Management

Surmenage des managers : entre tabou et prévention

Pressions multiples, exposition aux tensions internes et responsabilités en pagaille :  les managers frôlent parfois la crise de nerfs. En jonglant en permanence entre les requêtes de leurs équipes, de leur direction et les réunions à rallonge, ils s’égarent parfois dans leur rôle de chef d’équipe et perdent en efficacité. Au gré d’une trop lourde charge mentale.

Le quotidien des managers est rythmé par la recherche immuable d’un savant équilibre entre gestion des équipes, et donc des tracas personnels ou professionnels des collaborateurs, et réussite des objectifs de rentabilité et de résultat. Là réside tout l’enjeu : répondre efficacement aux sollicitations des managés, sans pour autant se laisser submerger en ajoutant la somme de leurs problématiques à leur propre charge de manager. « Devenir manager c’est souvent faire le travail qu’on faisait avant en y ajoutant la myriade de problématiques personnelles et tout l’élément humain au travail qui peut prendre un temps fou et auquel il faut impérativement savoir s’adapter« , résume Julian Alart, fondateur de la start-up Lumm, spécialisée dans le bien-être et la santé mentale au travail.

Car c’est bien le sujet, la santé mentale et l’organisation au travail des chefs d’équipe. Une analyse partagée par Michael Nlandu, directeur associé chez Quaternaire, entreprise de conseil et de formation en management qui intervient notamment auprès de La Maison du management : « Tout l’enjeu est de trouver le juste équilibre pour s’adapter aux besoins singuliers des collaborateurs, en fonction de leur motivation, de leur rapport au travail et du contexte personnel de chacun. Notre vision c’est que bien-être et performance des managers sont indissociables. » Et pour cause, une situation de « sur-sollicitations » peut nuire directement aux missions premières des managers. « Le sujet de la pression sur les managers, nous l’abordons au quotidien et cela concerne tous les secteurs, confirme Loïc Lenormand, gérant et associé de Ways Academy, centre de formation au management et au leadership. Le risque premier est de perdre la capacité de prise de recul et d’analyse, ainsi que le temps indispensable à s’accorder pour avoir une lecture claire des enjeux pour faire des choix de management et de stratégie appropriés. »

Un sujet encore tabou

Problème, si les managers vivent cette dichotomie entre pression interne et impératifs de résultats au quotidien, les entreprises ne s’emparent que trop peu de l’enjeu. « Le manager est vu par ses collaborateurs comme une personne qui a choisi ce rôle et qui doit prendre ses responsabilités, et le manager lui-même se voit comme le responsable qui doit assumer la charge mentale de ses collaborateurs« , regrette Michelle Dewerpe, associée de Ways Academy. De fait, le manager est en première ligne en permanence. Si un maillon de la chaine tangue ou ne fonctionne plus comme il le faudrait, le risque de surcharge mentale est prégnant.

 

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Entre impératifs business, production de la performance et gestion personnelle et collective des collaborateurs, difficile de faire le tri sans passer par la case arbitrage. « Il ne faut pas que les problèmes des managers soient la somme des problèmes de leurs équipes. Nous remarquons souvent la difficulté d’arbitrer entre ce qui est important et ce qui est urgent« , ajoute Michelle Dewerpe. Sans parler des problématiques de turnover et de recrutement, et donc de construction et d’animation des équipes, qui engendrent encore plus de pression. Selon Michael Nlandu, une prise de conscience est nécessaire : « Nos clients managers nous disent qu’ils n’en peuvent plus, d’autant plus que le mode hybride les incite, en quelque sorte, à être des managers augmentés. Et de plus en plus de personnes disent ne plus vouloir devenir manager : les entreprises auraient intérêt à s’en rendre compte. »

Se pose de fait le problème de la perception du manager par l’entreprise et par les salariés. Pour nombre de chefs d’équipe, repousser ou refuser des sollicitations équivaudrait à faire preuve de faiblesse et d’incapacité. Loin s’en faut. « La perception qu’un manager est là avant tout pour son équipe est légitime mais elle est mauvaise, assure l’associée de Ways Academy. Si on ne met pas de barrières quand il le faut, les équipes se permettront naturellement de solliciter davantage le manager au moindre prétexte et parfois pour des sujets qui ne relèvent pas forcément de son rôle. »

À chacun son territoire

En 2000, paraissait le best-seller Le Manager est un psy, de Jean-Luc Emery et Eric Albert (éditions Eyrolles). L’affirmation ne saurait être contredite, mais si le manager se doit d’accompagner et de soutenir ses équipes, il ne doit pas pour autant résoudre leurs problèmes à leur place. « Une notion très importante est celle des territoires de responsabilité, qui ont tendance à s’échanger de manière incontrôlée, explique Loïc Lenormand. Dans une équipe, chacun a ses tâches et un degré d’autonomie qui doit être défini, sans quoi un manager peut se retrouver à donner des coups de main et à être impliqué dans des sujets qu’il ne doit pas avoir à gérer. »

Pour éviter aux managers ce surrégime, Michael Nlandu évoque trois pistes à prendre en compte : « Le premier sujet consiste, pour le manager, à s’interroger sur la façon de poser des limites vis-à-vis des sollicitations qu’il reçoit pour s’en protéger ; la deuxième réflexion porte sur l’organisation du travail, qui doit être protectrice pour les managers et être menée au niveau de l’entreprise ; enfin, le troisième niveau concerne les relations interpersonnelles : il faut être armé pour pouvoir interagir de manière pertinente et dans une logique de conservation d’énergie. » Pour cela, s’accorder un temps d’analyse et de recul est incontournable, de même que de se former sur les compétences émotionnelles. « Au minimum une heure par semaine pour soi, c’est un rituel qui doit être installé et rester immuable. Il faut savoir ne pas répondre systématiquement à toutes les sollicitations et renvoyer le collaborateur à son territoire et ses compétences quand il le faut« , insiste Michelle Dewerpe. En définitive, la qualité des relations interpersonnelles et l’efficacité d’une équipe sont un sport collectif, dont le manager est le premier garant. Et le premier à en subir les contrecoups.

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Cet article est extrait du n°140 de Courrier Cadres disponible ici : www.courriercadres.com/boutique

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