Dans un contexte marqué par les démissions et les nouvelles attentes des cadres, les stratégies RH des entreprises doivent s’adapter à vitesse grand V. Décryptage avec Rémi Malenfant, directeur de l’innovation RH chez UKG, spécialiste des solutions de digitalisation RH qui publie une étude sur les grandes tendances du recrutement.
Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent de votre étude ?
Quelles que soient les tailles d’entreprises et les industries, le sujet prioritaire des DRH c’est le recrutement. Beaucoup de personnes quittent leur entreprise, à tel point que l’on parle de « grande démission » (520 000 démissions sur le premier trimestre 2022 selon la Dares). Nous observons dans le même temps un changement de paradigme, auparavant on ne parlait que de la guerre des talents, aujourd’hui on se pose plus la question de la rétention de ces talents. Le recrutement et la rétention doivent aller de pair, et il faut faire autant d’efforts pour l’un que pour l’autre, notamment en soignant sa marque employeur et son attractivité. Cette enquête montre également que justement, les collaborateurs peuvent revenir après leur départ, et il faut être capable de leur donner envie de revenir et de rester.
Peut-on expliquer les vagues de démission et les tensions de recrutement par les nouvelles attentes des cadres ?
Ces tendances résultent d’une série de facteurs, mais il est indéniable que la crise et la pandémie ont un impact considérable. Beaucoup se sont interrogés sur le sens du travail, sur leur rythme professionnel. Mais aussi sur l’utilité de leur métier et de leur activité. Ces questionnements sont évidemment liés à la conjoncture économique et politique du moment, qui crée de l’anxiété quant au climat, à l’inflation… Quand on observe le nombre de démissions, on arrive à des niveaux atteints lors de la crise de 2008. Un contexte de crise peut mener à une remise en cause du travail et la période actuelle est en effet caractérisée par une quête de sens plus marquée.
L’entretien de la marque employeur est-il devenu d’autant plus stratégique pour les entreprises ?
Cela fait désormais partie des défis pour les RH et les employeurs de prendre la parole sur ces enjeux de transition. Beaucoup d’entreprises en étaient déjà conscientes, ce qui a changé c’est que la plupart se rendent aujourd’hui compte qu’elles n’ont plus le choix. Il est fréquent que des candidats posent des questions en entretien sur la politique RSE, la gestion des déchets, les liens avec des œuvres de charité…
Une étude intéressante est le baromètre Edelman de la confiance, qui interroge sur les institutions qui inspirent le plus confiance. L’institution qui arrive en tête en 2022 c’est son employeur (67 % de taux de confiance en France). Il y a donc à la fois une confiance mais également une pression et une attente de la part des salariés.
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Vous avancez que 58 % des démissionnaires déclarent regretter leur démission, comment l’expliquer ?
Nous avons comparé plusieurs pays et cette donnée est propre à la France puisque la moyenne globale est de 40 %. Le fait de changer plusieurs fois d’entreprises en cours de carrière est moins ancré dans notre culture professionnelle. Au Royaume-Uni par exemple, le marché du travail est beaucoup plus flexible et les personnes changent plus rapidement de poste ou même de métier. En France, nous avons plus le poids du diplôme et de l’expérience. Et ce sont des choses que les collaborateurs ont intériorisés. Au Royaume-Uni, parmi les démissionnaires, beaucoup ont changé de poste ou d’industrie. En France, la plupart sont restés sur des postes similaires. Une donnée positive tout de même : 65 % des démissionnaires se disent prêts à retourner travailler pour leur ancien employeur.
Pourquoi, tandis qu’il y a plus de regrets en France quant aux démissions, il y a pour autant moins de retours ?
Une première explication est le fait qu’en France, seuls 52 % des managers se disent ouverts à l’idée de réembaucher un ancien collaborateur, en dessous des chiffres des autres pays. Là encore, je dirais que c’est très culturel. Beaucoup d’employeurs voient encore les démissions comme quelque chose de déloyal. En réalité, une personne qui s’en va gère sa carrière. Et le potentiel retour d’anciens salariés présente des avantages pour tout le monde. Le salarié aura enrichi ses compétences et l’employeur recrute une personne qui connaît ses process et sa culture, et qui est connu par la structure. Pour les RH, se pose alors la question de l’onboarding de ces salariés boomerang, qui doit être franc et ouvert.
Comment voyez-vous ce contexte évoluer ?
On se fait à l’idée de l’opportunité que représentent les salariés boomerang. J’ai le sentiment que les DRH sont de plus en plus convaincus, mais qu’il y a encore un travail à mener auprès des managers pour leur montrer que c’est une source de talents à disposition. Derrière ce chiffre des 65 % des démissionnaires qui sont prêts à revenir, j’y vois une attente que les entreprises fassent le premier pas. Le message pour le managers c’est allez-y. Aussi, on voit souvent ces sujets de recrutement et de réseau comme un sujet exclusivement RH. Il serait intéressant au contraire d’intégrer les managers dans ces démarches. Les managers sont ceux qui ont un impact fort sur la rétention des talents.