Face au projet de réforme des retraites dévoilé par le gouvernement le 11 décembre, les syndicats de cadres appellent désormais à la mobilisation. De son côté, le Medef est satisfait des propositions d’Édouard Philippe, mais ne cache pas son inquiétude quant aux réserves de l’Agirc-Arrco.
Après 6 jours de mobilisation contre la réforme des retraites, Édouard Philippe a dévoilé le 11 décembre l’architecture de son projet de système universel par points. Si quelques concessions ont été faites, elles ne convainquent pas les syndicats de cadres, qui sortent de leurs réserves et appellent désormais à la mobilisation.
En début de semaine, Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux Retraites, avait tenté de rassurer la CFE CGC et l’Ugict CGT, en envisageant une “période de transition” de 15 ans pour les cadres à haut salaire, ainsi que le maintien de réserves financières.
“Pour que le futur régime ‘universel’ maintienne le niveau des pensions, il faudra constituer des réserves ; ce que ne prévoit pas le projet Delevoye. Nous lui avons expliqué ce point, et il l’a reconnu, mais il n’est pas Premier ministre, ce n’est pas lui qui décide”, nous indiquait Pierre Roger, négociateur de la CFE-CGC et délégué national à la protection sociale. De son côté, l’Ugict CGT s’attendait ouvertement à “de la poudre aux yeux” de la part du gouvernement. Les deux syndicats de cadres demeuraient toutefois disposés à “continuer les négociations” au-delà des annonces d’Édouard Philippe.
“Nous n’avons pas du tout été entendus”
Deux jours plus tard, après le discours du Premier ministre, qui a dévoilé l’architecture de son projet de système universel par points, les syndicats sont passés du scepticisme et de la prudence à l’appel à la mobilisation.
“On espérait une ouverture qui n’a pas eu lieu. Le gouvernement n’a fait que reprendre, in extenso, la proposition du haut-commissaire dans son rapport d’origine, à deux exceptions : une légère augmentation du taux de cotisation pour les femmes ayant 3 enfants, et un étalement dans le temps pour éviter que la réforme ne soit trop brutale”, résume Pierre Roger. Ainsi, la génération née en 2004 entrera directement dans le nouveau système, mais les personnes nées en 1975 et avant ne seront elles pas concernées. Pour les autres, l’entrée dans le régime universel sera progressive.
“La période de transition promise pour les cadres à haut salaire ne se fera qu’en fonction de leur date de naissance, et ceux qui sont nés après 1975 devront capitaliser auprès de leur banque ou de leur compagnie d’assurance s’ils veulent une retraite supplémentaire”, déplore le syndicaliste.
Jean-Paul Delevoye avait tenté de rassurer les syndicats en envisageant d’imposer la nécessité de conserver en permanence 6 mois de réserves financières, comme c’est le cas actuellement à l’Agirc-Arrco. “Là-dessus non plus, nous n’avons pas du tout été entendus par le gouvernement. Et le pire, c’est que sans réserve, le régime sera déséquilibré et fragilisé : les cadres supérieurs, qui paient aujourd’hui des cotisations jusqu’à 8 plafonds de la Sécurité sociale (soit 320 000 euros bruts par an), devraient à partir de 2025 ne payer que 3 plafonds. En règle générale, ce sont 300 000 personnes qui cotisent 4 milliards d’euros par an, et qui ne le feront plus pour leurs caisses supplémentaires Agirc-Arrco. Résultat, il faudra puiser dans les réserves pour palier les déficits de cotisation, au lieu de constituer une sécurité en cas de crise économique”, explique Pierre Roger.
“Les cadres seront les premiers perdants dans cette affaire”
La CFE-CGC, qui se montrait jusqu’ici simplement “prudente”, n’hésite désormais plus à qualifier la future réforme de “dangereuse et inutile”.
“C’est un système qui se veut redistributif, mais qui pénalisera une partie de la population, en particulier les cadres et les carrières ascendantes. Nous serons les premiers perdants dans cette affaire, alors que nous n’avons jamais demandé à moins cotiser”, indique Pierre Roger.
Finalement, le syndicat participera à la journée interprofessionnelle du 17 décembre, organisée par la CGT, FO, la FSU et Solidaires. De son côté l’Ugict CGT, qui appelle également les cadres à “descendre massivement dans la rue”, condamne dans un communiqué “l’attitude du gouvernement, qui persiste et signe, poussant les ingénieurs et les cadres vers la capitalisation”.
Le Médef “compte sur la responsabilité” du gouvernement
“Le gouvernement aura réussi l’exploit de rassembler tout le monde contre sa réforme. Même le Médef s’avoue inquiet pour la réserve de l’Agirc-Arrco”, note Pierre Roger. En effet, si le président de l’organisation patronale, Geoffroy Roux de Bézieux, a salué ce jeudi sur France Inter un “bon équilibre entre une réforme qui est redistributive et la nécessité de travailler plus longtemps”, il a reproché au gouvernement de ne “pas avoir abordé le sort” de ce régime de retraite complémentaire, qui dispose des plus grosses réserves de tous les régimes (70 milliards d’euros).
“Ces réserves sont sacrées, car elles sont le fruit des cotisations des salariés et des employeurs, et il ne faudrait pas que dans la fusion des indépendants, des salariés du privé et des fonctionnaires, elles soient confisquées”, indique le patron du Médef.
Geoffroy Roux de Bézieux estime finalement que le Premier ministre “a présenté un compromis qui va coûter assez cher et que l’on ne peut pas annoncer sans des mesures de financement”, ajoutant “compter sur la responsabilité du gouvernement”.