Entreprise

Tiers-lieux : le renouveau du coworking et des bureaux partagés

Malmenés par le Covid, les opérateurs de bureaux partagés et autres services de coworking repartent à la conquête de la France. Pour s’adapter à un monde du travail qui change, ils se développent en région, multiplient les services et innovent avec de nouvelles offres de "bureaux opérés". 

En s’installant en octobre 2022 dans le quartier parisien de Montparnasse, à deux pas de la gare, Wojo a frappé un grand coup : 1 600 postes de travail et 41 salles de réunion à la décoration soignée, des parkings pour les vélos et des espaces de restauration, et même un rooftop, le tout sur sept étages et 13 000 m2… Le site devient le 18ème espace du spécialiste du coworking (détenu par Bouygues Immobilier et Accor depuis 2017), qui ambitionne de devenir « l’acteur référent de la workspitality en développant des lieux créateurs d’expériences de travail uniques, enrichis de services, pensés pour la performance et la connexion des talents », explique son PDG Stéphane Bensimon. De l’autre côté de la Seine, d’autres géants prennent également leurs aises.

Un marché en pleine croissance

Ouvert en septembre 2022 dans le IXème arrondissement, le plus grand des sites de Morning en met plein la vue, avec son vaste atrium sous verrière et ses équipements : une ribambelle de salles pour travailler, un studio média pour enregistrer un podcast, une salle pour le sport et le yoga, un salon de bien-être… Les 9 800 m2, qui peuvent accueillir jusqu’à 1 000 salariés, affichent presque complet. Et en février dernier, toujours dans le IXème arrondissement (avenue Trudaine), Wework a inauguré sa vingtième implantation à Paris, un lieu trendy de 7 300 m2 baigné de lumière. Les trois nouvelles adresses parisiennes illustrent le retour en grâce du coworking. Mis à mal par les années Covid qui ont vidé les espaces pendant de longs mois et empêché les relations sociales qui sont au cœur de son modèle, le marché reprend des couleurs. Selon une étude de Xerfi, il a progressé de 25 % en 2022, et la croissance devrait atteindre 10 % par an dans les deux prochaines années, porté notamment par quelques grandes enseignes : Wojo et Morning donc, mais aussi le spécialiste des centres d’affaires IWG qui, avec ses enseignes Regus et Stop & Work, met le paquet en France ; sans oublier Spaces ou encore le géant américain Wework, malmené par le Covid et qui a récemment renégocié sa dette pour mieux rebondir.

Ainsi, la France comptait 2 800 espaces de coworking en 2022, contre 360 en 2015 et 1 700 en 2019. Pour autant, la crise sanitaire a durablement modifié les comportements, et donc les stratégies des opérateurs. Alors que Paris a longtemps concentré l’essentiel des investissements, la saturation guette (l’Île-de-France concentre 34 % des espaces). C’est d’autant plus vrai que de nombreux Franciliens quittent leur région pour s’installer dans des villes moins denses et que la généralisation du télétravail (pratiqué par 21 % des salariés en 2021 selon une étude de la Direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques), modifie en profondeur l’usage du bureau. Il devient davantage un point de rencontres et d’échanges entre collègues et un endroit pour faire des messages qu’un lieu de travail au quotidien. 46 % des entreprises accorderaient désormais des jours de télétravail à leurs salariés avec, en corollaire, une réduction des surfaces de bureau au profit de solutions de flex office, en particulier dans des espaces de coworking qui offrent plus de souplesse aux salariés tout en évitant l’isolement à domicile que certains redoutent et de meilleures conditions de travail que dans le salon de la maison. Au-delà des économies réalisées sur l’immobilier, les entreprises y voient également l’occasion de renforcer leur marque employeur en répondant aux aspirations de meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle ; un élément essentiel alors que recruter et surtout conserver les talents devient un défi quotidien.

