Depuis la fusion en 2019 des régimes de retraite complémentaire Agirc et Arrco, le principal support de la définition de l’encadrement est devenu caduc. D’où les négociations actuellement en cours entre les différents partenaires sociaux. Mais tandis que le Medef propose de renvoyer aux branches le soin de définir ce qu’est un personnel d’encadrement dans le “contexte sectoriel qui est le sien”, les syndicats de cadres réclament une définition “utilisable au niveau national” pour éviter les dérives. Le point de vue de Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de l’Ugict-CGT.
Quel est votre regard sur les propositions du Medef ? Selon vous, le statut cadre est-il menacé ?
Vendredi 17 janvier 2020, deux ans après la première réunion de négociation sur l’encadrement, le Medef a proposé un “texte de synthèse”, dans lequel il décline 17 “orientations” pour les cadres. Mais il s’agit d’un texte déséquilibré qui menace leur statut, car il refuse de donner une définition nationale et interprofessionnelle de l’encadrement. Celle-ci existait jusqu’ici dans le cadre de la convention de 1947 de l’Agirc-Arrco, et notre action, ainsi que celle de tous les autres syndicats, est de l’actualiser, en se basant sur des éléments produits par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ; et d’autres validés par les partenaires sociaux dans les conventions collectives de branches professionnelles.
L’absence d’une “définition interprofessionnelle” de l’encadrement est critique. Car celle-ci permet aujourd’hui de définir les catégories “objectives” qui permettent de sécuriser le parcours des cadres. Le patronat souhaiterait que les employeurs, entreprises par entreprises, définissent eux-mêmes qui est cadre et qui ne l’est pas. Cette idée est très dangereuse pour la mobilité des personnels d’encadrement, car cela signifierait qu’un cadre changeant d’entreprise risquerait de perdre son statut. Ce qui risquerait très clairement de se faire au détriment des PME et TPE, car comparé aux grandes entreprises, celles-ci ne pourraient pas se permettre de reconnaître un cadre en échange d’un contrat de prévoyance, de formations et d’un certain niveau de rémunération ; il s’agirait dans ce sens d’une concurrence déloyale.
Une véritable définition interprofessionnelle permettrait ainsi de préserver la mobilité de l’encadrement et garantirait de ne pas perdre le fait d’être reconnu cadre, quelle que soit la taille de l’entreprise, ou le métier qu’il effectuera. Il y a donc un réel besoin de prendre en compte ce qui fait les traits communs de l’encadrement aujourd’hui, sur des critères objectifs. Dans l’intérêt des cadres, des entreprises, mais aussi du patronat, s’il veut continuer à bénéficier des exonérations sociales et fiscales liées aux contrats de prévoyance pour les cadres.
Quel est l’enjeu de cette négociation sur la “notion d’encadrement” ? Pourquoi les cadres ont-ils besoin d’un statut ?
Lorsque l’on est identifié comme cadre, l’on cotise et l’on a droit aux services de l’Apec, ce qui est un élément extrêmement important pour rester en emploi, garantir un parcours professionnel, et être informé sur l’évolution des métiers. Le statut cadre garantit aussi l’accès à une prévoyance cadre, avec un taux de cotisation qui provient uniquement du patronat. Quelle que soit la branche, il apporte aussi des seuils d’entrée de classification, une rémunération minimale. Il permet également d’avoir une représentation spécifique aux prud’hommes en permettant d’être défendu par des juges issus de l’encadrement.
Plus globalement, cela fait partie d’une reconnaissance globale de l’encadrement, et de ses qualifications. L’enjeu de cette négociation est d’aller au-delà de la conservation du statut, et de permettre aux cadres d’être professionnellement engagés et socialement responsables ; d’exercer réellement toutes leurs responsabilités, et pas seulement celles qui sont économiques. Dans ce cadre, une définition utilisable au niveau national, claire et objective est primordiale.
Les cadres sont de plus en plus soumis à des responsabilités pour lesquelles ils sont justiciables, ils sont de plus en plus exposés aux effets de la digitalisation (maintien dans l’emploi pour les seniors, équilibre vie professionnelle – vie personnelle), et ont besoin de protections et de nouveaux droits. Sécuriser et enrichir leur statut est enfin essentiel pour leur permettre de refuser d’exécuter des directives de la hiérarchie (sans craindre d’être licenciés), quand celles-ci sont contraires à la sécurité du collectif du travail, qu’elles mettent en danger l’environnement, ou qu’elles couvrent des délits contraires à l’intérêt général.
Les résultats de cette négociation auront sans doute un impact très fort sur l’implication des cadres, mais aussi sur leur bien-être au travail ; ceux-ci étant de plus en plus exposés au burn-out.
Que proposez vous de votre côté pour “sécuriser” le statut des cadres ?
D’abord de concevoir une définition nationale et interprofessionnelle objectivée, quelle que soit la profession du cadre ; au lieu de la laisser au bon vouloir de chaque employeur selon des critères qu’il aurait lui même choisis. Nous préconisons donc de réaffirmer la définition de l’encadrement au travers d’un référentiel national interprofessionnel, qui serait basé sur des critères objectifs : le niveau de formation initiale ou acquise, le degré d’autonomie dans le travail et le niveau de responsabilités sociales et économiques.
Ensuite, nous demandons que la prévoyance des cadres (sujet absent du document du Medef) soit confortée et maintenue. Enfin, la direction ayant des exigences de haut niveau concernant les cadres (diplômes élevés, compétences), le statut devra garantir un ensemble de droits permettant à l’encadrement de bien travailler, d’exercer leurs responsabilités sociales, et d’avoir accès à une formation actualisée leur permettant de se maintenir dans l’emploi et de prendre soin de leurs collaborateurs, ainsi que d’eux-mêmes.