D\u00e9finissons d\u2019abord la r\u00e9silience : il s\u2019agit de la capacit\u00e9 \u00e0 vivre, \u00e0 r\u00e9ussir et \u00e0 se d\u00e9velopper en d\u00e9pit de l\u2019adversit\u00e9. La r\u00e9silience, c\u2019est la reprise d\u2019un nouveau d\u00e9veloppement apr\u00e8s un traumatisme, et elle s\u2019applique aussi aux entreprises. Apr\u00e8s un choc, une crise, certaines sont traumatis\u00e9es, mais se rel\u00e8vent. Le trauma peut \u00eatre collectif et individuel et concerner tant l\u2019entreprise que les individus qui la composent.<\/p>
La crise actuelle n\u2019est qu\u2019une \u00e9preuve parmi d\u2019autres pour les entreprises, qui connaissent r\u00e9guli\u00e8rement des vagues de licenciement, des rachats, des fusions, des bad buzz, des probl\u00e8mes financiers\u2026 Mais cette p\u00e9riode devrait changer \u00e9norm\u00e9ment de choses dans notre soci\u00e9t\u00e9. C\u2019est pourquoi la plupart des\u00a0organisations vont\u00a0donc surmonter ce cap et faire preuve de r\u00e9silience. Pour d\u00e9clencher un processus de r\u00e9silience, elles doivent s\u2019adapter, revoir leur copie. Car si elles r\u00e9p\u00e8tent le m\u00eame processus qu\u2019avant la crise, elles risquent de dispara\u00eetre.<\/p>
\u00a0<\/p>
Des \u00e9preuves comme celle que nous vivons actuellement, il y en a r\u00e9guli\u00e8rement depuis des si\u00e8cles. \u00c0 chaque fois, cela nous oblige \u00e0 changer de mani\u00e8re de vivre, donc de consommer, d\u2019\u00e9changer, de produire et de travailler.<\/p>
Si l\u2019on ne change pas de mani\u00e8re de vivre, on remet en place les conditions de la catastrophe : un mode de consommation et des transports internationaux qui r\u00e9pandent un virus aux quatre coins du globe et de la France, des entreprises inadapt\u00e9es au confinement et \u00e0 la distanciation sociale, des modes de production trop d\u00e9pendants de l\u2019importation\/exportation et de la d\u00e9localisation.<\/p>
Statistiquement, la plupart des entreprises reprennent malgr\u00e9 les blessures et les \u00e9checs. Dans quelques mois, il y aura sans doute \u00e9norm\u00e9ment de faillites, de petites entreprises qui ne pourront pas red\u00e9marrer, qui vont licencier, qui auront des dettes\u2026 Pour \u00e9viter cela,\u00a0les autres seront oblig\u00e9es de s\u2019adapter. Elles devraient probablement relocaliser leur production, r\u00e9duire la part des importations dans ce processus, diversifier leurs activit\u00e9s, r\u00e9organiser les circuits de distribution en les ramenant \u00e0 une \u00e9chelle europ\u00e9enne plut\u00f4t que mondiale.<\/p>
Les entreprises reverront aussi forc\u00e9ment leur organisation du travail : t\u00e9l\u00e9travail, horaires flexibles, autonomie des collaborateurs\u2026 tout ce qui aura \u00e9t\u00e9 exp\u00e9riment\u00e9 pendant la crise avec plus ou moins de succ\u00e8s. Le t\u00e9l\u00e9travail avait d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9 \u00e0 se d\u00e9velopper avant la crise, mais il sera d\u00e9sormais incontournable, imp\u00e9ratif. Attention, toutefois, \u00e0 ne pas\u00a0ignorer ses effets secondaires : l\u2019isolement et la dilution des liens (techniques, coop\u00e9ratifs, humains, interpersonnels, sociaux), ces liens qui sont si importants car ils apaisent les angoisses. Il faudra aussi r\u00e9organiser les lieux de rencontre, ainsi que permettre une plus grande agilit\u00e9 dans le temps de travail.<\/p>
\u00a0<\/p>
Globalement, notre culture de la consommation, de l\u2019\u00e9ducation, du travail, vont inutilement vite. Il y a eu ces derni\u00e8res d\u00e9cennies une sorte d\u2019emballement global dans notre soci\u00e9t\u00e9 ; un emballement qui a d\u2019ailleurs provoqu\u00e9 l\u2019\u00e9pid\u00e9mie de coronavirus, de par\u00a0le boom des transports et de la consommation.<\/p>
