Management

Reconnaissance au travail : “les managers ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore”

 

Avec Jean-Pierre Brun, professeur de management à l’université de Québec, Christophe Laval, ancien DRH du groupe Yoplait et de Compass Group en Europe, a écrit un livre dans lequel il s’intéresse aux effets de la reconnaissance sur la santé, les performances et l’engagement des salariés. Il nous en dit plus sur cette qualité managériale et son importance dans le cadre du monde du travail.

 

Pourquoi selon-vous la reconnaissance est-elle un grand « pouvoir » aux mains des managers ?

Dans « Le Pouvoir de la reconnaissance au travail« , nous expliquons avec Jean-Pierre Brun (forts de nos rencontres avec des managers, des dirigeants et des employés au cours de nos carrières respectives), que la reconnaissance est une forte demande de la part des salariés, mais que paradoxalement, particulièrement en France, ces derniers indiquent souffrir d’un déficit de reconnaissance. Selon une récente enquête Odoxa/Dentsu Aegis Network, moins d’un salarié sur deux estime être reconnu à sa juste valeur.

Cette situation doit changer, car diverses études, dont celle du cabinet Robert Half publiée début 2018, montrent que la reconnaissance est un facteur d’engagement et de motivation des collaborateurs, à plus de 50 %, devant la confiance, le sens et l’autonomie. C’est aussi un enjeu majeur de santé : le manque de reconnaissance est le premier facteur de risque psychosocial, avant même la charge de travail. Par ailleurs, elle joue un grand rôle en matière de performance. Elle a un impact significatif sur l’absentéisme, le turnover, le climat social, ou encore la satisfaction client.

La reconnaissance a un pouvoir sur l’estime de soi, le bien-être, la santé, mais également sur l’investissement dans le travail, l’efficacité du travail et la productivité. Il y a donc des intérêts mutuels et des bénéfices réciproques entre les salariés et l’entreprise, puisqu’il s’agit à la fois d’un élément de QVT (qualité de vie au travail) incontestable, et d’un élément de performance. Tout le monde est concerné par ce sujet. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous adressons dans notre livre, à la fois aux patrons, aux managers et aux employés.

Enfin, a contrario, ne pas offrir de la reconnaissance a aussi un contre-pouvoir : celui de démotiver, de vouloir faire quitter son emploi et d’augmenter l’absentéisme.

 

Pourquoi existe-t-il un tel manque de reconnaissance dans nos entreprises (en France) ?

Ce n’est pas naturel, ce n’est pas dans la culture des entreprises. Notre système éducatif nous a plutôt habitués à une culture de contrôles et de sanctions (avec les bulletins et les notes) : on a plutôt tendance à regarder ce qui ne va pas, plutôt que de souligner ce qui va bien – qu’il s’agisse des dirigeants, des managers ou des salariés.

J’ai côtoyé, avec Jean-Pierre Brun, plus de 2000 managers en dix ans, et une chose ressort de façon récurrente : il y a aussi la crainte d’ouvrir la boite de Pandore. Autrement dit, il y a la peur, en commençant à reconnaître des gens, de susciter de nouvelles attentes et/ou de voir la distance hiérarchique se réduire. Les managers ont une sorte de gêne, ou de frein, par rapport à cela.

Enfin, les managers ou les salariés disent bien souvent que la reconnaissance ne vient pas spontanément, et qu’ils ont peur de créer des « chouchous » d’un côté et des jaloux de l’autre. On traite les gens de façon hyper-égalitaire, alors que ce qui compte, c’est davantage l’équité. La reconnaissance, c’est en effet traiter les gens de façon équitable, pas tous de la même manière, en fonction de leur contribution.

