Management

Un an de télétravail généralisé : comment les pratiques managériales ont changé avec le Covid-19

Auparavant occasionnel, le télétravail est actuellement imposé par la force des choses. Cohésion d’équipe, bien-être des salariés, autonomie, confiance : pour les managers, les défis sont nombreux. Et le resteront si le travail à distance s’implante durablement après la crise.

Un tiers des salariés travaillaient à distance début 2020, selon une étude de Malakoff Humanis, réalisée un mois avant le confinement. À l’époque, les télétravailleurs étaient surtout des cadres, travaillant dans de grandes sociétés de services. Suite aux grèves de décembre 2019, de nombreux non-cadres avaient aussi découvert ce dispositif. Mais les managers indiquaient alors rencontrer des difficultés pour la mettre en œuvre et adapter leurs pratiques.

“Avant la crise, le télétravail concernait une minorité de salariés : 7 à 10 %. Certains travaillaient à domicile un jour par semaine, dans le cadre d’un avenant au contrat de travail, mais la plupart le faisaient de façon informelle. Il s’agissait surtout d’une facilité offerte à une poignée de collaborateurs”, se souvient Bruno Mettling, ex-DRH d’Orange et fondateur du cabinet Topics.

Depuis, de l’eau semble avoir coulé sous les ponts. La pandémie a tout chamboulé. En février 2020, il y a un an précisément, l’on commençait à peine à distinguer les prémisses d’un changement culturel au sein des entreprises. “Mais le Covid-19 a fait basculer ce qui était anecdotique en une nouvelle norme. Les organisations ont déployé le télétravail massivement. Souvent avec succès”, note Bruno Mettling.

“Le frein technique a été levé, mais aussi le frein mental, celui qui était dans la tête des managers. Car si les salariés plébiscitaient le travail à distance bien avant la crise, de nombreux cadres étaient réticents à le développer : ils l’assimilaient à une situation de moindre travail, pour ne pas dire de congé non déclaré ! Or, ils ont pu constater que la productivité ne baissait pas avec la distance”, ajoute l’expert RH.

 

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Le retour du manager de proximité

Xavier de Mazenod, consultant-associé de la société Adverbe et éditeur du site web Zevillage, note que “les managers intermédiaires ont toujours eu peur du télétravail, parce qu’avec la distance, ils craignaient de voir leur fonction disparaître”. Mais le confinement semble leur avoir prouvé que leur rôle d’encadrement restait primordial : “Ce sont eux qui ont maintenu la cohésion des équipes, et qui ont soutenu les télétravailleurs isolés. On a pu assister au grand retour du manager de proximité”.

Pendant le confinement, quand le télétravail (à 100 %) s’imposait à 45 % des Français, de nombreux managers ont découvert, par eux-mêmes, une nouvelle façon de gérer des équipes. “Sur le plan technique et opérationnel, ils ont d’abord appris à utiliser des outils de visioconférence pour communiquer avec leurs collaborateurs. Mais sur le plan humain, ils ont ensuite été confrontés à la grande difficulté d’entretenir le lien social et de maintenir la cohésion d’équipes dispersées”, note Bruno Mettling.

Ainsi, si le confinement a permis au télétravail de dévoiler certains côtés positifs (meilleur équilibre des temps de vie, plus grande concentration, productivité plus importante), il a aussi été l’occasion de constater les limites de la communication à distance. “On vient aussi au bureau pour les interactions. Et le télétravail tend à dissoudre ce lien. S’il n’est pas entretenu, il peut vite se disloquer”, indique Xavier de Mazenod. Depuis les débuts de la pandémie, de nombreux managers s’efforcent de transposer la vie de bureau dans le monde virtuel.

 

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Maintenir la cohésion des équipes

En mettant en place des points d’équipe réguliers en visioconférence, mais aussi en imaginant des temps de partage moins guindés. “Ils ont recréé virtuellement la machine à café, ce lieu où l’on discute de manière informelle. Par exemple, certains ont organisé des mini-réunions, courtes, durant lesquelles les salariés prenaient leur café face à leur webcam. D’autres ont créé des salles de visioconférences constamment ouvertes, permettant de se retrouver entre collègues. De tels moments de socialisation sont très importants dans la vie d’une équipe”, explique Xavier de Mazenod.

