31 % des détenus travaillent lorsqu’ils sont en prison, selon le ministère de l’Intérieur. « Nous les aidons à réparer le passé et à préparer l’avenir en faisant de cette peine un temps utile. Ce travail en détention est parfois leur première expérience professionnelle. Nous les incitons à développer des compétences recherchées sur le marché et à travailler dans des conditions proches de la réalité. Ils perçoivent un pécule afin que leur sortie se déroule bien et qu’ils retrouvent une place dans la société », explique Simon Vandenbroucke, chef du service des politiques et de l’accompagnement vers l’emploi à l’ATIGIP.
La magie de la rencontre
Cependant, plus de six anciens détenus sur dix (63 %) récidivent dans les 5 premières années suivant leur incarcération, d’après les chiffres du ministère de la Justice, publiés en décembre 2023. Plus ils sont jeunes, et moins la sortie est accompagnée, plus le risque de récidive s’accroît. À l’inverse, une réinsertion professionnelle rapide permet de réduire ce risque. Seul bémol ? « Les anciens détenus sont souvent mal perçus par les entreprises. Leurs profils suscitent des craintes », regrette Thomas Valentin, Président de la Fondation du Groupe M6.
C’est pourquoi, « nous voulons provoquer une prise de conscience, mais ce n’est pas suffisant ! Il faut que la magie de la rencontre opère. C’est en passant du temps avec quelqu’un qu’on peut découvrir sa personnalité, son potentiel. En plus, c’est motivant, car on se sent utile », poursuit le DRH du groupe M6, Christophe Foglio. « Ce type de rencontre est très riche humainement, car elle permet d’ouvrir des portes sur de nouveaux horizons. C’est également à ce moment-là qu’on se rend compte qu’on n’est pas si différents les uns des autres », complète la journaliste et marraine de la Fondation M6, Nathalie Renoux.
Identifier le bon manager
Une fois embauché, il s’agit d’intégrer, de former et de faire progresser ce nouveau collaborateur. Et pour y parvenir, le choix du manager qui l’accompagnera dans l’entreprise est crucial. « Notre responsabilité est de bien connaître nos équipes afin d’identifier le bon profil, capable d’assurer cet accompagnement un peu différent des autres. Mais, il faut aussi que la démarche vienne du futur manager, qu’il ait envie de se lancer dans cette aventure humaine, car c’est un rôle chronophage, parfois difficile », reconnait Christophe Foglio.
La bienveillance est une caractéristique managériale essentielle. David Rivolier, manager d’un ancien détenu pendant deux ans au sein d’M6, rappelle toutefois l’écueil à éviter : « Il faut être pédagogue, mais ferme, surtout au début. Il ne faut pas être trop gentil, parler des vies personnelles respectives, ou adopter une posture maternante. C’est contre-productif pour gagner le respect de l’autre. Il faut savoir faire preuve d’autorité, surtout quand des recadrages sont nécessaires. Au départ, ils doivent apprendre certains codes, acquérir de l’expérience professionnelle, même s’ils pensent en avoir. Comme tous les jeunes finalement. »
La réussite de ce binôme de travail repose également sur une bonne communication, d’après Ahmed*, sous la supervision de David. « Grâce à son empathie et son intuition, il m’a aidé à gagner confiance en moi, à m’ouvrir davantage, à changer de mentalité. Nous échangions de manière régulière et transparente. C’est très efficace pour éviter qu’une situation anodine s’envenime. Il a changé ma vie ! », confie-t-il.
Ces derniers ont atteint l’objectif commun qu’ils s’étaient fixés : faire décrocher un contrat pérenne à Hamed au sein du média. « C’était une question de vie ou de mort. Il fallait absolument qu’il obtienne ce contrat. Mais pour cela, il fallait qu’il soit très bon. Donc, nous avons beaucoup travaillé. Maintenant qu’il a été recruté définitivement, nous sommes certains que son passage par la case prison n’entravera plus la suite de son parcours professionnel. Au contraire, toutes les portes seront ouvertes ! », se réjouit Sylvain.
Mobiliser les entreprises
La Fondation M6 entend désormais renforcer son appel auprès d’autres entreprises pour lever les appréhensions autour de profils sortant de prison. Objectif ? Qu’elles soient plus nombreuses à se saisir de ce sujet de diversité et d’inclusion. « En tant qu’entreprise, c’est normal d’avoir peur, mais c’est aussi une grande fierté de voir évoluer ces collaborateurs, parfois plus vite que les autres », termine Thomas Valentin.
Pour rappel, la Fondation M6 défend la réinsertion pour l’emploi des personnes sortant de prison depuis une quinzaine d’années, sous l’impulsion de son ex-président, Nicolas de Tavernost. Elle a soutenu 280 projets associatifs et opère, dans le même temps, ses propres projets (concours national d’écriture en détention, appel à projet pour l’environnement à l’échelle de la prison, ainsi qu’une journée découverte afin de faire se rencontrer l’univers carcéral et le monde de l’entreprise. L’objectif étant de déconstruire les représentations biaisées réciproques, prendre confiance en soi, simuler des entretiens, bénéficier de conseils RH pour optimiser la présentation du parcours et du projet professionnel, etc). 50 % des participants ont accédé à l’emploi dans les semaines qui ont suivi cette journée découverte.
*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat du témoin.