Pendant ce confinement, nombreux sont ceux qui d\u00e9couvrent qu\u2019il est possible de travailler tout en prenant son temps. Avant cette p\u00e9riode, j\u2019avais par exemple des r\u00e9unions, des cours et des conf\u00e9rences pratiquement tous les jours. Et soudain, je me suis retrouv\u00e9 confin\u00e9, avec la possibilit\u00e9 d\u2019aller \u00e0 mon rythme, de travailler, de lire, puis de recommencer \u00e0 travailler\u2026 Nous vivions jusqu\u2019ici dans une culture du sprint. Nous \u00e9tions toujours dans une course : vite se pr\u00e9parer le matin, vite sauter dans un train ou une voiture, vite travailler, vite manger\u2026 Sans avoir le temps de r\u00e9fl\u00e9chir, de r\u00eaver et de vivre l\u2019instant pr\u00e9sent. Maintenant, nous red\u00e9couvrons le silence, et nous r\u00e9alisons que ce \u201csprint\u201d\u00a0n\u2019\u00e9tait\u00a0pas forc\u00e9ment n\u00e9cessaire. Nous nous rapprochons aussi de nos familles, de nos coll\u00e8gues. Alors que nous sommes tous s\u00e9par\u00e9s par la distance, nous renfor\u00e7ons ou cr\u00e9ons de nouveaux liens.<\/p>
Nous prenons ainsi conscience de l\u2019importance du lien social et de la solidarit\u00e9, \u00e0 tous les niveaux, notamment entre coll\u00e8gues. Nous constatons que la bienveillance est plus efficace que la qu\u00eate de productivit\u00e9. Demain, nous allons freiner sur tous les plans : nous consommerons moins mais mieux, nous r\u00e9duirons le rythme de travail de nos enfants \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et en entreprise, nous reverrons aussi nos priorit\u00e9s. La culture de la performance sera critiqu\u00e9e. Cette p\u00e9riode va donc changer les relations dans l\u2019entreprise, les cadences, le management, mais aussi notre rapport au travail.<\/p>
Les relations humaines l\u2019emporteront sur la recherche de la r\u00e9ussite professionnelle, l\u2019addiction au travail et le surmenage. Et de cette p\u00e9riode de confinement, \u00e9mergera peut-\u00eatre une nouvelle mani\u00e8re de vivre ensemble. Un maillage de future r\u00e9silience pourra alors se tisser, dans la soci\u00e9t\u00e9, et dans les entreprises.<\/p>
\u00a0<\/p>
Les managers, qui jusqu\u2019ici avaient pour fonction d\u2019organiser un travail \u00e0 flux tendu, des cadences et des rentabilit\u00e9s, devraient probablement changer de mani\u00e8re de travailler et de g\u00e9rer leurs \u00e9quipes. Ils seront davantage bienveillants et leur laisseront davantage de libert\u00e9s.<\/p>
En effet, pour tendre vers la r\u00e9silience et rena\u00eetre apr\u00e8s une crise, une entreprise doit cr\u00e9er un nouveau sch\u00e9ma de d\u00e9veloppement. Pour cela, il faut que les collaborateurs eux-m\u00eames entrent dans le processus de r\u00e9silience. Il appartient donc aux managers, mais aussi aux RH, de soutenir les salari\u00e9s pendant cette \u00e9preuve et au-del\u00e0. Ils doivent pouvoir se sentir soutenus, afin de r\u00e9sister \u00e0 cette situation difficile, et d\u2019accepter ensuite de prendre un nouveau d\u00e9part. Il s\u2019agit d\u2019organiser des r\u00e9unions d\u2019explication, des discussions pour faire en sorte que les collaborateurs ne se sentent pas seuls et puissent mettre des mots sur leur traumatisme, voire leur souffrance.<\/p>
En parall\u00e8le, le management doit aussi organiser une r\u00e9flexion collective sur les probl\u00e8mes qui se sont pos\u00e9s durant la crise, sur les \u00e9checs ou les erreurs potentielles. Il pourra ensuite initier avec la direction un processus de r\u00e9silience (collective et individuelle) et amorcer un nouveau d\u00e9veloppement.<\/p>
Ce confinement est une v\u00e9ritable situation d\u2019agression psychologique. Pendant cette p\u00e9riode, nous forgeons tous nos propres facteurs de r\u00e9silience. Mais nous ne sommes pas tous \u00e9gaux devant la r\u00e9silience. Ceux qui avant la crise avaient acquis des facteurs de protection (confort mat\u00e9riel, culturel, affectif et familial) vont faire un effort mais surmonteront l\u2019\u00e9preuve et pourront facilement d\u00e9clencher un processus de r\u00e9silience. D\u2019autres sont plus fragiles, plus vuln\u00e9rables, car ils ont acquis moins de ressources internes par le pass\u00e9. Ils risquent de ruminer, d\u2019\u00eatre r\u00e9ellement traumatis\u00e9s et de foncer droit dans le mur. Pour leur permettre de se relever, il leur faut des tuteurs de r\u00e9silience.<\/p>