Avec le rebond de l’épidémie, le télétravail devrait s’imposer pendant encore plusieurs mois. “Les managers devront continuer d’entretenir le lien social, en multipliant les formats permettant de créer de l’échange. Des appels téléphoniques aux visioconférences, des apéros aux ateliers ludiques en ligne, ils devront faire preuve d’imagination”, observe Arnaud Gilberton, fondateur du cabinet Idoko.

Et une fois la pandémie passée ? “Il sera difficile de gommer le souhait de 80 % des salariés de continuer à télétravailler. Mais dans leur majorité, les mêmes souhaitent aussi retourner au bureau. Nous nous dirigerons probablement vers un modèle hybride, entre bureau et domicile”, prédit Xavier de Mazenod. Présidente du groupe ANDRH de Neuilly-Levallois-Clichy et DRH du groupe Effy, Sabine Parisis a mis en place une telle organisation suite au déconfinement : 2 jours de présence dans les locaux, le reste à distance. “Nous la conserverons après la crise. Dans ce cadre, nos managers devront continuer d’organiser des rituels virtuels, mais aussi présentiels, pour entretenir la cohésion entre des salariés qui ne se croiseraient pas toujours sans cela”, indique-t-elle.

 

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Lâcher prise

“Le télétravail confiné a permis de mettre en évidence les limites des actions traditionnelles des managers. La fixation des objectifs et la répartition des moyens ne préoccupent pas du tout les salariés dans une telle situation. Pour eux, un chef d’équipe doit avant tout être présent, accessible, et entretenir une relation fondée sur la confiance”, explique Emmanuel Abord de Chatillon, professeur à Grenoble IAE. L’expérience du confinement “interpelle aussi sur l’autonomie des collaborateurs : comment pourrait-on les renfermer dans un système très strict, alors même qu’ils auront été dédouanés pendant des mois par leur entreprise ?”, remarque le chercheur. Si le télétravail d’après-crise, qui reposera sur le volontariat, sera probablement différent, il n’en reste pas moins, estime-t-il, que “le travail et le management devront être repensés à l’aune de cette expérience”.

Face à des salariés éparpillés entre le domicile et le bureau, les chefs d’équipe “devront nécessairement s’orienter vers un management par la confiance”, constate Denis Fourrier, responsable du pôle formation chez Securex, entreprise spécialisée dans la “contre-visite médicale employeurs”. Selon le consultant en RH et prévention, “il s’agit de laisser un maximum d’autonomie aux personnes qui travaillent depuis leur domicile, tout en gardant une certaine forme de contrôle. Sans que cela se transforme en flicage”.

Selon une étude du cabinet ISG, un “nombre croissant” d’entreprises mettent en place, depuis les débuts de la crise, des “solutions de surveillance de la productivité” de leurs employés à distance. Notamment en France. “Un manager n’est pas un flic. Même si pour planifier et coordonner des activités à réaliser, il doit vérifier si les objectifs fixés ont été atteints, cela ne doit rester qu’un travail classique d’évaluation des rendus. Pas des salariés”, prévient Xavier de Mazenod. Dès aujourd’hui, estime-t-il, “le travail à distance généralisé amène les cadres à pratiquer un management par objectifs, basé sur la confiance et le contrôle a posteriori.” 

Demain, les managers devraient ainsi passer d’une “culture du présentéisme” fortement ancrée dans leurs esprits à une “culture du résultat”. Dans cette optique, ils devront donner davantage d’autonomie aux collaborateurs. “Pour cela, ils doivent dès maintenant apprendre à lâcher prise, et accepter le fait de ne pas savoir ce que font les salariés”, indique Xavier de Mazenod.

 

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Des managers bienveillants

Pendant le confinement, les managers se sont aussi faits psychologues. “Différentes études menées sur cette période ont permis de constater qu’un grand nombre de personnes se sont senties isolées, et l’ont très mal vécu. Il faut comprendre que le télétravail n’est pas la panacée pour tout le monde : certaines personnes ne supportent pas de travailler à distance, seules. D’autres ont aussi du mal à se prendre en main”, observe Jean-Claude Delgenes, président du cabinet Technologia.

“On a aussi vu qu’un grand nombre de télétravailleurs étaient, et restent, dans une logique de surinvestissement et de surengagement au travail. Un tiers des salariés à domicile étaient incapables de déconnecter, jusqu’à frôler le burn-out”, ajoute-t-il.

