Dans une étude publiée ce lundi 6 avril, l’école de commerce et de management EM Normandie fait le point sur les compétences nécessaires pour être un télétravailleur performant. Des résultats qui prennent d’autant plus leur sens dans le contexte actuel, lié au coronavirus. Explications de Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie et coordinateur de l’étude.
Quelle est la genèse de cette enquête ?
Le groupe Aksis, spécialisé dans le conseil RH et partenaire de mon centre de recherches, m’avait demandé de travailler sur les compétences comportementales des télétravailleurs. Leur idée à l’époque, avant la crise du Covid-19, était de déterminer quelles sont les compétences à valider avant que l’entreprise acte le travail à distance pour les collaborateurs. Nous avons donc fait une étude au mois de janvier. Désormais, avec le coronavirus et le confinement, c’est un sujet qui concerne 25 % de la population et non plus 2 %. Le principe de notre étude reposait sur l’analyse d’un échantillon de salariés que nous suivons depuis 10 ans. Pour ceux qui avaient été en télétravail, nous avons passé au crible leurs performances, leur carrière et les compétences qu’ils possèdent. L’idée était de voir pourquoi le télétravail se passait bien dans certain cas, c’est-à-dire que les salariés avaient de bonnes performances (progression de carrière, on niveau de rémunération, etc.) et de comprendre pourquoi d’autres ceux avaient des performances dégradées ou moyennes.
Quels en sont les principaux enseignements ?
Sur les 17 compétences que nous avons mesurées, 6 d’entre-elles sont directement corrélées à la rémunération ou encore l’atteinte des performances. Parmi elles, il y a les compétences classiques et visibles relevant de l’organisation : savoir à qui demander l’information ou savoir se connaître (jusqu’où peut-on aller tout seul et à partir de quand on a besoin de demander de l’aide). Puis, il y a d’autres types de compétences que nous avons découvertes et qui sont, elles, plus inentendues. Comme l’empathie, c’est-à-dire la capacité de comprendre le besoin d’autrui. Cela est très important car quand vous êtes tous les jours avec vos collègues, vous avez plusieurs occasions de leur parler, de prendre le pouls de leur moral, de voir ce qui va et ne va pas. Chose que vous n’avez plus l’occasion de faire quand vous êtes en télétravail. Et donc il faut se contenter de signaux faibles et être en capacité de les remarquer à distance. Une compétence qui est donc très importante pour comprendre où en sont vos collaborateurs mais aussi quelles sont les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Enfin, dernière compétence que nous avons détectée est la capacité à se promouvoir. C’est-à-dire faire connaître ses réalisations et son travail alors que, finalement, on a peu de fenêtres de tirs pour le faire.
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Pourquoi cette compétence est primordiale selon vous ?
Quand on est en télétravail, on n’est pas présent physiquement mais on est visible par e-mail ou par visioconférence, soit quelques minutes ou heures dans la journée. Dans ce contexte, la tentation est grande de faire son travail dans son coin, de se replier sur soi et de manquer de moyens pour faire connaître ce que l’on réalise mais aussi pour expliquer ses difficultés. Et là, le télétravail peut devenir compliqué. Car prenons l’exemple d’un collaborateur qui souhaite ne rien changer à ses habitudes et à son rythme de travail mais qui habite dans un petit appartement où le conjoint et les enfants sont présents. Si pour lui il est impossible d’expliquer ses conditions de travail dégradées, inconsciemment le manager ou les équipes peuvent penser que ce collaborateur ne travaille pas. C’est d’ailleurs l’un des tabous le plus prégnant au télétravail. Donc promouvoir ses réalisations c’est aussi cela : expliquer les difficultés et les conditions inhabituelles dans lesquelles on peut réaliser ses missions. Ce que nous constatons est simple : la capacité de se promouvoir explique 21 % des différences de performance entre les bons et les mauvais télétravailleurs. C’est beaucoup.
Dans le contexte actuel, il est d’autant plus important d’avoir cela en tête. Selon vous, quel impact aura ce “télétravail forcé” au sein des organisations sur le long terme ?
À mon sens, cette période de télétravail va faire bouger les lignes et changer l’image que les managers avaient de certains de collaborateurs, et cela dans les deux sens. Par exemple, des personnes qui étaient très performants quand ils étaient proches physiquement des managers dans les bureaux, le seront moins à distance et passeront dans le “deuxième cercle” de relation du manager et inversement. Sans que l’on s’en rende compte, l’image qu’auront les managers de leurs équipes va véritablement évoluer ce qui aura forcément des incidences sur les relations à long terme mais également sur les éventuelles augmentations ou progressions de carrière des salariés.
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Quels conseils donneriez-vous aux managers et aux collaborateurs pour être performants durant cette période inédite ?
Pour les managers, je conseillerais d’être attentif aux collaborateurs qui ont dû mal à promouvoir leur travail. Ne pas hésiter, donc, à leur faire prendre la parole lors de rendez-vous visio réguliers, de dire à tout le monde de mettre la caméra pour avoir une certaine proximité et surtout de donner l’occasion que les collaborateurs fassent part de leurs difficultés éventuelles. Il ne faut pas oublier que le télétravail abolit la frontière entre vie privée et vie pro. Donc en tant que manager, il faut donner l’exemple en expliquant que vous n’avez pas pu faire telle ou telle tâche parce que vos enfants sont présents et ont demandé du temps. Ayez en tête que tout le monde évolue dans une situation de travail dégradée et que vos collaborateurs ont besoin d’être rassurés, donc assumez les difficultés que vous rencontrez, à titre personnel. Pour les collaborateurs, je donnerais un conseil : ne pensez pas que vous pourrez travailler comme d’habitude, en maintenant un niveau de performance très élevé. Car si ce n’est pas possible, ce sera pire que tout. Il ne faut pas faire l’autruche : en étant en télétravail, vous ne pouvez pas travailler de la même façon qu’au bureau. Mais cela ne veut pas dire être moins performant, au contraire.