Des ouvertures partout en France

Même si de nouvelles adresses sont encore annoncées en Île-de-France, ce sont donc les régions qui devraient tirer la croissance. Partout, les spécialistes du coworking explorent de nouvelles terres. Lyon (où Spaces s’étend désormais sur un site de 10 000 m2 dans la nouvelle tour To-Lyon), Aix-Marseille, Lille et Bordeaux font la course en tête, portées par les géants du secteur mais aussi des opérateurs plus petits qui concentrent leur stratégie sur la province, comme Startway (34 sites en France, dont une quinzaine en région), Bureaux & Co, Newton Offices qui prévoit d’augmenter son offre de 45 000 m2 d’ici 2024 ou encore Now Coworking qui a ouvert à Nantes et Rouen en 2023. Nice, Nantes, Montpellier, Strasbourg, Toulouse et Rennes constituent d’autres cibles et les villes de taille moyenne pourraient prendre le relais, de Dijon à Orléans, de Grenoble à Clermont-Ferrand. De quoi espérer un doublement des surfaces de coworking dans les trois ans et attirer de nouveaux acteurs. Ainsi La Poste Immobilière, présente dans le monde du travail partagé depuis 2016 avec une participation majoritaire dans Startway, a racheté Multiburo (23 sites en France). Très présent dans les gares, l’acteur permet aux membres du programme de fidélité Grand Voyageur de la SNCF de bénéficier de réductions dans ses espaces de coworking. Forte de cette opération, La Poste Immobilier ambitionne de tisser un réseau d’une centaine de sites en Europe en 2027.    

Des offres variées et étoffées     

Cette effervescence va obliger les opérateurs à mieux segmenter leurs offres pour se démarquer et convaincre entreprises et salariés de pousser leurs portes. Certains se spécialisent sur des clientèles (artistes, femmes, et même sites accueillant les animaux de compagnie), d’autres jouent la carte de la montée en gamme à l’image de Deskopolitan qui propose même de dormir sur place dans l’une des chambres aménagées sur son site de Paris Voltaire, ou de Gustave Collection dont les collaborateurs ont été formés dans l’hôtellerie de luxe. Au-delà de l’utilisation de matériaux de qualité, cela passe par un service attentionné digne d’une conciergerie où les habitudes de chaque utilisateur sont reconnues. Les hôteliers s’y mettent également, avec l’ambition de compenser une clientèle de voyageurs d’affaires moins nombreuse depuis la crise sanitaire et de générer de nouveaux flux toute la journée (avec des entreprises locales, travailleurs nomades, habitants du quartier…) en transformant leurs établissements en véritables lieux de vie. S’appuyant sur sa filiale Wojo, Accor installe des corners et désormais des espaces entièrement dédiés au coworking dans ses hôtels en Europe (déjà 400 équipés). Le Groupe Barrière propose une « escapade travail » dans ses hôtels, avec une pièce aménagée et deux pauses gourmandes. De son côté, Best Western poursuit le déploiement de sa marque de coworking myWO, l’objectif étant de déployer cette offre dans les 300 établissements français.

Dans le même temps, « les offres de coworking prennent un virage résolument serviciel avec le développement d’une offre de bureaux opérés » note l’étude de Xerfi. « À la croisée du bureau indépendant et du coworking, le bureau opéré se loue via un contrat de prestation de services. Il permet aux entreprises de louer un espace totalement privatif tout en bénéficiant d’une offre de services (gestion de l’accès, maintenance, ménage, eau, électricité, cuisine équipée, accès à Internet, matériel multimédia, taxe foncière…), avec une facture mensuelle tout compris. Loin du traditionnel bail commercial 3/6/9, la solution est idéale pour les entreprises recherchant un maximum de flexibilité mais désireuse de créer ou de garder leur ADN », explique la plateforme Ubiq (ex Bureaux à partager). Parmi les exploitants, on trouve des spécialistes du coworking qui organisent leurs larges espaces en conséquence afin de réserver des plateaux entiers aux bureaux partagés. Ainsi, Wojo développe les offres réservées aux entreprises souhaitant louer des espaces privatifs, occasionnellement ou sur la durée. Ce marché est également boosté par de nouveaux acteurs spécialisés, par exemple My Flex Office, Les Nouveaux Bureaux, Hiptown, Deskeo qui ambitionne de doublier son parc d’ici 2025, Now Connected (émanation de Now Coworking) qui veut exploiter 75 sites en 2025 ou encore Comet Meetings, alléchés par les perspectives. Selon les spécialistes, les espaces de travail partagés pourraient atteindre 20 % du stock de bureaux en Europe à l’horizon 2035.

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