Alors qu’une loi instaurant un congé menstruel vient officiellement d’être votée en Espagne, le cabinet parisien Daher Avocats apporte un éclairage juridique à la situation dans l’Hexagone et aux possibilités de transposition dans le droit français.
Grande première en Europe ! Les députés espagnols ont voté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi créant un « congé menstruel » pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Une mesure destinée, selon le gouvernement de gauche, à briser un tabou. Elle fait partie d’un texte beaucoup plus large qui renforce notamment l’accès à l’avortement dans les hôpitaux publics. Le congé menstruel est déjà en vigueur dans d’autres pays du monde, comme le Japon, la Zambie, l’Indonésie, Taïwan ou encore la Corée du Sud. Avec cette loi, en Espagne, « l’arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes » liées, par exemple, « à des pathologies comme l’endométriose » sera « reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire » de travail. « Il s’agit d’accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d’éliminer tout biais négatif » pour les femmes « dans le monde du travail », ajoute le texte. Aucune précision ne figure dans la loi sur la durée de cet arrêt maladie, qui devra être accordé par un médecin et sera financé par la Sécurité sociale.
Congé menstruel : qu’en est-il en France ?
Me Hélène Daher, avocate spécialisée dans le droit social et du travail, est de plus en plus souvent interrogée sur cette question par ses clients : « Il s’agit en général de start-up qui se développent vite et voudraient prendre des mesures novatrices en matière de qualité de vie au travail. Mais pour l’instant, le sujet est encore tabou et peu mettent en pratique le congé menstruel, qui peut être considéré comme discriminatoire par les hommes. En outre, si ce congé était institutionnalisé par le Code du travail, il n’est pas impossible qu’il entraîne, à terme et en pratique, des discriminations vis-à-vis des femmes, qui pourraient être moins volontiers embauchées par les entreprises puisqu’elles seraient susceptibles de travailler moins de jours que les hommes. »
Cependant, les entreprises peuvent d’ores et déjà instaurer le congé menstruel individuellement et sur une base volontaire. Certaines l’ont d’ailleurs déjà mis en place : la société coopérative La Collective, Louis Design, Critizr… « Le Code du travail prévoit la mise en place de mesures temporaires pour établir l’égalité des chances, précise l’avocate. Or, dans le cas de règles douloureuses, il y a une inégalité de fait. De plus, en 2017, la Cour de cassation a débouté un collaborateur qui s’estimait victime d’une discrimination en ce qu’il ne bénéficiait pas, comme les salariées de son entreprise, d’un demi-jour de congé accordée pour la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. En effet, la Cour a estimé que cette mesure visait à rétablir l’égalité hommes-femmes. »
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Comment mettre en place le congé menstruel dans les entreprises françaises ?
A partir de là, il est possible de mettre en pratique le congé menstruel assure Me Lola Bouillard, qui collabore au sein du cabinet parisien Daher Avocats : « On pourrait imaginer un accord d’entreprise sur le sujet pour une durée déterminée, de cinq ans par exemple, afin de se conformer au Code du travail. » Les deux avocates préconisent cette solution car « un accord d’entreprise implique une présomption de non-discrimination vis-à-vis des femmes. » Elles ajoutent qu’il peut reposer sur la confiance entre l’employeur et les collaboratrices, bien qu’il puisse être envisagé que « les salariées fournissent un certificat médical expliquant que les règles sont douloureuses et handicapantes. Cela évite d’avoir recours à un arrêt maladie qui comporte, en principe, un délai de carence de trois jours avant indemnisation. » Autre possibilité : envisager un jour, ou plusieurs, de télétravail occasionnellement, sur simple demande auprès de la hiérarchie.