Il ne faut pas \u00eatre na\u00eff : la crise actuelle n\u2019aura pas un impact sur toutes les entreprises, et tous les salari\u00e9s n\u2019adh\u00e9reront pas au t\u00e9l\u00e9travail. Nous sommes au c\u0153ur d\u2019une parenth\u00e8se particuli\u00e8re de continuit\u00e9 d\u2019activit\u00e9, et non dans une situation \u201cnormale\u201d de t\u00e9l\u00e9travail. Surtout, comme nous n\u2019avons pas eu le temps de nous y pr\u00e9parer, beaucoup d\u2019organisations y sont entr\u00e9es avec leurs m\u00e9thodes et leurs cultures traditionnelles. Elles ont r\u00e9pliqu\u00e9 en ligne ce qu\u2019elles ont l\u2019habitude de faire, et l\u2019on ne peut pas dire que cela soit une r\u00e9ussite. Le pire de ce qui se passe au bureau a \u00e9t\u00e9 virtualis\u00e9, comme la r\u00e9unionite et le fait d\u2019\u00eatre connect\u00e9 tous en m\u00eame temps, en mode synchrone, afin de passer une journ\u00e9e enti\u00e8re en visioconf\u00e9rence.<\/p>
Les conditions du t\u00e9l\u00e9travail actuel sont d\u00e9grad\u00e9es, mais c\u2019est l\u2019occasion de pr\u00e9parer l\u2019apr\u00e8s et d\u2019\u00e9viter qu\u2019il ne s\u2019agisse que d\u2019une parenth\u00e8se ; en multipliant les r\u00e9flexions sur ce mode de travail. Les salari\u00e9s travaillent souvent au beau milieu de leurs enfants ou pr\u00e8s de leurs conjoints, avec des contraintes familiales, mais sans le plaisir de passer du temps ensemble. En ce qui concerne la relation avec les managers, il faut admettre que la confiance ne va pas de soi dans le t\u00e9l\u00e9travail : on arrive avec un niveau de confiance dans l\u2019\u00e9quipe, par le manager, et selon ce niveau de confiance, on utilise ou pas toutes les potentialit\u00e9s du travail \u00e0 distance.<\/p>
Il s\u2019agit concr\u00e8tement d\u2019avoir une r\u00e9flexion sur le choix des canaux pour le type de communication : ceux qui sont synchrones (messagerie instantan\u00e9e, t\u00e9l\u00e9phone, visio), qui pr\u00e9sentent l\u2019inconv\u00e9nient terrible de priver le collaborateur de la ma\u00eetrise de son emploi du temps, ce qui est compliqu\u00e9 en cas de contraintes familiales, et ceux qui sont asynchrones et permettent de travailler sans connexion simultan\u00e9e. Il y a une r\u00e9flexion \u00e0 avoir sur la flexibilit\u00e9 et sur la possibilit\u00e9 de travailler chacun \u00e0 des horaires diff\u00e9rents, en diff\u00e9r\u00e9, via des outils (num\u00e9riques) collaboratifs ; afin de permettre aux salari\u00e9s ayant des enfants en bas \u00e2ge (ou, si l\u2019on va plus loin, \u00e0 ceux qui sont davantage du matin, ou du soir) de mieux t\u00e9l\u00e9travailler. C\u2019est aussi le moment pour r\u00e9duire le nombre de process rigides et de r\u00e9unions inutiles. C\u2019est l\u2019occasion, actuellement, maintenant que nous sommes moins dans l\u2019urgence, de se poser toutes ces questions, et peut-\u00eatre d\u2019aller chercher aupr\u00e8s des \u00e9quipes qui avaient d\u00e9j\u00e0 l\u2019habitude de t\u00e9l\u00e9travailler, des id\u00e9es pour am\u00e9liorer demain l\u2019organisation du travail.<\/p>
Le t\u00e9l\u00e9travail g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 devrait continuer au-del\u00e0 du confinement, car le virus ne dispara\u00eetra pas de sit\u00f4t. Nous aurons vraiment le temps d\u2019apprendre \u00e0 travailler autrement. Il ne s\u2019agit donc pas d\u2019une petite parenth\u00e8se que nous pourrons nous permettre d\u2019oublier compl\u00e8tement, mais d\u2019un temps long pendant lequel nous sommes oblig\u00e9s d\u2019apprendre et de mettre en pratique de nouvelles m\u00e9thodes, avec de nouveaux outils.<\/p>
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Pour celles qui n\u2019ont pas du tout l\u2019habitude de le faire, il peut \u00eatre tr\u00e8s difficile, voire impossible, de passer du jour au lendemain d\u2019une culture o\u00f9 l\u2019on surveille les individus \u00e0 une culture o\u00f9 l\u2019on fait confiance, et o\u00f9 l\u2019on travaille de mani\u00e8re asynchrone. Mais lorsque nous reviendrons dans une forme de normalit\u00e9, pourquoi pas ? Certes, tout ne changera pas apr\u00e8s la crise, mais quelque chose en restera.<\/p>
