{"id":1967,"date":"2017-10-16T13:37:30","date_gmt":"2017-10-16T11:37:30","guid":{"rendered":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/chantal-thomass-creatrice-insoumise\/"},"modified":"2023-07-18T10:04:09","modified_gmt":"2023-07-18T08:04:09","slug":"chantal-thomass-creatrice-insoumise","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/chantal-thomass-creatrice-insoumise\/","title":{"rendered":"Chantal Thomass, cr\u00e9atrice insoumise"},"content":{"rendered":"
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Je pense qu\u2019il faut surtout avoir de l\u2019inconscience ! Car avec le recul, on se dit que ce qu\u2019on consid\u00e9rait comme de l\u2019audace \u00e9tait en fait de l\u2019inconscience\u2026<\/p>
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Le seul mode de cr\u00e9ation qui me s\u00e9duit, c\u2019est m\u2019\u00e9couter, m\u2019inspirer de choses diverses comme un film, des expositions. J\u2019aime \u00e9galement beaucoup aller dans les usines, toucher la mati\u00e8re. L\u2019objectif est de donner vie \u00e0 quelque chose de diff\u00e9rent, cr\u00e9er ce n\u2019est pas aller dans le sens du vent. On vit \u00e0 une \u00e9poque du marketing, on travaille \u00e0 la demande, par rapport \u00e0 des tendances. Ce n\u2019est pas ma mani\u00e8re de fonctionner.<\/p>
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C\u2019est difficile. Oui, je pense que le marketing a un peu tu\u00e9 la cr\u00e9ation. Mais cela va revenir. Je vois plein de petites marques qui sortent, qui d\u00e9marrent comme j\u2019ai d\u00e9marr\u00e9 il y a 40-50 ans. Plus on ira vers une mode de masse, plus il y aura des petites entreprises qui vont trouver une id\u00e9e et se diff\u00e9rencier. Tant mieux.<\/p>
Oui, il faut aller selon ses envies ! Il faut pouvoir r\u00eaver. Je ne regarde jamais les carnets de tendances, alors que tout le monde maintenant vit avec \u00e7a. Je ne vois pas l\u2019int\u00e9r\u00eat de faire ce que tout le monde fait.<\/p>
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Ce n\u2019est pas tr\u00e8s facile. Parce qu\u2019il y a aussi des contraintes de prix, de construction de collection, qui sont bien plus dures que ce que j\u2019ai pu conna\u00eetre par le pass\u00e9 \u2013 je crois que c\u2019est partout pareil. Mais nous avons des codes de marque, il y a des choses que l\u2019on attend de nous, qui ne sont pas automatiquement dans la tendance. Et j\u2019arrive toujours \u00e0 avoir une ou deux lignes qui sont plus pointues, plus originales \u2013 des petites lignes plus confidentielles mais qui font de l\u2019image. On s\u2019en sort encore !<\/p>
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J\u2019ai rencontr\u00e9 Beno\u00eet dans un d\u00eener. Cela devait \u00eatre en 1980. Il m\u2019a demand\u00e9 pourquoi nous ne faisions pas de publicit\u00e9. Je lui ai r\u00e9pondu que nous n\u2019en avions pas les moyens et que je faisais des collections avec 100 robes \u2013 laquelle choisir ? C\u2019est alors qu\u2019il m\u2019a r\u00e9torqu\u00e9 qu\u2019on allait communiquer sur moi. J\u2019\u00e9tais pourtant assez timide. Il a eu l\u2019id\u00e9e de faire mon portrait dans un fauteuil, avec le bras pos\u00e9 sur le dossier, en ombre chinoise. Quinze jours plus tard il avait d\u00e9coup\u00e9 la photo et c\u2019est devenu le logo. Pendant plusieurs ann\u00e9es, nous avons communiqu\u00e9 \u00e0 chaque d\u00e9fil\u00e9 avec une page dans Le Matin de Paris<\/em> ou Lib\u00e9ration<\/em>. Son id\u00e9e \u00e9tait toujours de me montrer en ombre chinoise ou en flou pour qu\u2019on ne me reconnaisse pas, afin que je ne date jamais. Lorsqu\u2019en 1985 le fonds japonais World est entr\u00e9 au capital, Beno\u00eet ne les a pas du tout s\u00e9duits. C\u2019\u00e9tait un excentrique total alors que pour eux, la pub devait \u00eatre de la pub. Cela n\u2019a pas fonctionn\u00e9 mais je suis rest\u00e9e tr\u00e8s proche de lui.