Les histoires de victimes de violences dans la sphère professionnelle se succèdent dans le livre Ça commence avec la boule au ventre (publié aux éditions Les arènes en avril 2024) d’Elise Fabing. Isabelle*, polytechnicienne et énarque, travaillait dans un groupe industriel français, Emmanuelle œuvrait pour une association caritative, Sarah, ingénieure physicienne, était dans les télécommunications… Ces treize dernières années, l’autrice et avocate spécialisée en droit du travail, a traité des centaines de dossiers, dans lesquels elle a pu « observer les embûches que rencontrent spécifiquement les femmes à toutes les étapes de leur carrière, de l’entrée dans le monde du travail à la retraite. » En effet, selon une enquête** de l’Organisation internationale du travail (OIT), les femmes risquent davantage d’être confrontées à la violence et au harcèlement dans le monde professionnel : les jeunes femmes sont ainsi deux fois plus susceptibles que leurs homologues masculins d’être victimes de harcèlement d’ordre sexuel.
Les violences au travail prennent différentes formes (inégalités salariales, plafond de verre, discrimination suite à un congé maternité, mise au placard, harcèlement sexuel) et aboutissent aux mêmes résultats : arrêt maladie, licenciement, rupture conventionnelle, ou encore indemnité transactionnelle. L’avocate intervient souvent dans ce dernier cas de figure consistant à verser de l’argent à la victime présumée en échange d’une clause de confidentialité à respecter. « Cela pousse à transiger », dit-elle, mais problème ? « Justice n’est pas faite. Le management de l’entreprise ne bouge pas et mes clients sont muselés. »
Dépendance économique
Si l’avocate admet que « (son) prisme est particulier, car (elle) ne voit que ce qui va mal. On ne (la) contacte évidemment pas lorsque l’entreprise est respectueuse du droit du travail », elle dresse un constat majeur : une « augmentation massive de dossiers douloureux » ces dernières années. Avec des victimes présumées qui ont du mal à quitter cet environnement toxique : « Elles arrivent en ayant l’impression qu’aucune échappatoire n’est possible en raison d’une dépendance économique renforcée par la crise actuelle. Elles n’ont pas les moyens de démissionner, mais leur situation de travail les rend malades. »
Autre conséquence du recours à ces indemnités transactionnelles ? Un « nombre de dossiers aux prud’hommes divisé par deux » entre 2010 et 2021, note-t-elle. Seulement « 4 % des femmes victimes de harcèlement portent plainte par peur du licenciement, des conséquences sur leur réputation et carrière, ou encore par crainte de perdre leur temps ». Or, « s’il y a moins de procès, il y a moins de condamnations, donc moins de jurisprudence sur les inégalités entre les femmes et les hommes. Le cercle est vicieux ! »
C’est pourquoi, dans son ouvrage, l’avocate encourage managers et salariés à se former et à prendre la parole à ce sujet – même anonymement – afin de faire évoluer les entreprises dans le bon sens. « Nous constatons le véritable engagement des entreprises pour un sujet lorsqu’un problème se pose. Le plus important réside dans la manière dont elles traiteront le problème. Qui vont-elles protéger ? », s’interroge Elise Fabing. Cette dernière se réjouit toutefois de l’intérêt grandissant porté au droit du travail au sein de la société. « C’est une bonne chose qu’enfin la parole des salariés se libère. Je me réjouis de la visibilité des violences au travail, indispensable à la construction d’un monde du travail égalitaire et sain », termine-t-elle.
*Les prénoms ont été modifiés.
*Enquête intitulée : « Données d’expérience sur la violence et le harcèlement au travail : première enquête mondiale », publiée en décembre 2022.