Les négociations entre les syndicats des cadres et le gouvernement s’achèvent ce lundi. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux Retraites, tente de rassurer la CFE CGC et l’Ugict CGT, en envisageant une “période de transition” de 15 ans pour les cadres à haut salaire, ainsi que le maintien de réserves financières. Les organisations syndicales, de leur côté, restent méfiantes et réclament davantage.
En septembre dernier, François Hommeril, président de la CFE-CGC, ne cachait pas son inquiétude quant à l’impact que pourrait avoir la future réforme des retraites sur les cadres. Il déplorait la façon dont le gouvernement leur demandait “de payer sans cesse, tout en leur retirant de plus en plus de droits”. Son principal point d’inquiétude, qui demeure le même aujourd’hui, portait sur la prise en compte de l’ensemble de la carrière, au lieu des 25 meilleures années dans le privé. De son côté, Sophie Binet, co-secrétaire générale de l’Ugict-Cgt nous expliquait cet été craindre “des mesures qui pénaliseront les cadres en particulier, avec la fin du système de retraites complémentaires Agirc-Arrco, qui permettait de garantir le maintien de leur niveau de vie.”
En pleine mobilisation sociale contre la réforme des retraites, les deux syndicats ont achevé ce lundi 9 décembre une phase de “concertations” avec le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, qui se veut, malgré le scepticisme ambiant, rassurant. Ce dernier leur a indiqué qu’il proposerait au gouvernement de ne pas supprimer “immédiatement” les cotisations créatrices de droits au-delà de 10 000 euros de revenus mensuels. Il se dit ainsi prêt mettre en place une “période de transition” sur mesure, qui pourrait durer 15 ans. Il n’écarte pas non plus d’imposer la nécessité de conserver en permanence 6 mois de réserves financières, comme c’est le cas actuellement à l’Agirc-Arrco. (1)
“Pour l’instant, le business plan proposé ne tient pas la route”
Pour la CFE-CGC, revenir temporairement sur le périmètre du futur régime universel par points permettrait de laisser aux cadres à hauts salaires (300 000 personnes, qui cotisent aujourd’hui au régime complémentaire Agirc-Arrco jusqu’à 27.000 euros de revenu mensuel) la possibilité de continuer à cotiser et d’assurer leurs arrières.
“Pour que le futur régime ‘universel’ maintienne le niveau des pensions, il faudra constituer des réserves ; ce que ne prévoit pas le projet Delevoye. Nous lui avons expliqué ce point, et il l’a reconnu, mais il n’est pas Premier ministre, ce n’est pas lui qui décide”, indique Pierre Roger, négociateur de la CFE-CGC et délégué national à la protection sociale.
Si Jean-Paul Delevoye se dit prêt à envisager le maintien transitoire des cotisations jusqu’à 8 plafonds de la Sécurité sociale, “il n’est absolument pas certain que le gouvernement suive ses recommandations”, ajoute-t-il.
Selon le syndicaliste, “le système imaginé par le gouvernement ne sera viable et pérenne qu’avec un minimum de réserves financières, car en cas de crise économique, ce serait le seul moyen de garantir nos taux de remplacement. Sans cela, il faudrait soit baisser les pensions, soit créer un déficit. Pour l’instant, le business plan proposé ne tient pas la route”. Pierre Roger note en outre que “ces questions ne concernent pas que les plus hauts salaires, mais au moins les trois quart des cadres”.
Le négociateur de la CFE-CGC a l’air sceptique, mais il préfère le terme de “prudent” pour décrire son ressenti. Son syndicat attendra ainsi les annonces du gouvernement, qui auront lieu mercredi 11 décembre (pour un projet de loi présenté durant l’été 2020). Mais au-delà des garanties de Jean-Paul Delevoye, le syndicat demeure hostile au principe même de la prise en compte de l’ensemble de la carrière pour déterminer les retraites.
“Ces propositions ne nous conviennent de toute façon qu’à moitié, car si pour les cadres partant entre 2025 et 2029, la situation serait neutre, les suivants perdraient toujours 10 à 15 % de leurs pensions”, tranche-t-il.
“Ce que proposera le gouvernement risque d’être de la poudre aux yeux”
Du côté de l’Ugict-CGT, le scepticisme est en revanche ouvertement affiché.
“Jean-Paul Delevoye n’a pas répondu à nos propositions de prendre en compte la validation des années d’études supérieures pour le calcul de la retraite, d’augmenter les cotisations, et d’écarter tout âge pivot. Édouard Philippe semble du reste encore plus fermé à cette idée. Il est en outre arc-bouté sur l’idée de prendre en compte l’ensemble des années de carrière plutôt que les 25 dernières années, qui pénaliserait toutes les carrières ascendantes, donc tous les cadres”, note Marie-José Kotlicki, dirigeante de l’Ugict CGT.
Pour elle, “ce qui se profile, c’est finalement une baisse programmée des pensions, avec un départ à la retraite des cadres vers 70 ans, pour une maigre retraite. Et ce que proposera le gouvernement mercredi risque fort d’être de la poudre aux yeux”.
Les deux syndicats de cadres demeurent disposés à “continuer les négociations” au-delà des futures annonces d’Édouard Philippe. “Mais dans le cas où nos propositions ne seraient pas retenues, nous prendrions probablement les décisions qui s’imposent”, conclut Pierre Roger.
(1) Pour “garantir le pouvoir d’achat” des retraités cadres, l’Agirc-Arrco doit disposer à tout moment de réserves équivalentes à 6 mois de pensions, sur les 15 prochaines années. Quand le niveau des réserves financières est trop bas, le régime de retraite complémentaire doit saisir les partenaires sociaux “qui doivent adapter ou changer” son pilotage stratégique.