<\/p> \u00a0<\/p> Exactement, il a v\u00e9ritablement invent\u00e9 quelque chose. Mais il \u00e9tait excessif. Il me disait : \u201cTu ne sors pas \u00e0 la f\u00eate du Palace apr\u00e8s le d\u00e9fil\u00e9, puisque la pub c\u2019est : \u2018Je suis en vacances\u2019\u201d<\/em>. Moi j\u2019\u00e9tais hyst\u00e9rique, mais il ne voulait pas qu\u2019on me voie.<\/p> \u00a0<\/p> Je pense que cela a beaucoup fait \u00e9voluer la lingerie. Quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 en faire, j\u2019ai fonctionn\u00e9 comme du pr\u00eat-\u00e0-porter. Je cr\u00e9ais une collection d\u2019\u00e9t\u00e9 et une collection d\u2019hiver, alors qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque aucun des fabricants de lingerie ne le faisait. Nous avons mis la lingerie \u00e0 la mode.<\/p> \u00a0<\/p> Cela s\u2019est fait petit \u00e0 petit. Pour l\u2019avenir de la marque, cela sera peut-\u00eatre un pi\u00e8ge. On verra.<\/p> \u00a0<\/p> Non, m\u00eame si de temps en temps je pense \u00e0 mes enfants, mes petits-enfants. Je me demande comment ils r\u00e9agiront dans 20 ans quand la marque ne sera plus du tout incarn\u00e9e. Ce sera toujours mon nom, donc le leur. Et il y aura peut-\u00eatre des choses qui vont \u00eatre immondes, qui ne m\u2019auraient pas plu et qui ne leur plairont pas. Malheureusement, je ne peux plus reculer !<\/p> \u00a0<\/p> Ce qui n\u2019a pas fonctionn\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0, c\u2019est que ni mon mari, qui \u00e9tait aux Beaux-Arts, ni moi, n\u2019\u00e9tions form\u00e9s pour g\u00e9rer un business. Cela a grandi tr\u00e8s vite. Nous nous sommes retrouv\u00e9s rapidement avec 50 personnes et nous n\u2019avions pas les moyens de suivre. J\u2019ai fait des collants avec Wolford en 1981-1982. Cela a \u00e9t\u00e9 un ouragan, une r\u00e9volution mondiale. Wolford, qui \u00e9tait tout petit \u00e0 l\u2019\u00e9poque, fabriquait nos collants en dentelle mais il fallait en commander par exemple 3 000. Les clients derri\u00e8re payaient \u00e0 60 ou 90 jours. \u00c0 un moment la tr\u00e9sorerie n\u2019a pas suivi. Il aurait fallu trouver le bon associ\u00e9, mais nous n\u2019\u00e9tions ni l\u2019un ni l\u2019autre pr\u00e9par\u00e9 \u00e0 \u00e7a. Et je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 une femme d\u2019affaires. Pendant 20 ans, mon but \u00e9tait de faire le plus beau d\u00e9fil\u00e9 du monde. Je me fichais compl\u00e8tement de savoir si \u00e7a allait se vendre. Je suis avant tout une cr\u00e9atrice.<\/p> \u00a0<\/p> Non, si \u00e7a pouvait me soulager des probl\u00e8mes d\u2019administration, j\u2019\u00e9tais tr\u00e8s contente. J\u2019ai v\u00e9cu 10 ans extraordinaires mais \u00e7a a mal fini. C\u2019\u00e9tait un groupe japonais de pr\u00eat-\u00e0-porter. La France \u00e9tait excessivement \u00e0 la mode \u00e0 cette \u00e9poque, donc tout m\u2019\u00e9tait permis. Ils ne me demandaient pas de gagner de l\u2019argent. Ils voulaient avoir une image formidable en France, pour que cela serve au Japon. Cela s\u2019est tr\u00e8s bien pass\u00e9 durant des ann\u00e9es. Cela a \u00e9t\u00e9 pour moi la plus belle p\u00e9riode de ma carri\u00e8re.