Édouard Philippe a annoncé dans une lettre adressée aux organisations syndicales qu’il n’excluait pas de retirer du projet de loi « la mesure de court terme « consistant à converger progressivement, à partir de 2022, vers un âge d’équilibre de 64 ans en 2027 ». Mais que signifierait un retrait, provisoire ou définitif, de l’âge pivot, notamment pour les cadres ? Selon différents experts interrogés, pas grand chose.
L’âge pivot de 64 ans n’entrera peut-être pas en vigueur en 2022 comme le voulait le gouvernement : dans une lettre de cadrage adressée aux syndicats, le Premier ministre s’est dit prêt à renoncer à la mesure d’âge pivot qui s’applique à partir de 2022 (1).
“Pour démontrer ma confiance envers les partenaires sociaux, et ne pas préjuger de l’issue de leurs travaux concernant les mesures à prendre pour atteindre l’équilibre en 2027, je suis disposé à retirer du projet de loi la mesure de court terme que j’avais proposée, consistant à converger progressivement à partir de 2022 vers un âge d’équilibre de 64 ans en 2027”, écrit Édouard Philippe. Il charge une “conférence de financement” de trouver les mesures nécessaires au remplacement de l’âge pivot, entre fin janvier et fin avril.
“L’annonce d’Édouard Philippe n’est qu’une façon de gagner du temps”
“Les annonces du gouvernement sont encore pire que ce qui était contenu dans le projet Delevoye. Nous voici désormais face à un projet complètement opaque, concernant la valeur du point et le taux de remplacement notamment. Et si Édouard Philippe retire l’âge pivot, dans le même temps, il refuse toute solution alternative de financement autre que l’allongement de durée du travail”, souligne Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de l’Ugict-CGT. “Par ailleurs, ce retrait ne pourrait être que provisoire, et rien ne dit qu’il ne reviendra pas sur sa décision”, ajoute-t-elle.
Ainsi, le Premier ministre accepte simplement la proposition de la CFDT, qui souhaitait que soit organisée une conférence de financement pour trouver des moyens d’équilibrer le système de retraite à l’horizon 2027, et corrèle au retrait de l’âge pivot le fait de trouver “des mesures satisfaisantes à l’issue de cette négociation, d’ici à la fin du mois d’avril 2020”. Si ce n’est pas le cas, le projet de loi prévoira que le gouvernement pourra lui-même prendre des mesures par ordonnances. Dans son courrier, Édouard Philippe explique en outre que “les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie”.
“Les seules solutions possibles pour trouver l’équilibre, dans ce cas de figure, sont donc de puiser dans les réserves, ou d’allonger la durée du travail, dont la durée d’annuités, ce qui revient à l’âge pivot”, note Marie-José Kotlicki. Selon Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), “la future conférence de financement n’aboutira sans doute qu’à une décision proche de cet âge d’équilibre.”
Pierre Roger, négociateur de la CFE-CGC et délégué national à la protection sociale du syndicat, ne dit pas autre chose : “l’annonce d’Édouard Philippe n’est qu’une façon de gagner du temps, car l’architecture globale du projet de système universel par points n’est pas remise en cause. La marge de négociations sera étroite, et le seul élément de concertation possible sera la durée, l’augmentation de la durée de cotisation”.
“Le retrait de l’âge pivot ne changerait rien du tout pour les cadres”
Que changerait un potentiel retrait de l’âge pivot pour les cadres ? “Rien du tout, puisqu’ils continueront à accéder à un emploi stable vers 27 ans et demi (selon les études de l’Insee et de la Dares), et que dans le même temps, le régime a point restera calculé sur l’ensemble des salaires de toute la carrière, au lieu des 25 dernières meilleures années. Ce qui pénalisera les carrières ascendantes : les cadres, quel que soit leur salaire, devront épargner toute leur vie sur les marchés financiers, et seront soumis aux aléas de la Bourse”, déplore Marie-José Kotlicki, iajoute-t-elle.
L’économiste Henri Sterdyniak a par contre un avis diamétralement opposé sur les principales “victimes” de la réforme des retraites. “Les cadres ont déjà une retraite assurée par l’Agirc, et ils seront relativement moins touchés par la réforme que les plus bas salaires, car le système ressemblera à celui de l’Agirc. Ils commencent à cumuler des cotisations à 22-23 ans en moyenne, et ont de façon une retraite à taux plein vers 64 ans, donc l’âge pivot et cette réforme ne changeraient pas grand chose pour eux”, remarque-t-il. “Les vraies victimes, ce seront les non-cadres qui cumulaient des points avant 22-23 ans, et qui partaient à la retraite plus tôt”, conclut-il.
(1) L’âge pivot à 64 ans, mesure phare de la réforme, signifiait jusqu’ici qu’un travailleur pouvait partir en retraite avec son taux plein à partir de 64 ans.