Santé au travail forte chaleur
Entreprise

Tout savoir sur les conditions de travail en période de fortes chaleurs

Cette année, l'été s'est fait attendre. Maintenant qu'il s'est imposé partout en France, se pose la question des travailleurs qui ne sont pas en vacances. Comment dirigeants et salariés peuvent-ils poursuivre leurs tâches professionnelles, sans se mettre en danger, lorsque la chaleur devient insoutenable ? Regards croisés de Jennifer Shettle, responsable du pôle juriste, santé et sécurité, et de Frank Rivière, médecin du travail, tous deux à l'INRS, ainsi que de Jean-François Naton, conseiller confédéral du Travail à la CGT.

Face à la hausse des températures sur l’ensemble du territoire hexagonal, voire aux alertes canicule dans une quarantaine de départements, les questions autour de la possible dégradation des conditions de travail des travailleurs sont prégnantes : Doivent-ils continuer à travailler normalement ? Faire plus de pauses dans la journée ? S’arrêter pendant quelques heures puis reprendre ? Ou carrément refuser de travailler ?

Pas de température maximale

D’après l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur a l’obligation de prévenir tous les risques susceptibles de porter atteinte à la santé ou de menacer la vie de ses collaborateurs. « L’ambiance thermique de l’environnement de travail fait partie des risques à prendre en compte », affirme Jennifer Shettle, responsable du pôle juriste, santé et sécurité à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Cependant, aucune indication de température maximale au-delà de laquelle il serait dangereux ou interdit de travailler n’est précisée. Car « elle varie en fonction des contextes professionnels », explique-t-elle.

Les valeurs de 30° pour une activité sédentaire et 28° pour un travail nécessitant une activité physique peuvent être utilisées comme repères pour agir en prévention. Mais, « chaque entreprise doit anticiper les risques potentiels, les évaluer, et prendre les mesures appropriées pour assurer la sécurité physique et mentale de leurs équipes. C’est une manière de responsabiliser les employeurs », souligne la spécialiste.

Dans les cas les plus extrêmes, les travailleurs peuvent exercer leur droit d’alerte ou de retrait, selon les articles L. 4131-1 à L. 4131-4 du Code du travail. « S’ils pensent être face à un danger grave et imminent, ils peuvent prendre la décision d’arrêter de travailler. Ils ne pourront pas être sanctionnés et n’auront pas de preuve à fournir. Leur ressenti et leur bonne foi seront suffisants pour justifier cette décision », note Jennifer Shettle.

Santé individuelle

Afin de prévenir ces risques potentiels, il s’agit donc de prendre en compte plusieurs facteurs ambiants constitutifs d’un lieu de travail. Par exemple, « les habitants de Paris n’ont pas la même capacité à transpirer que ceux de Marseille, en raison d’un taux d’humidité différent dans l’air. 30 degrés dans la capitale ou dans le sud-est, ce n’est donc pas la même chose », illustre Frank Rivière, médecin du travail à l’INRS. En précisant : « La hausse soudaine ou progressive des températures, ce n’est pas non plus la même chose. Le corps doit s’habituer à l’arrivée des périodes de forte chaleur. En théorie, huit jours sont nécessaires. » C’est pourquoi, dans le contexte actuel, « il faut être vigilant, surtout au début. »

Cependant, ces facteurs ambiants ne suffisent pas à mesurer les risques de santé potentiels. Ils dépendent également de la nature de la mission à réaliser ainsi que des caractéristiques propres aux collaborateurs : « La santé individuelle a une grande importance. Certaines pathologies peuvent accentuer les effets négatifs de la chaleur, ou à l’inverse, la chaleur peut aggraver des maladies existantes. Tout dépend de la résistance de chacun et chacune », développe Frank Rivière.

Risques encourus

Le plus grand risque d’atteinte à la santé, notamment lorsque le temps d’acclimatation est relativement court, selon le spécialiste de la santé, c’est le coup de chaleur : « C’est quand la température corporelle dépasse les 40 degrés. Cela entraîne des séquelles neurologiques et potentiellement la mort. Si certains salariés pratiquent une activité physique, les risques sont accrus, surtout en journée, étant donné que la température corporelle peut s’élever jusqu’à deux degrés supplémentaires. » Les symptômes visibles sont notamment : la fièvre, des vomissements, un état confusionnel, une peau sèche et chaude, voire un évanouissement. Le coup de chaleur constitue une véritable urgence vitale, dont le pronostic dépend de la rapidité de la prise en charge médicale.

L’autre risque, moins grave mais nécessitant aussi une prise en charge médicale rapide, c’est la déshydratation. « Lorsque nous avons soif ou que nous transpirons, nous sommes déjà déshydratés en réalité. » Cela peut se manifester sous forme de transpiration, de maux de tête, de faiblesse musculaire, ainsi que de nausées et de vomissements. Plus on avance en âge, moins on ressent la soif. C’est la raison pour laquelle, il ne faut pas attendre d’avoir soif, mais boire régulièrement toute la journée », recommande Frank Rivière, tout en rappelant les effets dévastateurs de la canicule de 2003, ayant provoqué plus de 19 000 décès.

Le spécialiste de la santé suggère ainsi de mettre en place des mesures individuelles, en fonction des antécédents médicaux et potentiels traitements, et collectives, en fonction de la tenue ou encore de la charge physique de travail. Parmi les actions à entreprendre, les entreprises peuvent par exemple : informer sur les bons réflexes à adopter ; disposer de locaux climatisés et/ou dotés de stores ; développer des espaces de pause ombragés et/ou végétalisés ; limiter les efforts physiques des salariés ; mécaniser certaines tâches ; augmenter la fréquence et la durée des pauses ; adapter les horaires de travail ; faire porter des équipements de protection permettant d’évacuer la sueur ; mettre à disposition de l’eau fraiche ; favoriser le travail en équipe et/ou mettre en place des dispositifs de secours en cas de malaise.

Anticiper de potentielles crises

Dans les années à venir, en raison du réchauffement climatique, les épisodes de fortes chaleurs, voire de canicules et de sécheresses, vont se répéter et s’intensifier. Cela « va inévitablement modifier notre rapport au travail. C’est déjà compliqué, mais ça va l’être encore plus ! Certes, nous devons atténuer les effets du dérèglement climatique en réduisant les activités humaines polluantes, mais aussi apprendre à ralentir, à travailler autrement », complète Jean-François Naton, conseiller confédéral du Travail à la CGT.

Aussi, pour éviter de se retrouver dans une « gestion de crise » de dernière minute, continue le syndicaliste, « les entreprises doivent mener des actions de sensibilisation pour que tout le monde ait conscience des risques encourus ; de formations pour adopter les bons réflexes entre le manager et ses équipes, mais aussi entre collègues ; investir dans les locaux ; adapter les horaires de travail, etc. » À noter qu’il n’y aura pas que la chaleur qui posera problème à l’avenir, mais aussi « le froid, les vents violents, ou les fortes pluies. »

Pour rappel, une proposition de loi visant à protéger les travailleurs de l’exposition aux températures extrêmes a été présentée le 30 janvier 2024, mais n’a pas encore aboutie.

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