en blouse blanche, avec des lunettes de protection et des chaussures de sécurité”. Or, beaucoup ont l’envie de rester féminines et ne s’imaginent pas un instant pouvoir se représenter les femmes ingénieurs en business woman. Elles ont tort en pensant que cet univers n’est pas pour elles. “On ne peut pas leur en vouloir puisque les médias, la famille et les manuels scolaires perpétuent ces idées reçues, regrette la fondatrice de l’association Elles Bougent. Si la batterie de la voiture tombe en panne, on demande au papa de s’en charger, pas à la fille ou à sa mère…”. Et en effet, les filles se retrouvent peu dans les manuels scolaires. Les écoles d’ingénieurs ont d’ailleurs longtemps pensé que cela allait les séduire de les représenter davantage sur leurs brochures. Un moyen pour eux d’espérer inverser la tendance au moment des inscriptions. Or, cela a eu pour effet… d’attirer plus de garçons. Étonnant, non ?

 

Dès le berceau

Car les brochures promotionnelles des écoles ne sont pas les seules à être à blâmer. Sur les plus de 13 000 citations de noms de femmes et d’hommes réels recensés dans l’ensemble des manuels scolaires, il y a 6,1 % de femmes, contre 93,9 % de noms masculins, rapporte l’étude “La représentation des femmes dans les manuels de français” publiée par le centre Hubertine Auclert. Une seconde enquête** issue du même centre vient ajouter que “la sous-représentation des femmes se traduit dans certains manuels, par une présence moindre dans l’iconographie, par exemple dans un manuel de terminale scientifique de tronc commun, on trouve 8 illustrations avec des femmes contre 53 images représentant des hommes”. S’il est difficile de refaire l’histoire, il y a un vrai travail de fond à réaliser dès le plus jeune âge. Malheureusement, les jeunes sont les premiers pénalisés par ce clivage puisqu’ils se ferment des portes. Et certains secteurs sont plus impactés que d’autres. “Alors que la plupart des métiers exercés par des cadres se sont féminisés au cours des deux dernières décennies, celui des ingénieurs de l’informatique reste une exception, note le rapport gouvernemental. En 2009-2011, les femmes occupent un emploi sur cinq dans le domaine de l’informatique”. Attention cependant ! Marie-Sophie Pawlak se défend de mener un combat féministe, mais précise œuvrer pour la mixité, et donc sans exclure les hommes de l’entreprise. Cependant il semblerait que le discours ait encore du mal à être intégré auprès des étudiants, tous genres confondus.

 

Un combat révolu ?

“Brûler son soutien-gorge ? C’était valable pour nos grands-mères !” Aujourd’hui peu de jeunes filles ont conscience que les inégalités persistent entre hommes et femmes et qu’elles risquent d’y être confrontées dans le monde du travail. “Il est nécessaire de sensibiliser les étudiants à l’égalité professionnelle, surtout en tant que futurs managers. Pour ce faire il faut organiser des conférences, des échanges sur cette thématique, recommande Marie-Sophie Pawlak. D’autant plus que l’on se rend compte que la jeune génération pense que c’est acquis. Garçons et filles nous voient un peu comme des acharnées lorsqu’on évoque la parité”. La fondatrice de l’association Elles Bougent confie qu’elle avait la même impression lorsqu’elle était encore étudiante. Et pourtant…. La parité en entreprise est loin d’être une réalité. En effet, le rapport gouvernemental rappelle que “les femmes comptent pour 46 % des salariés du privé mais 20 % des cadres dirigeants et 20 % des membres des conseils d’administration du CAC 40. Les femmes cadres dirigeantes sont payées 32 % de moins que les hommes – en équivalent-temps plein. 82 % des temps partiels (souvent contraints) sont féminins. La retraite moyenne des femmes (y compris les avantages accessoires, et notamment les pensions de réversion) représente 72 % de celle des hommes.” Il y a ainsi une différence entre l’école et le monde de l’entreprise. C’est pourquoi Marie-Sophie Pawlak explique qu’une femme qui fait ses premières armes en entreprise constatera que la parité n’est pas d’actualité. Au départ, elle se dira que si son collègue masculin a obtenu une promotion à sa place, c’est parce qu’elle aura été moins douée que lui. “À la deuxième, voire troisième fois, elle se posera des questions. Et le problème est que les femmes ont ce déclic un peu tard”, souligne-t-elle. Difficile pourtant de lutter et de réagir en tant que jeune recrue…

 

Marre de rire jaune

Et c’est là tout le challenge des femmes d’aujourd’hui. Car si nos aînées ont beaucoup œuvré pour l’égalité entre hommes et femmes, cette avancée ne doit pas faire oublier le bout de chemin qu’il reste à parcourir. Les femmes ont toutes les capacités et les compétences pour intégrer les univers traditionnellement masculins, et vice versa. Et si cela s’avère nécessaire, elles ne doivent pas hésiter à faire part de leur mécontentement. “Elles doivent être vigilantes lorsque quelque chose ne leur semble pas logique au niveau de leur prise de parole en réunion, des promotions, voire des remarques sexistes. Difficile de savoir où se situe la frontière avec l’humour, mais si une femme n’est pas à l’aise avec une réflexion, elle doit le dire et ne pas se forcer à rire. De même, elle doit demander des explications claires si elle n’obtient pas une promotion. Si l’on fait mine de rien, on perpétue les stéréotypes, et les filles continueront de déserter certains métiers”, assure la fondatrice de l’association Elles Bougent. À quand des petites filles qui veulent devenir super héros et des garçons qui jouent à la maîtresse ?

 

*Source : rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective publié en janvier2014. Travaux coordonnés par Marie-Cécile Naves et Vanessa Wisnia-Weill. Sont considérés comme mixtes, les métiers dans lesquels au moins 40 % du sexe minoritaire est représenté parmi les effectifs.
**Étude intitulée “Égalité femmes-hommes dans les manuels de mathématiques, une équation irrésolue ? Les représentations sexuées dans les manuels de mathématiques de Terminale” et publiée en novembre 2012.

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