Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, a remis ses recommandations au gouvernement, dans l’optique d’un « système universel ». Dans quelle mesure cette réforme pourrait-elle impacter les cadres ? Décryptage.
Après 18 mois de discussions, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, a remis ses recommandations au gouvernement et aux partenaires sociaux, dans un rapport intitulé « Pour un système universel de retraite ». Elles serviront de base au projet de loi, qui sera présenté d’ici la fin de l’année, pour une application en 2025. Mais qu’en sera-t-il pour les cadres ?
Un minimum de retraite égal à 85 % du Smic net
Grâce aux conclusions de Jean-Paul Delevoye, il est possible d’y voir plus clair, face à une réforme qui restait floue. Concrètement, celle-ci prévoit de remplacer les multiples barèmes de calcul des retraites et les 42 régimes spéciaux par un régime unique, où chaque euro cotisé sera converti en « points » tout au long de la carrière, ce qui donnera lieu aux mêmes droits pour tous – que l’on soit salarié, fonctionnaire ou indépendant. « Il s’agira d’un système plus juste où 1 euro cotisé vaudra les mêmes droits pour tous, quel que soit le statut professionnel », peut-on lire dans le rapport.
L’âge légal de départ restera fixé, de son côté, à 62 ans, mais avec un abattement de 10 % sur sa retraite complémentaire. Le rapport Delevoye recommande ainsi pour le futur « système universel » un « âge d’équilibre » à 64 ans, avec une pension à taux plein, mais aussi un minimum de retraite augmenté à 85 % du Smic (contre 81 % pour les salariés actuellement). Il préconise que « l’âge du taux plein » permettant une retraite complète « soit le même pour tous, contrairement à aujourd’hui où il est compris entre 62 et 67 ans en fonction de la durée travaillée ».
La fin de l’Agirc-Arrco « impactera le niveau de vie des cadres »
Début juillet, l’Ugict-Cgt, qui avait anticipé les recommandations de Jean-Paul Delevoye, a lancé une plate-forme d’information sur le sujet. Le syndicat redoutait le « déclassement » à venir des cadres. Suite à la divulgation du rapport Delevoye, il campe sur ses positions. « Ces recommandations confirment ce que nous craignions. Avec des mesures qui pénaliseront l’ensemble des salariés, mais en particulier les cadres, puisque cette réforme signera bien la fin du système de retraites complémentaires Agirc-Arrco, qui permettait de garantir le maintien de leur niveau de vie », explique Sophie Binet, co-secrétaire générale de l’organisation.
« Alors que le nombre de retraités augmentera de 37 % en 2050, le niveau de financement du système devrait rester à ressources constantes, ce qui se traduira par un effondrement du niveau des pensions par rapport aux salaires de fin de carrière… pour le plus grand bonheur des banques et des assurances », note l’Ugict-Cgt, qui craint que les cadres se tournent vers les « fausses solutions » de l’épargne individuelle et de la capitalisation.
Les cadres supérieurs cotiseront moins
« Un euro cotisé donnera les mêmes droits à tous : à cotisation identique, retraite identique », a expliqué Jean-Paul Delevoye. Mais si le gouvernement prévoit pour sa réforme de faire bénéficier les revenus modestes d’un dispositif minimum de pension, du côté des cadres supérieurs, la situation pourrait être toute autre. Le taux de cotisation sera identique pour les salariés (28,12 %), mais il s’appliquera jusqu’à 120 000 euros de revenus (soit trois fois le plafond de la Sécurité sociale). Au-delà, une cotisation de 2,81 % s’appliquera. Elle ne sera pas « créatrice de droits » et participera au financement de la solidarité.
« Ainsi, les cadres supérieurs, qui paient aujourd’hui des cotisations jusqu’à 8 plafonds de la Sécurité sociale (soit 320 000 euros bruts par an), devraient à partir de 2025 ne payer que 3 plafonds. Ils paieront moins de cotisations, ce qui signifiera aussi moins de droits à la retraite, donc des pensions finalement plus faibles », déplore Sophie Binet.
Pour la co-secrétaire générale de l’Ugict-Cgt, la prise en compte de l’ensemble de la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé, devrait également pénaliser les cadres : « avec ce système, celles et ceux qui ont eu des carrières ascendantes seront particulièrement perdants. Plus vous aurez un salaire de fin de carrière éloigné de celui du début, plus vous serez défavorisé ».
Une indexation des pensions sur l’inflation
Jean-Paul Delevoye a par ailleurs annoncé une indexation de la valeur des points sur les salaires, et non plus sur l’inflation – afin que le « niveau des retraites reste sécurisé dans le temps ». En revanche, les pensions resteront indexées sur l’évolution des prix à la consommation.
« Dans le système universel, il est proposé que la règle d’indexation des retraites reste celle prévue actuellement, c’est-à-dire l’inflation. Toutefois, dans le cadre du pilotage des paramètres, les partenaires sociaux auront la possibilité de se prononcer sur une éventuelle revalorisation des retraites en fonction de l’évolution des salaires », peut-on lire dans le rapport de Jean-Paul Delevoye. « Cette possibilité, qui sera ouverte sur la base d’une analyse pluriannuelle, permettra de mieux ajuster la revalorisation des retraites à la situation économique du pays et de répartir équitablement les efforts entre les générations, sans faire dépendre trop fortement les retraites des évolutions du cycle conjoncturel », ajoute le haut-commissaire.
Le rapport, qui se projette après 2025, ne parle par contre pas du projet d’Emmanuel Macron de ne réindexer (en 2020) sur l’inflation que les pensions inférieures à 2 000 euros – et donc de continuer à « sous-indexer » les autres, qui devront attendre 2021. Comme le note Challenges, si cette annonce était mise en oeuvre, il s’agirait d’un « quasi-gel » des pensions des cadres retraités, préjudiciables pour le porte-monnaie d’une population qui a vu son pouvoir d’achat chuter de 15 % depuis 1992, alors que celui des ex-salariés non-cadres a baissé de 4 %.