{"id":5617,"date":"2022-10-10T08:12:43","date_gmt":"2022-10-10T06:12:43","guid":{"rendered":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/quiet-quitting-et-si-la-raison-etait-surtout-un-sentiment-dinjustice\/"},"modified":"2023-07-18T10:13:06","modified_gmt":"2023-07-18T08:13:06","slug":"quiet-quitting-et-si-la-raison-etait-surtout-un-sentiment-dinjustice","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/courriercadres.cosavostra.com\/quiet-quitting-et-si-la-raison-etait-surtout-un-sentiment-dinjustice\/","title":{"rendered":"Quiet quitting : et si la raison \u00e9tait surtout un sentiment d’injustice ?"},"content":{"rendered":"

Apr\u00e8s la \u00ab\u00a0grande d\u00e9mission\u00a0\u00bb, un autre ph\u00e9nom\u00e8ne pr\u00e9occupe de plus en plus d\u2019entreprises : le \u00ab\u00a0quiet quitting\u00a0\u00bb, ou \u00ab\u00a0d\u00e9mission silencieuse\u00a0\u00bb. Plut\u00f4t que de d\u00e9missionner, les salari\u00e9s concern\u00e9s se contentent de faire le strict minimum. S\u2019agit-il de paresse ? D\u2019une autre vision du travail et de la place qu\u2019il doit (ou ne doit pas) prendre dans la vie ? Ou encore de l\u2019un des sympt\u00f4mes d\u2019un d\u00e9sengagement plus profond ?\u00a0Pour Adrien Chignard, psychologue du travail, le quiet quitting est \u00e9troitement li\u00e9 \u00e0 un d\u00e9ficit de justice organisationnelle au travail.<\/h2>

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Comment expliquez-vous cette \u00ab\u00a0d\u00e9mission silencieuse\u00a0\u00bb, qui semble \u00eatre une tendance de fond ?<\/strong><\/p>

Le ph\u00e9nom\u00e8ne du \u00ab\u00a0quiet quitting\u00a0\u00bb<\/a><\/u> n\u2019est pas assez mis en lien avec la \u00ab\u00a0grande d\u00e9mission\u00a0\u00bb. Peu d\u2019analystes per\u00e7oivent que cette gr\u00e8ve du z\u00e8le, qui consiste pour un collaborateur \u00e0 r\u00e9aliser uniquement ce que son contrat l\u2019engage, refl\u00e8te surtout un d\u00e9sengagement profond. Historiquement, les salari\u00e9s fran\u00e7ais ont un niveau d\u2019engagement de bonne qualit\u00e9. Mais l\u2019on assiste aujourd\u2019hui \u00e0 une forme de r\u00e9tractation cet engagement. (1)<\/p>

D\u2019o\u00f9 provient ce d\u00e9sengagement ? Les entreprises ont encore des difficult\u00e9s \u00e0 le comprendre. Il faut savoir qu\u2019il existe au travail des comportements, pro-sociaux, de citoyennet\u00e9 organisationnelle. Il s\u2019agit de tout ce qui n\u2019est pas demand\u00e9 dans le contrat de travail, mais que l\u2019on fait quand m\u00eame, parce que l\u2019on est investit dans son job. Par exemple, m\u00eame si vous n\u2019aurez aucune prime ou faveur, vous restez plus tard au bureau pour aider vos coll\u00e8gues ; un effort suppl\u00e9mentaire r\u00e9alis\u00e9 sans rien attendre en retour. En dehors du travail, cela se refl\u00e8te aussi par le fait de ne pas critiquer votre employeur, voire de le d\u00e9fendre, aupr\u00e8s de vos amis ; m\u00eame si votre patron n\u2019est pas l\u00e0 pour l\u2019entendre. Ce petit suppl\u00e9ment d\u2019\u00e2me, que vous mettez de vous-m\u00eame, spontan\u00e9ment, avec plaisir, est \u00e9minemment g\u00e9n\u00e9rateur de productivit\u00e9 et de valeur.<\/p>

Ces petites choses que vous faites en plus permettent ainsi de huiler les rouages collectifs. Tandis que le quiet quitting est exactement l\u2019inverse : vous vous en tenez \u00e0 ce pour quoi vous \u00eates pay\u00e9. Ici, l\u2019absence de comportements pro-sociaux est finalement pr\u00e9judiciable aux entreprises. Et lorsque l\u2019on cherche les causes de ce suppl\u00e9ment d\u2019\u00e2me et de ce petit investissement suppl\u00e9mentaire fourni, la litt\u00e9rature scientifique s\u2019accorde : il s\u2019agit de la cons\u00e9quence du sentiment de justice organisationnelle.<\/p>