<\/p> \u00a0<\/p> Il y a eu une histoire de pourcentage. Mais surtout, au d\u00e9but des ann\u00e9es 90, le Japon a connu une crise importante. Tout \u00e0 coup, ils avaient moins l\u2019argent facile. La mode italienne, avec Prada par exemple, est arriv\u00e9e et a un peu supplant\u00e9 la mode fran\u00e7aise. Ils m\u2019ont mis un pr\u00e9sident italien pendant les deux derni\u00e8res ann\u00e9es pensant qu\u2019on allait faire \u00e0 l\u2019italienne et que \u00e7a allait mieux marcher, me demandant si je pouvais faire quelque chose dans le genre Armani. Vous pensez bien que ce n\u2019est pas dans mon caract\u00e8re !<\/p> \u00a0<\/p> Je n\u2019avais plus rien. Heureusement, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 excessivement soutenue par la presse du monde entier et en particulier par la presse fran\u00e7aise pour qui j\u2019\u00e9tais tout de m\u00eame la gentille fran\u00e7aise face aux m\u00e9chants Japonais. Je suis pass\u00e9e au \u201c20 heures\u201d. Deux jours apr\u00e8s, le pr\u00e9sident de Wolford m\u2019appelait pour me proposer d\u2019intervenir comme consultante. J\u2019ai aussi travaill\u00e9 pour Victoria\u2019s Secret, j\u2019ai fait toutes les pi\u00e8ces spectaculaires pour leur premier d\u00e9fil\u00e9. On ne peut pas dire que j\u2019\u00e9tais en grande forme, mais j\u2019ai eu la chance de rencontrer mon deuxi\u00e8me mari et j\u2019avais les enfants \u00e0 qui je ne pouvais pas montrer que \u00e7a n\u2019allait pas. Des gens me faisaient confiance, donc \u00e7a m\u2019a remont\u00e9 le moral.<\/p> \u00a0<\/p> J\u2019ai eu, pendant un an pratiquement, des huissiers derri\u00e8re moi en permanence, pour voir si je n\u2019utilisais pas mon nom. Cela a fait du bruit quand j\u2019ai \u00e9t\u00e9 vir\u00e9e. Jean-Charles de Castelbajac m\u2019a convi\u00e9e pour la Fashion Week et les huissiers \u00e9taient dans la salle. Ils \u00e9taient all\u00e9s en cabine pour lui dire de ne pas me faire d\u00e9filer. Il les avait \u00e9videmment envoy\u00e9s sur les roses. Je suis pass\u00e9e sur le podium, tout le monde m\u2019a applaudie et les huissiers sont partis. Sauf que dans la mode les interviews se font \u00e0 la fin. J\u2019ai eu TF1, etc. Cela a \u00e9t\u00e9 une guerre permanente. Quand je travaillais pour Wolford, je ne pouvais pas non plus sortir sur le podium. Mais ils ne pouvaient pas m\u2019emp\u00eacher de m\u2019appeler Chantal Thomass. D\u2019autres l\u2019ont v\u00e9cu et ce n\u2019est pas \u00e9vident.<\/p> \u00a0<\/p> Oui, mais c\u2019est toujours le cas. Quand je vais arr\u00eater, et cela ne va pas tarder, ce ne sera pas forc\u00e9ment tr\u00e8s agr\u00e9able de voir cette marque exister sans moi. Le but est de me dire : j\u2019ai fait une marque, j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 quelque chose, qu\u2019elle vive toute seule ce n\u2019est pas plus mal.<\/p> \u00a0<\/p> Cela tient \u00e0 mon temp\u00e9rament, mais c\u2019est aussi que les gens m\u2019aiment bien. J\u2019ai un c\u00f4t\u00e9 populaire, sympathique. Parce que j\u2019ai eu des difficult\u00e9s et que je m\u2019en suis sortie. Comme eux, comme tout le monde. Je pense que c\u2019est quelque chose qui pla\u00eet.<\/p> \u00a0<\/p> Apr\u00e8s c\u2019est une question de volont\u00e9. Je dois \u00eatre\u2026 t\u00eatue !<\/p> \u00a0<\/p> Effectivement. C\u2019est de la volont\u00e9, de l\u2019exigence. On passe de mauvais moments mais on continue. Il faut aller au bout de ses convictions. J\u2019ai eu la chance d\u2019avoir une carri\u00e8re o\u00f9 je n\u2019ai honte de rien de ce que j\u2019ai fait.<\/p> \u00a0<\/p> Dim c\u2019\u00e9tait plut\u00f4t sympa mais dans ces gros groupes, on se revend. Lorsqu\u2019ils ont \u00e9t\u00e9 revendus \u00e0 Sun Capital, le pr\u00e9sident a visit\u00e9 Les Galeries Lafayette. En passant devant Chantal Thomass, il a fallu lui expliquer : \u201c\u00c7a c\u2019est \u00e0 vous\u201d<\/em>. Je suis all\u00e9e le voir en lui disant : \u201cVendez, \u00e7a ne vous int\u00e9resse pas !