En octobre, une autre étude de Malakoff Humanis a permis de constater que 12 % des salariés considèrent que leur santé s’est dégradée depuis le début de l’épidémie, et que 45 % se sentent “plus fatigués physiquement” et psychologiquement qu’avant. Dans le même temps, si 60 % des collaborateurs considèrent que leurs managers ont cherché à maintenir l’esprit d’équipe et ont “adapté leurs pratiques”, ils sont aussi 57 % à regretter un manque d’écoute de leur part.

“Les managers doivent impérativement changer de posture. La conduite des hommes à distance suppose avant tout davantage de confiance, d’empathie, de bienveillance. Ils doivent accepter les difficultés de leurs salariés, comprendre leurs situations personnelles”, indique Jean-Claude Delgenes. En cette période de crise, tandis que le télétravail continue d’être privilégié, à eux, donc, de consacrer davantage de temps et de soutien à leurs collaborateurs.

Selon Arnaud Gilberton, l’heure est (et restera) à la bienveillance : “Les managers doivent faire preuve d’écoute et d’empathie. Questionner les collaborateurs de manière proactive pour identifier leurs besoins et s’adapter à leurs attentes respectives”. Face à des collaborateurs stressés ou se sentant isolés, l’enjeu est ainsi d’organiser de petits moments d’échanges, collectifs ou individuels, mais aussi d’instituer un feedback positif. “Les salariés doivent se sentir considérés. Il faut valoriser leur travail, les remercier, les féliciter. S’intéresser à eux”, explique-t-il.

“La QVT sauce télétravail passera aussi par l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle. Chez eux, les salariés ont tendance à travailler plus longtemps. Le manager doit les préserver, en dosant leur charge de travail, et même en essayant de les freiner”, estime Xavier de Mazenod. Même quand le télétravail reviendra à un mode de fonctionnement “normal” après la crise, ils ne devront pas relâcher leurs efforts. “Les télétravailleurs seront tous volontaires, et s’ils se sentent isolés, ils pourront juste demander à revenir au bureau. Mais la bienveillance et l’empathie sont les clés d’un bon management. Quel que soit le contexte”, indique le consultant.

 

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Former et accompagner les managers

Après la crise, le défi pour les entreprises sera de former leurs managers à ces nouvelles pratiques. En janvier 2020, 36 % d’entre eux se sentaient insuffisamment préparés, selon Malakoff Humanis. “Le télétravail modifie le travail à distance, mais aussi le travail en présentiel. L’organisation actuelle, mais aussi le modèle hybride de demain, exigent une formation massive des managers. Ils doivent à la fois apprendre à gérer des équipes en télétravail, et organiser le présentiel quand il n’est pas à 100 %”, note Jean-Claude Delgenes.

Ils devront notamment s’assurer que les salariés échangent avec des collègues au bureau, plutôt que de rester isolés dans des open-space vides.

“Pour cela, ils devront avoir la volonté d’organiser ces échanges, ce qui nécessitera de les former : encore aujourd’hui, de nombreux managers restent dans une logique autoritaire, de petits chefs. Trop marqués par la culture du command and control, ils ont du mal à passer à autre chose. Ils n’arrivent pas à animer une équipe à distance, à écouter, à encourager, à soutenir”, remarque le président de Technologia.

“Le télétravail de demain, organisé et pérennisé, ne ressemblera pas à celui que l’on connaît actuellement. D’où l’importance pour les managers de garder leurs nouveaux rôles, expérimentés aujourd’hui. Mais si les plus jeunes sont à l’aise dans cette posture, pour les autres, changer de culture managériale s’apprend”, ajoute Bruno Mettling, chez Topics.

Le rôle des managers est aujourd’hui beaucoup plus fort et engageant. Mais on le voit sur le terrain : beaucoup d’entre eux ont besoin d’un accompagnement. Le challenge des RH sera de les soutenir et de les accompagner”, explique Sabine Parisis. Au sein du groupe Effy, la DRH planche déjà sur de nouveaux plans de formation et de coaching. “Une panoplie concrète pour les aider à manager le télétravail d’aujourd’hui et de demain”, conclut-elle.

 

 

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