\u00c0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on sait que quelque chose est possible et ne rel\u00e8ve pas de l\u2019utopie, le changement est beaucoup plus facile : valoriser le soin et l\u2019empathie, accorder de la valeur au bien-\u00eatre d\u2019autrui et au vivre ensemble, faire preuve d\u2019empathie, \u00eatre bienveillant vis-\u00e0-vis de la parentalit\u00e9 et de l\u2019\u00e9quilibre vie professionnelle \u2013 vie personnelle\u2026 Toutes ces exp\u00e9rimentations actuelles donneront des armes et des arguments, par la suite, \u00e0 ceux qui veulent d\u00e9fendre la QVT (qualit\u00e9 de vie au travail), afin de transformer, de l\u2019int\u00e9rieur, leurs organisations.<\/p>
De nombreuses personnes sont probablement en train de r\u00e9fl\u00e9chir au sens de leur travail, de leur m\u00e9tier et de leurs missions. Elles s\u2019interrogent aussi sur les valeurs de leur entreprise.<\/p>
Toutes les questions qui se posent dans la th\u00e9orie des \u201cbullshit jobs\u201d<\/a> de l\u2019anthropologue David Graeber (bureaucratie, process et t\u00e2ches inutiles\u2026) sont actuellement soulev\u00e9es et le resteront ensuite. Elles \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 questionn\u00e9es avant la crise, mais elles le seront de mani\u00e8re encore plus criante ensuite, car nous aurons cr\u00e9\u00e9 des pr\u00e9c\u00e9dents, et des arguments qui permettront de faire avancer des id\u00e9es.<\/p> Le sens au travail va probablement devenir une qu\u00eate chez de nombreux salari\u00e9s. Les nouvelles aspirations ou mani\u00e8res d\u2019envisager le travail, l\u2019entreprise, et la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e8neront les entreprises \u00e0 se repenser, \u00e0 red\u00e9finir les valeurs qu\u2019elles v\u00e9hiculent. Elles feront probablement davantage attention \u00e0 leur impact social et \u00e9cologique, car le nombre d\u2019individus pr\u00e9occup\u00e9s par le sujet n\u2019aura de cesse d\u2019augmenter. Celles qui resteront \u00e0 contre courant risquent d\u2019avoir mauvaise presse.<\/p> Apr\u00e8s le confinement, plusieurs choses se produiront par phases successives, par vagues. Beaucoup d\u2019entreprises feront sans doute semblant de chercher davantage de sens, et nous verrons fleurir une nouvelle forme de \u00ab\u00a0social washing\u00a0\u00bb, o\u00f9 a d\u00e9faut de le faire r\u00e9ellement, on adoptera des discours sur la raison d\u2019\u00eatre. Les actes ne seront pas au rendez-vous, mais dans une situation de crise (cette fois \u00e9conomique), les salari\u00e9s n\u2019auront pas la m\u00eame position face \u00e0 la hi\u00e9rarchie, et ne pourront pas vraiment faire entendre leur voix.<\/p> Puis, \u00e0 moyen et long terme, il y aura un avant et un apr\u00e8s : la plupart des travailleurs supportent de moins en moins le d\u00e9calage entre les discours ronflants et la r\u00e9alit\u00e9. Nous avons tous un \u201cradar \u00e0 bullshit\u201d plus d\u00e9velopp\u00e9, et les organisations qui resteront dans une dissonance cognitive auront donc davantage de mal \u00e0 recruter.<\/p> \u00a0<\/p> \u00a0<\/p> Le management traditionnel, industriel, est en train d\u2019\u00eatre remplac\u00e9 par ce que l\u2019on pourrait appeler le \u201cm\u00e9nagement\u201d : toutes les contraintes que nous vivons aujourd\u2019hui (confinement, t\u00e9l\u00e9travail au beau milieu des enfants, stress) tendent \u00e0 nous faire passer d\u2019une logique de productivit\u00e9 \u00e0 une logique de s\u00e9curit\u00e9. Le souci principal, actuellement, est (ou devrait \u00eatre) de m\u00e9nager ses collaborateurs, plut\u00f4t que de les manager. Il s\u2019agit d\u2019un retour au sens \u00e9tymologique du mot anglais management, qui vient des mots fran\u00e7ais \u201cmesnage\u201c et \u201cmesnager\u201d : au Moyen-\u00e2ge, cela faisait r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l\u2019art de \u201cg\u00e9rer les affaires du m\u00e9nage\u201c. Avec le temps, le sens du verbe \u201cm\u00e9nager\u201d a \u00e9volu\u00e9, pour signifier \u201ctraiter avec \u00e9gards, avec respect\u201d et \u201cprendre soin\u201c.<\/p> Le m\u00e9nagement consiste \u00e0 prendre soin<\/a> de ses collaborateurs, \u00e0 prendre en compte leurs contraintes personnelles, \u00e0 leur offrir la plus grande flexibilit\u00e9 possible dans l\u2019organisation de leur travail, travailler avec son \u00e9quipe de mani\u00e8re asynchrone, et \u00e0 leur laisser plus d\u2019autonomie dans leur organisation. \u00c0 la diff\u00e9rence du management traditionnel, le m\u00e9nagement est plus personnalis\u00e9, orient\u00e9 sur la notion d\u2019empathie et de bien-\u00eatre.