\u201d<\/em>. Au bout de 3 ans, ils ont vendu \u00e0 Chantelle. En 10 ans de groupe Dim, j\u2019ai vu passer au moins 5 pr\u00e9sidents. Tous les 2 ans, il y en a un nouveau \u00e0 qui il faut raconter son histoire. M\u00eame si sur le tas il y en a eu un de bien, cela change tout le temps, c\u2019est fatiguant. Avec Chantelle, j\u2019\u00e9tais contente car j\u2019avais un pr\u00e9sident familial.<\/p> \u00a0<\/p> J\u2019ai quand m\u00eame un pr\u00e9sident. Nous parlons et d\u00e9cidons ensemble de toutes les collaborations que je fais. Il y a des choses pour lesquelles je dis \u201cnon\u201d de moi-m\u00eame car j\u2019ai un respect \u00e9norme pour la marque.<\/p> \u00a0<\/p> Je ne suis pas s\u00fbre. Je cherche toujours \u00e0 cr\u00e9er quelque chose qui n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 fait. J\u2019ai des codes de marque qui petit \u00e0 petit se sont install\u00e9s, les gens m\u2019attendent aussi beaucoup pour ces codes. Mais inconsciemment, j\u2019aime provoquer. Faire le Crazy Horse (en 2016, le cabaret parisien avait demand\u00e9 \u00e0 la cr\u00e9atrice de prendre la direction artistique du spectacle \u201cDessous Dessus\u201d, ndlr) c\u2019\u00e9tait un peu provoquant. En m\u00eame temps, je m\u2019en suis tr\u00e8s bien sortie car elles \u00e9taient beaucoup plus habill\u00e9es que d\u2019habitude. Je me suis battue !<\/p> \u00a0<\/p>L\u2019id\u00e9e \u00e9tait qu\u2019on ne vous voit pas mais qu\u2019on vous devine, comme en lingerie\u2026<\/h3>
Dans la couture, les maisons sont port\u00e9es par les figures de leur cr\u00e9ateur comme Coco Chanel, Yves Saint-Laurent ou Jean-Paul Gaultier. C\u2019est diff\u00e9rent en lingerie sauf pour vous. Qu\u2019est-ce que cela apporte ?<\/h3>
\u00c9tait-ce une strat\u00e9gie r\u00e9fl\u00e9chie ? Ne craignez-vous pas que cela se transforme en pi\u00e8ge ?<\/h3>
Y avez-vous pens\u00e9 ?<\/h3>
La vie de la griffe n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 un long fleuve tranquille. En 1985, vous d\u00e9posez le bilan. Qu\u2019est-ce qui n\u2019a pas fonctionn\u00e9 ? Quels enseignements avez-vous tir\u00e9s de cette situation ?<\/h3>
En 1985, le groupe japonais World devient actionnaire. Est-ce que cela a \u00e9t\u00e9 difficile \u00e0 vivre ?<\/h3>
Pourquoi cela n\u2019a-t-il pas dur\u00e9 ?<\/h3>
En 1995, vous \u00eates licenci\u00e9e. Vous perdez votre marque et donc l\u2019usage de votre nom. En 1996, la soci\u00e9t\u00e9 est mise en liquidation. Qu\u2019est-ce que vous avez ressenti \u00e0 ce moment-l\u00e0 ?<\/h3>
Vous ne pouviez pourtant plus utiliser votre nom\u2026<\/h3>
Vous \u00eates-vous dit \u00e0 l\u2019\u00e9poque que vendre son nom pouvait signifier perdre son \u00e2me ?<\/h3>
Comme vous le disiez, nombreux sont ceux dans le monde de la mode \u00e0 avoir \u00e9t\u00e9 d\u00e9poss\u00e9d\u00e9s de leur nom. Mais vous \u00eates l\u2019une des seules apr\u00e8s 3 ans de contentieux \u00e0 l\u2019avoir r\u00e9cup\u00e9r\u00e9. \u00c0 quoi cela tient-il ?<\/h3>
Ce n\u2019est pas la sympathie qui permet de remporter une bataille\u2026<\/h3>
Diriez-vous qu\u2019il ne faut jamais abandonner ?<\/h3>
\u00c0 cette \u00e9poque, la marque rejoint le giron de Dim (d\u2019abord propri\u00e9t\u00e9 de Sara Lee Corporation puis de Sun Capital Partners via Dim Brand Apparel), avant d\u2019\u00eatre revendue au Groupe Chantelle en 2011. Comment vit-on ces changements ? Avez-vous l\u2019impression d\u2019avoir sans cesse une \u00e9p\u00e9e de Damocl\u00e8s au-dessus de la t\u00eate ?<\/h3>
Vous sentez-vous encore libre ?<\/h3>
Pouvez-vous encore provoquer ? Et est-ce un objectif ?<\/h3>