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Télétravail : Des économistes allemands proposent une “taxe sur le travail à domicile”

Pour aider à “reconstruire l’économie” après le Covid-19, des économistes de la Deutsche Bank proposent de créer une “taxe sur le télétravail” pour aider ceux qui ne peuvent pas travailler à domicile. En partant du postulat que les télétravailleurs recevraient “des avantages financiers directs et indirects”.

C’est un rapport qui ne manquera pas de faire polémique et de faire bondir les experts du travail. Dans le numéro 19 de Konzept, la revue de recherche économique de la Deutsche Bank, des chercheurs préconisent de créer une taxe sur le télétravail. Cette proposition, qui fait partie d’une liste de mesures destinées à “reconstruire l’économie” après la crise du Covid-19, part du principe que “les personnes qui peuvent travailler chez eux ont tiré de nombreux avantages pendant la pandémie.” Chez eux, ils feraient d’importantes économies, contrairement à des salariés “moins bien payés” et obligés de travailler en présentiel.

 

Le télétravail, un “privilège” ?

Les économistes de la Deutsche Bank soutiennent une thèse qui devrait créer la controverse. Selon eux, le télétravail est “financièrement intéressant”.

“Il offre des économies financières directes sur des dépenses telles que les voyages, le déjeuner, les vêtements et le nettoyage. Ajoutez à cela les économies indirectes réalisées grâce à la renonciation aux frais de socialisation et autres dépenses qui auraient été engagées si un travailleur avait été au bureau. Il y a ensuite les avantages intangibles du travail à domicile, comme une plus grande sécurité de l’emploi, la commodité et la flexibilité”, écrivent-ils.

Alors que le télétravail ne cesse de se développer dans la contrainte face à la pandémie de coronavirus, les chercheurs indiquent que selon leurs études, “plus de la moitié des personnes qui ont expérimenté ce mode de travail le poursuivront de manière permanente, entre deux et trois jours par semaine”. Or, écrivent-ils, “notre système économique n’est pas conçu pour faire face à des personnes qui peuvent se déconnecter de la société en face”. Et d’ajouter que “ceux qui le peuvent reçoivent des avantages financiers directs et indirects”, et qu’ils “devraient être taxés”, afin de “compléter les revenus des travailleurs modestes” contraints de se rendre sur leur lieu de travail.

“Le passage soudain au télétravail signifie que, pour la première fois dans l’histoire, une grande partie de la population s’est déconnectée du monde extérieur, tout en continuant à mener une vie économique normale. Autrement dit, les travailleurs à distance contribuent moins à l’infrastructure de l’économie, tout en continuant à bénéficier de ses avantages. C’est un gros problème pour l’économie, car il a fallu des siècles pour mettre en place l’infrastructure commerciale et économique qui soutient le travail en face à face”, estime Luke Templeman, chercheur à la Deutsche Bank et co-auteur de l’étude.

 

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S’adapter à cette “nouvelle normalité”

Et même si le télétravail est à l’origine, selon de nombreuses études, d’une forte aggravation des risques psychosociaux (isolement, stress, addictions, dépression, burn-out), “les avantages nouvellement découverts du travail à domicile, tant matériels qu’immatériels, l’emportent généralement sur les coûts. Ces coûts ne doivent pas être sous-estimés, mais ils sont généralement dérisoires par rapport aux gains”, note Luke Templeman. “C’est pourquoi la grande majorité des travailleurs à domicile veulent continuer à travailler à distance, du moins à temps partiel, après la fin de la pandémie”, ajoute-t-il.

Les chercheurs de la Deutsche Bank soutiennent que les “nouveaux styles de travail” nécessiteront de nouveaux systèmes fiscaux. Le travail à domicile fera partie de la “nouvelle normalité bien après la fin de la pandémie”, peut-on lire dans le rapport. “Nous soutenons donc que les travailleurs à distance devraient payer un impôt pour ce privilège. Nos calculs suggèrent que les montants collectés pourraient financer des subventions de revenu matériel pour les personnes à faible revenu qui ne peuvent pas travailler à distance”.

 

Une taxe à 5 % pour “chaque jour passé à la maison”

Le rapport de la Deutsche Bank propose une taxe de 5 % pour “chaque jour passé à la maison”. Sur un salaire de 30 000 euros par an, la cotisation serait par exemple de 7 euros par jour de télétravail (environ 72 euros par mois, dans le cas d’un rythme de 3 jours par semaine), ce qui correspondrait au prix moyen des dépenses quotidiennes pour se rendre au travail ; entre les transports et les repas. Selon les chercheurs, “cette taxe pourrait faire augmenter de 2 500 euros le salaire annuel des salariés les plus précaires”, au Royaume-Uni et en Allemagne, notamment.

Cette taxe ne concernerait pas les travailleurs indépendants ni les personnes aux plus faibles revenus. L’impôt serait payé par l’employeur lorsque la société ne fournit pas de bureau à l’employé. Mais tous les autres salariés qui choisiraient de travailler à domicile “lorsqu’ils auraient la possibilité de venir au bureau” devraient payer l’impôt sur leur propre salaire.

“Certains s’opposeront à cette taxe. Ils diront que l’engagement dans l’économie est un choix personnel et qu’ils ne devraient pas être pénalisés pour avoir pris cette décision. Pourtant, ces personnes devraient se rappeler que les gouvernements ont toujours appuyé les taxes pour s’adapter à l’environnement social. Alors que notre société actuelle évolue vers un état de déconnexion humaine, notre système fiscal doit évoluer avec elle”, estiment les chercheurs.

 

Soutenir les plus bas salaires

Selon les économistes, une taxe sur le travail à domicile “n’aurait finalement pas pour but de subventionner les entreprises qui n’ont pas d’avenir à long terme, mais de soutenir la masse de personnes démunies, soudainement déplacées par des forces échappant à leur contrôle, et forcées de se tourner vers des emplois mal payés”.

“D’un point de vue personnel et économique, il est logique que ces personnes à bas revenus reçoivent un coup de main. Il est également logique de reconnaître les travailleurs essentiels qui courent actuellement de gros risques face au Covid-19 pour de faibles salaires. Ceux qui ont la chance d’être en mesure de se déconnecter de l’économie en face à face le leur doivent”, concluent-ils.

 

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