Annoncer une grossesse enclenche trop souvent, chez les collaboratrices, un cercle vicieux qui entraîne baisse de considération, de rémunération et d’évolution professionnelle. Thi Nhu An Pham dénonce ce constat dans son livre La Reprise, paru fin mai chez Payot. Elle y propose aussi des solutions à destination des managers et des DRH, afin de créer un contexte gagnant-gagnant.
Thi Nhu An Pham occupait le poste de directrice de la communication quand est survenu son licenciement économique alors qu’elle était en congé maternité. Elle a alors lancé son podcast, « La Reprise », dédié aux thématiques de parentalité et travail. C’est également l’intitulé de son livre paru fin mai chez Payot et sous-titré « Le tabou de la condition des femmes après le congé maternité ». L’auteure y analyse la situation actuelle, défavorable aux mères, mais propose aussi des solutions à déployer en entreprise. Autant de conseils très utiles aux managers et responsables des ressources humaines pour amorcer le changement…
Changer le regard porté sur les collaboratrices mères
« On entend, hélas, fréquemment qu’elles n’ont pas envie de retravailler, qu’elles ne sont pas aussi motivées ni impliquées. Mais il ne faut pas penser à la place des femmes : la reprise est une grande joie pour beaucoup. Il n’est pas contradictoire d’avoir un bébé et de vouloir revenir au travail ! Le problème vient du fait que l’on considère, en général, que la conciliation entre vies professionnelle et familiale repose sur les mères.
De ce fait, elles sont injustement perçues comme moins compétentes qu’avant leur accouchement. Il faut, au contraire, les valoriser et leur donner confiance. Il y a là un vrai sujet pour les responsables RH : prendre en compte les compétences agrégées, le fait que les parents, et en particulier les mères, acquièrent ou renforcent des soft skills, qui sont très utiles y compris dans leur métier. Que ce soit le sens de l’organisation, le développement de la polyvalence, la capacité à gérer les crises et à travailler en mode projet, etc. Une naissance fait toujours évoluer les hommes comme les femmes, dès le projet d’avoir un enfant et bien après le retour au travail. Or cette transformation n’est pas toujours consciente chez les parents. Pourtant, ils ont souvent des envies d’autres missions voire d’autres métiers.
Enfin, il faut instaurer une tolérance zéro vis-à-vis des propos et des petites phrases assassines à l’encontre des mères, du harcèlement moral enclenché parfois dès l’annonce de la grossesse. Dire « Tu es enceinte, tu assumes », c’est injuste car faire des enfants, c’est assurer l’avenir de la société, pour le financement des retraites comme l’éclosion des talents de demain dont les entreprises auront besoin ! »
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Etre à l’écoute
« Cela permet d’aller au-delà des présupposés et des idées préconçues sur ce que veulent les mères. Mais aussi de créer une vraie compréhension et une prise en compte des besoins liés à la reprise, à leur réintégration. Donc en tout premier lieu, il faut donner la parole aux nouveaux parents et a fortiori aux mères. Car l’équation de vie est nouvelle, l’équilibre est fondamentalement transformé, il faut trouver un nouveau rythme. Une transition s’opère, et ce pendant des semaines voire des mois : les managers et les DRH sont en face d’une personne différente par rapport à celle qui est partie. Il est donc capital de programmer plusieurs entretiens, qui permettront d’identifier une fatigue accumulée, notamment.
A l’issue du congé maternité, il existe plusieurs obligations légales pour l’employeur vis-à-vis des mères. D’abord une visite médicale dans les huit jours suivants le retour en poste, dans le cadre de la médecine du travail : malheureusement, elle est rarement faite. D’autre part, un entretien professionnel de retour de congé maternité, prévu par le Code du travail, mais peu souvent programmé. Attention, ce n’est pas un entretien d’évaluation : il s’agit de discuter des attentes, des éventuelles contraintes d’organisation, des envies et des besoins. »
Adapter l’organisation du travail
« Au-delà des entretiens réguliers qui s’avèrent indispensables, la collaboratrice s’étant éloignée plusieurs semaines – six mois en moyenne selon l’union nationale des associations familiales – il est crucial de mettre en place un processus de réintégration. Car en son absence, beaucoup de choses se sont passées dans l’entreprise. Il m’est arrivé d’entendre des femmes me dire : « Je suis revenue et je ne savais même pas où m’installer, je n’avais plus de bureau, je ne savais pas quoi faire. » Donc il faut, à l’instar de ce qui se fait pour les nouvelles recrues, prévoir un « re-onboarding ». La reprise étant une période de transition, l’employeur doit faire preuve de souplesse, de progressivité car revenir après des mois d’absence est épuisant, un temps de réadaptation est nécessaire. Le cabinet d’audit, conseil et expertise-comptable KPMG l’a bien compris : il propose au père ou à la mère de bénéficier d’un temps partiel à 80 % rémunéré à 100 %, pendant un maximum de six mois, applicable jusqu’à un an après la naissance ou l’adoption. Malheureusement, ce que l’on observe trop souvent, ce sont les femmes qui passent à temps partiel mais travaillent beaucoup plus : un poste à 100 % dans les faits, payé 80 % ! »
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Revoir la culture d’entreprise
« Il faut envisager la parentalité au sens large : hommes et femmes sont à la fois collaborateurs et pères ou mères. La culture d’entreprise doit favoriser cet équilibre entre vie personnelle et professionnelle, avec des réunions organisées ni trop tôt le matin, ni trop tard le soir. Ou encore le respect du congé paternité. Et non pas le culte du présentéisme, qui est trop souvent pratiqué en France. Sachant que l’accompagnement de la parentalité démarre à la déclaration de la grossesse. Si, dès cette annonce, les femmes se sentent dévalorisées, la reprise n’en sera que plus difficile avec l’angoisse du retour, un sentiment d’illégitimité, une perte de confiance. C’est alors un cercle vicieux qui s’enclenche. La culture doit émaner de la direction générale, de la DRH et des managers. C’est d’autant plus indispensable que la loi Rixain du 24 décembre 2021 prévoit qu’à compter du 1er mars 2026, il faudra atteindre au moins 30 % de femmes et d’hommes cadres dirigeants et au moins 30 % de femmes et d’hommes membres d’instances dirigeantes. Des proportions qui passeront à 40 % à partir du 1er mars 2029. Donc il s’agit dès maintenant d’identifier et de soutenir les leadeuses de demain. »
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Participer au Parental Challenge
« Le Parental Challenge est très intéressant car il balaie toutes les étapes du parcours vers la parentalité. Il présente les droits et ce rappel est fondamental. Cela permet aussi de se mettre à réfléchir sur ces questions tous ensemble dans l’entreprise. Beaucoup de start-ups en sont signataires et il arrive même qu’elles précisent, dès l’offre d’emploi, la possibilité de bénéficier d’un congé parental élargi. Donc de nombreux signaux m’indiquent que les choses sont en train d’avancer. Mais pour que cela change vraiment, il faut que la société dans son ensemble évolue, pas seulement le monde du travail. Comme dans les pays précurseurs du nord de l’Europe, où les pères s’impliquent réellement dans les tâches domestiques et parentales, grâce à des congés paternité suffisamment longs pour leur permettre d’apprendre leur rôle. Et l’Espagne ou l’Italie sont aussi en avance par rapport à la France… »
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