Il y a 2 ans, le congé de paternité et d’accueil de l’enfant a vu sa durée doubler. Une mesure importante en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant de nombreuses injonctions pèsent encore sur ces derniers. Comment leur permettre à tous d’accéder à leurs droits de père ? Décryptage avec Hager Jemel-Fornetty, directrice de la chaire Diversité & Inclusion à l’EDHEC Business School.
On présente souvent le congé de paternité comme un dispositif visant à favoriser l’égalité au bénéfice des femmes. C’est nier aux hommes leur désir et besoin de passer du temps auprès de leur nouveau-né. Des premiers moments déterminants pour le bien-être de l’enfant, des parents et des relations familiales.
L’allongement du congé de paternité fêtera ses 2 ans au 1er juillet. Il est passé de 14 à 28 jours avec une période de 7 jours devenue obligatoire immédiatement après la naissance de l’enfant. C’est une mesure qui a permis de renforcer le droit des hommes et du second parent.
Selon une étude [1] menée par la Chaire Diversité & Inclusion de l’EDHEC Business School, 94% des pères qui ont participé à l’enquête et ayant eu un enfant après le 1er juillet 2021 ont pris un congé de paternité (dans sa totalité ou en partie), contre un taux de 69,8% avant cette date. Une avancée incontestable. Pourtant nombreux sont encore les pères à ne pas y avoir recours ou seulement très partiellement.
Le père est encore bien souvent perçu comme garant de la sécurité matérielle, maintenu dans un rôle de « pourvoyeur de fonds » au sein de la famille. Il est donc urgent de lutter contre les représentations stéréotypées des rôles familiaux. Le père peut aussi être une figure de tendresse et de soins. Il doit pouvoir participer en tout point à l’accueil de son enfant pour être légitimement reconnu comme un coparent. Quels sont les leviers pour changer la donne ?
Mieux indemniser. C’est l’une des premières mesures qui permettrait d’encourager les pères à prendre leur congé de paternité. D’après notre étude, 16% des pères ne l’ont pas pris par crainte d’une baisse de leur salaire. Ce comportement s’accentue d’autant plus que leurs revenus dépassent le plafond mensuel des indemnités de la Sécurité sociale de l’année en cours, soit 3428 euros en 2022. A partir de ce seuil, le taux de recours s’effondre. A titre de comparaison, il passe de 93% pour les pères gagnant entre 1807 et 2552 euros à 56% pour ceux dont les revenus sont supérieurs à 5439 euros.
Mieux organiser. « Une charge de travail trop importante » est la raison invoquée par 28% des pères n’ayant pas pris leur congé. Il faut leur permettre de partir sereinement sans devoir se reconnecter à leurs emails ou culpabiliser parce que leur absence pèse sur leurs collègues en générant un surcroit de travail. Pour garantir la continuité de l’activité, prévoir un remplacement ou redistribuer les missions, il est nécessaire d’anticiper cette période, ce qui implique une déclaration de congé de paternité en amont. Il faut encourager les pères à communiquer plus tôt, même si leur paternité n’est pas visible. Pourquoi ne préviendraient-ils pas leur employeur au même moment que leurs partenaires ?
Mieux communiquer. C’est une responsabilité des entreprises de prendre le sujet en main et d’en parler sans tabou. De nombreux pères se sentent mal informés sur leurs droits liés à ce congé. Près de 35% des pères n’ayant pas pris leur congé de paternité indiquent ne pas connaître ce dispositif ou ne pas y avoir eu droit, alors même que leur enfant est né après la création du congé de paternité en France. Mettre en place une vraie politique de communication sur les droits des pères en interne, c’est déjà s’engager. C’est reconnaitre que le congé de paternité n’est pas – ou ne devrait pas – être optionnel pour les hommes. Au-delà des paroles, il s’agit aussi de démontrer factuellement la sincérité de la démarche. Il semble essentiel de sécuriser les futurs parents quant à leur maintien de poste, leur chance de promotion, leur niveau de primes… et de lutter contre la crainte, fondée ou non, que prendre un congé de paternité va être un frein pour leur carrière professionnelle. Un besoin largement exprimé dans l’étude : « Les entreprises doivent communiquer clairement et proactivement sur la règle de non-discrimination pour les pères qui prennent leur congé » indique l’un des répondants. « Il me semble qu’il y a encore une stigmatisation des hommes qui souhaitent prendre un congé de paternité » estime un autre répondant, qui évoque la nécessité de campagnes de sensibilisation.
Normaliser. « Créer une culture qui rende la prise du congé de paternité normale », c’est précisément l’un des commentaires d’une salariée qui s’étonne que l’on puisse encore demander à certains hommes pourquoi ils le prennent… alors qu’il faudrait plutôt leur demander pourquoi ils ne le prennent pas. Pour faire évoluer la culture des entreprises, il semble important de valoriser le dispositif en encourageant les pères qui l’ont pris à en parler, en particulier le top management. Les cadres occupant des postes à haute responsabilité doivent être les porte-drapeaux de ce congé de paternité. Si les personnes en haut de la pyramide ne le posent pas, leurs collaborateurs vont hésiter à exercer leur droit. Un devoir d’exemplarité pèse sur les managers. C’est un véritable levier pour déculpabiliser les pères et changer les mentalités.
[1] Source : Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant : représentations et attentes
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