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LIRE AUSSI : <\/strong>\u201cUn manager juste consid\u00e8re ses collaborateurs comme des partenaires\u201d<\/a><\/u><\/strong><\/p>

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En quoi consiste ce sentiment de justice organisationnelle ?<\/strong><\/p>

Il s\u2019agit de l\u2019impression, chez un salari\u00e9, d\u2019\u00eatre trait\u00e9 avec justice et justesse. Concr\u00e8tement, il existe 4 formes d\u2019injustice au travail. Les deux premi\u00e8res sont d\u00e9sagr\u00e9ables quand elles ne sont pas ressenties, mais n\u2019ont qu\u2019un faible impact sur la sant\u00e9 : il s\u2019agit de l\u2019injustice distributive (une r\u00e9partition in\u00e9quitable des r\u00e9mun\u00e9rations, des primes, des gratifications), et de l\u2019injustice informationnelle (ne pas \u00eatre suffisamment inform\u00e9). Les deux autres sont \u00e0 la fois extr\u00eamement d\u00e9sagr\u00e9ables et n\u00e9fastes pour la sant\u00e9 et la performance : il s\u2019agit de l\u2019injustice interactionnelle (des diff\u00e9renciations discriminatoires entre les personnes) et de l\u2019injustice proc\u00e9durale (des d\u00e9cisions qui vous concernent directement sont prises, sans que soyez consult\u00e9).<\/p>

A chaque fois que vous avez le sentiment d\u2019\u00eatre injustement reconnu (quelle que soit la forme de reconnaissance<\/a><\/u>), de ne pas \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 et de ne pas recevoir ce que vous pensez m\u00e9ritez, vous avez l\u2019impression que la promesse n\u2019est pas tenue. Et plut\u00f4t que de continuer \u00e0 donner le maximum de vous-m\u00eame et de vous surpasser, vous allez r\u00e9duire votre investissement jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il corresponde \u00e0 ce que vous recevez en contrepartie de la valeur cr\u00e9\u00e9e.<\/p>

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LIRE AUSSI : <\/strong>Reconnaissance au travail : \u201cles managers ont peur d\u2019ouvrir la bo\u00eete de Pandore\u201d<\/a><\/u><\/strong><\/p>

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Vous faites aussi le lien entre le quiet quitting et des \u00ab\u00a0comportements de retrait\u00a0\u00bb qui m\u00e8nent \u00e0 la d\u00e9mission pure et simple\u2026<\/strong><\/p>

En psychologie, les comportements de retrait consistent \u00e0 de d\u00e9sengager progressivement de ce \u00e0 quoi l\u2019on \u00e9tait attach\u00e9 auparavant, dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle. Ils suivent toujours 3 \u00e9tapes. La premi\u00e8re ressemble \u00e0 s\u2019y m\u00e9prendre\u00a0 au quiet quitting : il s\u2019agit de la r\u00e9duction de l\u2019investissement de l\u2019individu \u00e0 ce qui lui semble n\u00e9cessaire ou m\u00e9rit\u00e9 de l\u2019autre partie. Au travail, par exemple, il ne fera plus que ses heures.<\/p>

Mais si le travail occupe une grande place dans sa vie, il risque de ne pas tenir tr\u00e8s longtemps, d\u2019\u00e9prouver un sentiment d\u2019inauthenticit\u00e9, et de commencer, tout doucement, \u00e0 poser des cong\u00e9s sans soldes, \u00e0 avoir des arr\u00eats maladie plus fr\u00e9quents, \u00e0 arriver au bureau en retard, \u00e0 ne plus venir aux salons ou aux \u00e9v\u00e9nements externes. La multiplication de ces moments d\u2019absences intentionnelles est la seconde \u00e9tape. La troisi\u00e8me est, tout simplement, la d\u00e9mission.<\/p>