Pour surmonter le confinement, laisser le trauma derri\u00e8re soi et atteindre la r\u00e9silience, les liens humains et les interactions sociales sont essentielles. Les conversations \u00e9chang\u00e9es avec des proches, mais aussi des coll\u00e8gues ou\u00a0le manager sont indispensables, pour peu que l\u2019on se sente \u00e9cout\u00e9, compris et estim\u00e9. C\u2019est ce qui apporte la s\u00e9curit\u00e9 psychologique n\u00e9cessaire pour sortir plus fort d\u2019une \u00e9preuve et s\u2019adapter suite \u00e0 un traumatisme. Les enfants d\u00e9veloppent la r\u00e9silience gr\u00e2ce \u00e0 leurs parents, ou en tout cas gr\u00e2ce au sentiment d\u2019\u00eatre important aux yeux d\u2019une autre personne. En ce sens, le r\u00f4le des dirigeants, des managers et des RH est de faire savoir \u00e0 chaque collaborateur qu\u2019il est important, de lui montrer qu\u2019on le prend en consid\u00e9ration et qu\u2019on lui fait confiance. Ils doivent soutenir et accompagner leurs \u00e9quipes, rompre la solitude de chaque salari\u00e9, et entretenir le lien ; d\u00e8s maintenant.<\/p>
\u00a0<\/p>
Actuellement nous ne sommes pas encore dans la r\u00e9silience, mais dans la r\u00e9sistance :\u00a0nous affrontons un virus, nous avons peur pour nos proches, nous avons peur de perdre notre emploi, de voir notre entreprise couler\u2026\u00a0 Le mois dernier, nous \u00e9tions un peu sid\u00e9r\u00e9s, h\u00e9b\u00e9t\u00e9s, confus. Maintenant, nous organisons la r\u00e9sistance. Puis viendra le temps de changer de culture.<\/p>
Il y aura probablement apr\u00e8s la crise une augmentation du ch\u00f4mage, des faillites, et h\u00e9las, la solidarit\u00e9 que nous voyons actuellement se d\u00e9velopper face au danger n\u2019y r\u00e9sistera pas. Mais cette p\u00e9riode ne pourra pas \u00eatre oubli\u00e9e,\u00a0et notre culture (de la consommation, du loisir, de l\u2019\u00e9ducation, du travail) va changer.<\/p>
Il faudra r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 pourquoi\u00a0cette crise est\u00a0survenue, et ce que nous pourrons mettre en place pour \u00eatre plus forts la prochaine fois. Certaines entreprises voudront sans doute revenir \u00e0 la situation d\u2019avant l\u2019\u00e9pid\u00e9mie, \u00e0 la culture du sprint, mais la performance ne sera plus une valeur phare. Il devrait y avoir apr\u00e8s la crise des d\u00e9bats philosophiques passionnants sur le sujet.<\/p>
\u00a0<\/p>
\u00a0<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et conf\u00e9rencier. Selon lui, apr\u00e8s la crise du Covid-19, de nombreuses entreprises, \u00e0 l\u2019arr\u00eat ou ralenties actuellement, devraient faire preuve de r\u00e9silience. Jusqu\u2019\u00e0 changer leur fa\u00e7on de produire, d\u2019organiser le travail et de manager.Comment analysez vous la crise actuelle, pensez-vous qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une \u00e9preuve enrichissante pour les entreprises en mati\u00e8re de<\/p>\n","protected":false},"author":26,"featured_media":3872,"comment_status":"open","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_seopress_robots_primary_cat":"","_seopress_titles_title":"","_seopress_titles_desc":"","_seopress_robots_index":"","footnotes":""},"categories":[8,7],"tags":[],"class_list":["post-3871","post","type-post","status-publish","format-standard","has-post-thumbnail","hentry","category-leadership","category-management"],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3871","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/users\/26"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=3871"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3871\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":17268,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3871\/revisions\/17268"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/media\/3872"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=3871"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=3871"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=3871"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}