<\/p> Comme l\u2019explique la linguiste Henriette Walter<\/a>, \u201cle m\u00e9nagement est une affaire artisanale, un mode de gestion \u00e9conomique concret, ancr\u00e9 dans le quotidien.\u201d Ce concept correspond bien \u00e0 ce que nombre de salari\u00e9s et managers vivent actuellement : ils \u00e9voluent dans un cadre artisanal, loin d\u2019une organisation du travail industrielle reposant sur une stricte hi\u00e9rarchie et d\u2019une division des t\u00e2ches laissant peu de place \u00e0 l\u2019empowerment des individus.<\/p> Le m\u00e9nagement s\u2019inspire des m\u00e9tiers de l\u2019artisanat : l\u2019autonomie, les r\u00e9sultats avant les moyens, la responsabilit\u00e9, la cr\u00e9ativit\u00e9, la polyvalence, la d\u00e9brouille. Il faut esp\u00e9rer qu\u2019apr\u00e8s la crise, le management \u00e9voluera et que le travail pourra \u00eatre organis\u00e9 d\u2019une fa\u00e7on plus artisanale, en se nourrissant notamment des r\u00e9flexions actuelles sur les gouvernances, le travail ind\u00e9pendant et les nouvelles fa\u00e7ons de manager.<\/p> Certaines entreprises resteront sans doute herm\u00e9tiques \u00e0 ces consid\u00e9rations, mais d\u2019autres tendront vers ce mod\u00e8le d\u2019organisation du travail, qui est exp\u00e9riment\u00e9 durant cette p\u00e9riode de confinement. Je reste optimiste sur les traces positives que laissera sur le management cette p\u00e9riode de crise exceptionnelle. Nous ne pouvons qu\u2019y gagner en empathie.<\/p> \u00a0<\/p> \u00a0<\/p> Il y aura probablement des frustrations et des d\u00e9ceptions. La p\u00e9riode o\u00f9 nous reprendrons notre activit\u00e9 correspondra \u00e0 une crise \u00e9conomique, faisant passer au second plan nos consid\u00e9rations sur le sens et le besoin d\u2019autonomie. Si le bas de la pyramide de Maslow n\u2019est pas assur\u00e9, si nous aurons des consid\u00e9rations plus basiques (avoir un revenu, garder son emploi), nous ne pourrons pas nous pr\u00e9occuper exclusivement de bien-\u00eatre et de QVT.<\/p> Mais ensuite, quand viendra la reprise, des changements culturels profonds auront \u00e9t\u00e9 acc\u00e9l\u00e9r\u00e9s et feront en sorte que nous ne reviendrons plus sur la question de la flexibilit\u00e9 et sur le fait d\u2019avoir plus d\u2019autonomie dans la gestion de notre emploi du temps. Ces sujets seront acquis.<\/p> \u00a0<\/p> \u00a0<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" \u00c0 quoi ressemblera le travail apr\u00e8s l\u2019\u00e9pid\u00e9mie de coronavirus ? Le confinement et le t\u00e9l\u00e9travail forc\u00e9 actuel changeront-ils notre fa\u00e7on de manager et notre rapport au travail ? Les entreprises se r\u00e9inventeront-elles apr\u00e8s la crise ? L\u2019analyse de Laetitia Vitaud, auteur, conf\u00e9renci\u00e8re et sp\u00e9cialiste des mutations du travail.Le mois dernier, vous nous expliquiez qu\u2019apr\u00e8s le<\/p>\n","protected":false},"author":26,"featured_media":3859,"comment_status":"open","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_seopress_robots_primary_cat":"","_seopress_titles_title":"","_seopress_titles_desc":"","_seopress_robots_index":"","footnotes":""},"categories":[8,7],"tags":[],"class_list":["post-3858","post","type-post","status-publish","format-standard","has-post-thumbnail","hentry","category-leadership","category-management"],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3858","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/users\/26"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=3858"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3858\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":17261,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3858\/revisions\/17261"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/media\/3859"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=3858"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=3858"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=3858"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}LIRE AUSSI :<\/strong> \u201cSi nous n\u00e9gocions bien l\u2019apr\u00e8s-coronavirus, notre rapport au travail changera\u201d (Roland Gori)<\/a><\/h5>
Cette p\u00e9riode pourrait-elle changer notre fa\u00e7on de manager ?<\/h3>
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Que se passerait-il si les entreprises tentent de retourner \u00e0 ce qui pr\u00e9valait avant le confinement, du jour au lendemain, comme si rien n\u2019avait eu lieu ?<\/h3>