Le quiet quitting n\u2019est donc que l\u2019antichambre, le niveau 1 de ce \u00e0 quoi l\u2019entreprise peut r\u00e9solument s\u2019attendre, dans les mois \u00e0 venir, si rien ne change : le d\u00e9part des collaborateurs. Parfois, bien s\u00fbr, ces derniers ne partent pas tout de suite, car ils ne le peuvent pas mat\u00e9riellement. Mais leur d\u00e9mission r\u00e9elle est bien souvent in\u00e9luctable. Car ce qui les retient (2) n\u2019est pas affectif, mais uniquement li\u00e9 \u00e0 un engagement de continuit\u00e9 ; un engagement de tr\u00e8s mauvaise qualit\u00e9, un d\u00e9sinvestissement que d\u00e9plorent nombre d\u2019employeurs, mais sans comprendre qu\u2019il s\u2019est construit au fil du temps et qu\u2019il n\u2019est que la cons\u00e9quence d\u2019un sentiment de manque de reconnaissance ou d\u2019injustice.<\/p>

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LIRE AUSSI : <\/strong>Quiet quitting : tendance de fond ou ph\u00e9nom\u00e8ne de mode ?<\/a><\/u><\/strong><\/p>

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Le quiet quitting peut-il \u00eatre combattu ? Est-il possible de le stopper et de revenir en arri\u00e8re ?<\/strong><\/p>

La d\u00e9mission silencieuse n\u2019est pas une fatalit\u00e9. Elle n\u2019appara\u00eet pas magiquement. Elle n\u2019est que la cons\u00e9quence de l\u2019oubli, par les entreprises, de l\u2019importance des r\u00e9tributions et\/ou de la qualit\u00e9 de vie au travail. Elle n\u2019est que le fruit d\u2019un sentiment de manque de reconnaissance et d\u2019injustice v\u00e9cu dans le milieu professionnel. Alors que nous sommes dans une p\u00e9riode de plein emploi et de guerre des talents, celles qui offrent de bonnes conditions de travail, notamment \u00e0 travers des fa\u00e7ons innovantes de reconna\u00eetre ou de partager la valeur, tirent leur \u00e9pingle du jeu.<\/p>

Les dirigeants prennent aujourd\u2019hui conscience que les conditions de travail ne sont pas p\u00e9riph\u00e9riques, mais centrales pour attirer, former, fid\u00e9liser ; et que se montrer juste dans la\u00a0 reconnaissance et la distribution de la valeur est un avantage strat\u00e9gique.<\/p>

Pour stopper le quiet quitting, les entreprises peuvent se poser de la question de ce qui est per\u00e7u en interne comme injuste. Qu\u2019est-ce qui fait que les collaborateurs consid\u00e8rent ne pas \u00eatre suffisamment reconnus ? Quels modes de reconnaissance au travail<\/a><\/u> (les primes, les feed-back, les remerciements<\/a><\/u>, la justice interactionnelle, la participation aux prises de d\u00e9cision\u2026) leur manquent-ils ? Ensuite, il est n\u00e9cessaire de former les managers (du terrain au top management) aux multiples fa\u00e7ons de manifester r\u00e9ellement de la reconnaissance et de la consid\u00e9ration. \u00catre juste<\/a><\/u> n\u2019est jamais simple, mais il n\u2019est jamais impossible de tendre vers cela et de s\u2019am\u00e9liorer : il faut absolument leur donner un regard \u00e9tendu sur ces diff\u00e9rentes fa\u00e7ons de reconna\u00eetre le travail des collaborateurs.<\/p>

Finalement, il est certain que les entreprises qui ne questionneront pas les modalit\u00e9s de la reconnaissance, et qui consid\u00e9reront les salari\u00e9s d\u00e9sengag\u00e9s comme des paresseux, seront demain les perdantes du plein emploi des cadres. La guerre des talents actuelle implique ainsi d\u2019\u00eatre mieux-disant sur les conditions de travail et les fa\u00e7ons de reconna\u00eetre la valeur cr\u00e9\u00e9e par les salari\u00e9s : ces deux outils seront les moteurs les plus importants d\u2019attraction et de r\u00e9tention dans les ann\u00e9es \u00e0 venir.<\/p>

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(1) <\/em><\/strong>Selon une r\u00e9cente<\/em> \u00e9tude de Gallup r\u00e9alis\u00e9e dans 160 pays, la moyenne de l\u2019engagement des salari\u00e9s est de 21%. En France, ce chiffre n\u2019est que de 6%. <\/em><\/p>

(2) <\/em><\/strong>Il y a trois formes d\u2019engagement au travail : <\/em><\/p>