Le trentenaire Christian Delachet a quitté le cabinet de conseil et d’audit financier EY en 2017 pour s’impliquer dans le développement de Wanted Community, réseau Facebook d’un million de membres. Co-créé avec des amis en 2011, le groupe s’est concrétisé en un bar-restaurant solidaire, le Wanted Café, ouvert à Paris l’été dernier.
L’humain, avant tout. Tel est le leitmotiv de Christian Delachet, 37 ans, qui a décroché, en 2018, une bourse Facebook d’un million de dollars. Il a abordé, au culot, Chris Cox, l’un des bras droits de Mark Zuckerberg, qui buvait un verre de vin dans un bar londonien. Originaire de Bordeaux, Christian a engagé la conversation en toute décontraction, présentant Wanted Community et son million de membres sur Facebook. Une rencontre qui n’est pas un hasard, puisque Christian était dans la capitale britannique pour défendre son projet avec ses deux amis et associés, Luc et Jérémie, également bordelais. En 2011, ils avaient lancé, sur le réseau social, le groupe « Wanted #bons plans » pour s’échanger des tuyaux : « Nous étions montés à Paris fauchés, à la recherche permanente de solutions pour se loger, trouver du boulot, aller en soirée, etc. En basculant progressivement dans l’entraide locale et quotidienne, nous sommes passés, en quelques années, de 300 inscrits à un million ! » Leur objectif est de transformer le virtuel en réel, en créant un lieu solidaire. Ce qui correspond justement à la volonté de Facebook, qui envisageait à l’époque d’ouvrir des cafés et voulait, par ailleurs, récompenser les meilleures communautés à travers la planète.
La force de l’engagement
« Nous avons terminé premiers en Europe et dans le top 5 mondial, se souvient Christian. Car non seulement notre communauté est grande mais nos statistiques d’engagement sont très élevées avec beaucoup d’échanges entre membres et une bonne modération. D’où l’intérêt suscité auprès des équipes de Facebook. » L’argent remporté a permis d’inaugurer, à l’été 2022, Wanted Café dans le 10e arrondissement de Paris, celui initialement implanté à Bordeaux ayant dû fermer à cause de la pandémie. Dans ce bar-restaurant, les clients qui ont du pouvoir d’achat paient cafés et plats à ceux qui n’ont pas les moyens. C’est le principe du « suspendu »: en versant un pourboire solidaire d’un ou cinq euros, ils financent un café ou un repas pour une personne précaire, SDF, étudiant ou réfugié qui peut s’attabler, dans un souci d’inclusion et de lien social. Depuis juillet, plus de 300 cafés et 600 repas ont été offerts.
Inadaptation au cadre
Environ 350 membres de la Wanted Community ont aussi investi dans ce projet. Dont les deux anciens managers de Christian quand il était avocat fiscaliste. En effet, dans une première vie, Christian a décroché un master en droit européen : « Ce n’était pas une vocation, j’ai suivi cette voie sans aucune ambition. Par hasard et par relations, j’ai trouvé un stage de fin d’études chez EY à Paris, dans les fusions acquisitions : c’étaient des tâches ingrates et machinales. En jouant au foot avec des avocats associés d’un autre service, j’ai changé de poste. » Il aide alors les expatriés à faire de l’optimisation fiscale : « Je ne comprenais pas l’utilité d’aider les gens riches à payer moins d’impôts… J’étais inadapté à ce cadre : avoir de belles chaussures et des montres chères ne m’intéressait pas ; travailler dans une grande tour à la Défense, être rasé de près, porter un costard, ce n’était pas pour moi. » Il a eu la chance de collaborer avec deux supérieurs hiérarchiques bienveillants et dont il est resté proche : « Ils avaient réussi à dompter la bête ! Quand j’arrivais le lundi matin – si je parvenais à venir au bureau ! – j’étais plus fatigué que le vendredi car j’avais fait la fête tout le week-end, sans dormir. Ces deux bons samaritains m’ont pris sous leur aile parce que j’étais sympa, que je les amusais. Je me sers encore tous les jours de ce qu’ils m’ont appris : force de travail, capacités d’analyse et d’organisation, relations humaines. »
Sans eux, Christian assure qu’il ne serait jamais resté cinq ans. Il finit par négocier son départ en 2017 : « Certes, je gagnais bien ma vie. Mais j’avais l’impression de la gâcher du lundi au vendredi et de n’en profiter que deux jours par semaine. J’ai commencé à être déprimé et fatigué, ne trouvant même plus de plaisir dans la fête. » Il s’investit davantage dans Wanted Community qui prend de l’ampleur : « On a réussi à sortir des gens de la rue et je me suis dit que c’était ça, la vraie vie, plutôt que mes dossiers chez EY. Toutes ces belles histoires, interactions positives et bonnes actions me nourrissaient. On a enlevé le côté mercantile, par exemple les gens qui vendaient des vêtements d’occasion, pour privilégier les dons. On a mis fin aux opérations de promotion de ceux qui voulaient se faire de la pub. On réalisait un gros travail de modération pour éviter les arnaques, les comportements subversifs, les propos injurieux… Cela a permis de créer une communauté de confiance. » Il envisage deux options pour l’avenir : soit créer d’autres Wanted cafés, soit décliner le savoir-faire acquis dans le « suspendu » à d’autres structures et secteurs, pour subventionner des chambres d’hôtels ou des places de concert et de cinéma, par exemples. « Wanted #bonnes idées »…