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Selon vous, la reconnaissance ne se limite pas à reconnaître les résultats…

Il y a en effet 4 formes de reconnaissance. Celles des résultats, mais aussi celle de l’individu en tant que personne (traiter avec respect, donner la possibilité d’exprimer ses idées), celle des compétences et de la qualité du travail, et celle qui est le parent pauvre de toutes les organisations, malgré le fait qu’elle est très demandée : celle des efforts. Même si les résultats ne suivent pas toujours, quand des individus, seuls ou en équipe, font des efforts significatifs, il faut faire du renforcement positif. Si une organisation appliquait les 4 formes de reconnaissance, elle deviendrait véritablement vertueuse. Mais les entreprises ne sont pas très habituées à cela.

 

Comment changer les choses ?

Il faut former, et pas seulement les managers. Dans les entreprises, il faut sensibiliser tout le monde à l’importance de la reconnaissance et à ses 4 formes, mais aussi former les managers aux relations interpersonnelles et à l’application d’une reconnaissance au quotidien.

Au-delà des augmentations de salaire ou des primes, qui jouent sur la satisfaction mais à court terme, il existe une multitude de pistes pour développer la motivation individuelle et la mobilisation collective, au niveau des managers, au quotidien. Ceux-ci doivent tout d’abord appliquer les 4 formes de reconnaissance. Ils doivent ensuite faire preuve de sincérité et d’authenticité – ils doivent y croire, sinon on tombe dans la manipulation. Ils doivent aussi être réactifs, en connaissant les attentes des autres, afin de les reconnaître le plus rapidement possible, de façon personnalisée.  Enfin, ils doivent favoriser la participation et l’intégration pour co-construire, sans pour autant co-diriger.

Les managers doivent in fine dépasser la reconnaissance-gratitude (remercier les gens pour ce qu’ils font), pour s’inscrire dans le registre de la considération (permettre aux gens de témoigner leurs idées et de contribuer). Les salariés se sentiront réellement reconnus si l’on ne se limite pas juste à leur dire « bonjour » et « merci » pour ce qu’ils ont fait, mais qu’on les sollicite pour qu’ils participent.

 

Quels écueils les managers, les dirigeants et les RH doivent-ils éviter ?

Le premier écueil à éviter, c’est de créer des attentes et de ne pas y répondre. Cela peut paraître bateau, mais combien de fois a-t-on vu des dirigeants désirant agir, mais ne pas aller plus loin que la formation ! Il faut un réel engagement à mettre en place des choses concrètes.

Deuxième écueil à éviter : penser que la reconnaissance est simplement celle des managers envers leurs équipes. Car la reconnaissance n’est pas uniquement descendante, et part à 360 degrés : elle peut aussi aller des équipes vers les managers, et existe entre collègues. Chez les jeunes générations, il y a encore plus de demandes d’une reconnaissance entre pairs et entre collègues, que simplement celle du patron.

Enfin, attention à ne pas se lancer dans ce chantier uniquement pour augmenter les performances, sans vraiment croire au fond de soi-même à ce pouvoir.

 

Avez-vous des exemples d’organisations qui ont fait bouger les lignes ?

Nous en citons plusieurs dans notre livre. Colissimo, filiale de La Poste, a formé tous ses managers, mis en place des systèmes de « briefs » et des moments de convivialité, donné plus d’autonomie à leurs collaborateurs, et reconnu véritablement les efforts (et pas simplement les résultats) dans les bilans annuels. Suite à cette action multifactorielle, on a pu constater, au bout d’un an, un impact significatif sur la baisse de l’absentéisme et du nombre des jours de grève.

La société anonyme de HLM Le Toit Angevin, en plus de former ses cadres, a également fait le choix de dédier une fois par an, dans tous les services, une réunion interne à la reconnaissance – pour écouter les gens, entendre ce dont ils ont envie, et faire un point de ce qui a été mis en place durant l’année passée. Dans sa division « Champagne et Cognac », Pernod Ricard a changé les critères sur lesquels les managers sont évalués, en mettant l’accent sur la reconnaissance.

Mais il s’agit à chaque fois d’un travail de longue haleine. Il n’y a pas de méthode toute faite, miracle, à suivre. Année après année, les entreprises doivent regarder comment les choses avancent, et mesurer l’impact de la reconnaissance au travail.
 
 

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